Les sept sceaux. Miniature, British Library.
Au Dieu créateur – NT 9
Paul-André Durocher | 28 février 2022
Référence biblique : Apocalypse 4, 11 ; 5, 9-10.12
Liturgie des Heures : les mardis à Vêpres
4,11 Tu es digne, Seigneur notre Dieu, *
de recevoir l’honneur, la gloire et la puissance.
C’est toi qui créas l’univers ; *
tu as voulu qu’il soit : il fut créé.
5,9 Tu es digne, Christ et Seigneur, *
de prendre le Livre et d’en ouvrir les sceaux.
Car tu fus immolé, +
rachetant pour Dieu, au prix de ton sang, *
des hommes de toute tribu, langue, peuple et nation. R/
10 Tu as fait de nous, pour notre Dieu, un royaume et des prêtres, *
et nous régnerons sur la terre.
12 Il est digne, l’Agneau immolé, +
de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, *
honneur, gloire et louange. R/
Dans son contexte. L’auteur du livre de l’Apocalypse nous présente sa première vision symbolique dans les chapitres 4 et 5. Il nous introduit devant le trône de Dieu en nous donnant à voir et entendre une liturgie céleste dans laquelle vingt-quatre anciens vêtus de blanc jouent un rôle important. Le cantique AT 9 est composé de trois acclamations entonnées par ces anciens, dont la première est adressée à Dieu en tant que créateur de l’univers. En se prosternant devant lui, ils lui jettent leurs couronnes en signe de soumission.
Dans la deuxième acclamation (5,9-10), ces anciens tiennent à la main des harpes et des coupes d’encens, que l’auteur dit être « les prières des saints, » (5,8) comme des prêtres l’auraient fait au temple de Jérusalem. Il faut savoir qu’un petit drame s’est déroulé entre la première et la deuxième acclamation. Dieu tient dans sa main un livre scellé, qui semble représenter l’histoire victorieuse à venir. Mais qui pourra ouvrir ce livre pour démarrer l’histoire? La réponse est donnée lorsque l’auteur voit un Agneau immolé, debout au centre du trône. Il s’agit évidemment de Jésus, le messie crucifié qui est ressuscité. C’est à lui que s’adresse la deuxième acclamation, car il est « digne » d’ouvrir ce livre, lui qui en acceptant de mourir sur la Croix a racheté l’humanité. Les vingt-quatre anciens proclament que Jésus a fait de ses disciples « un royaume et des prêtres » pour Dieu.
Enfin, des myriades d’anges et quatre figures mystérieuses se joignent au chœur des anciens pour une troisième acclamation, toujours à l’intention de l’Agneau immolé. Ils lui assignent sept attributs qu’on aurait normalement accordés à l’empereur romain : la puissance (de l’empire), la richesse (des peuples), la sagesse (des philosophes), la force (des généraux), l’honneur (d’un souverain), la gloire (d’un vainqueur) et la louange (d’un dieu).
Les racines juives. La première acclamation nous rappelle le premier chapitre de la Genèse, de même que de nombreux psaumes de louange qui portent sur l’activité créatrice de Dieu comme les psaumes 103 et 148.
L’évocation d’un livre dans la deuxième acclamation renvoie au deuxième chapitre du livre d’Ézéchiel où le prophète décrit sa vocation. Dieu lui présente un livre recouvert de texte, « devant et derrière » (Ézéchiel 2,9). Le prophète doit manger le livre, car il contient les paroles du jugement divin qu’il devra adresser au peuple. Dans l’Apocalypse, le livre que tient Dieu est aussi recouvert d’écriture. Mais plus qu’un message de jugement, ces paroles contiennent l’action que Dieu déploiera en détruisant le mal et en relevant son peuple fidèle. Seul le messie crucifié et ressuscité est capable de l’ouvrir et ainsi diriger cette œuvre victorieuse.
La deuxième acclamation évoque aussi le but du jugement divin : créer « un royaume et des prêtres. » Le livre de l’Exode raconte qu’au Sinaï, Dieu avait donné à Israël la vocation de devenir « un royaume de prêtres, une nation sainte. » (Exode 19,6) Le livre de l’Apocalypse annonce que le projet de Dieu se réalise enfin dans l’œuvre rédemptrice du Christ. Les lecteurs et lectrices du livre sont invités à s’associer aux vingt-quatre anciens, à voir dans leur statut royal et sacerdotal leur propre destinée, à s’unir à leur chant de louange pour celui qui rend possible ce grand projet de salut.
La troisième acclamation fait écho à la prière du roi David lorsqu’il inaugura la construction du Temple de Jérusalem (1 Chronique 29,10-13). David loue Dieu, le maître de toute réalité : du temps (« depuis les siècles et pour les siècles »), de l’espace (« dans les cieux, sur la terre […], sur l’univers ») et du pouvoir (« majesté […], règne […], primauté […], force et puissance. ») En adressant une louange semblable au Christ, l’auteur de l’Apocalypse souligne l’égalité du Père et du Fils.
Dans ma vie. Axios! Cet adjectif grec vient du verbe ago qui veut dire « avoir du poids, être pesant. » Une action ou une personne axios fait pencher la balance, elle fait la différence. Le cantique AT 9 traduit cette expression par le mot français « digne » et l’applique à Dieu et à son Christ. Il traduit la conviction que, dans leurs actions créatrices et rédemptrices, le Père et le Fils font la différence dans le monde, ils ont le poids nécessaire pour orienter l’histoire.
L’acclamation des vingt-quatre anciens me pose une question fondamentale : à qui est-ce que j’accorde cette reconnaissance dans ma vie? Quelle réalité « pèse » sur moi pour me faire pencher d’un côté ou d’un autre? Qu’est-ce que je reconnais comme « digne » de mon estime, de ma dévotion et de ma foi?
Prier ce cantique m’invite à accorder à Dieu et au Christ la place centrale qu’ils doivent prendre dans ma vie. Ma vie dépend de Dieu, source et soutien constant de tout ce qui existe. Mon épanouissement dépend du Christ qui me libère du péché et de la mort par la puissance de sa résurrection. Les remplacer par d’autres réalités qui chercheraient à fournir le sens et l’orientation de ma vie ferait de ces réalités des idoles : fascinantes, peut-être, et attirantes à leur façon, mais trompeuses, vides et mortifères comme le culte de l’empereur romain à l’époque de l’Apocalypse.
(photo : Unsplash)
Dans le plan de Dieu. Le symbolisme dynamique de l’Apocalypse s’est figé au cours des siècles en des tableaux statiques qui appauvrissent l’imaginaire populaire. Pour plusieurs, le ciel se réduit à une assemblée liturgique un peu morne où des gens, vêtus de blanc et jouant de la harpe, passent l’éternité à entonner des cantiques à Dieu. Est-ce vraiment ça le plan de Dieu pour l’humanité?
Peut-être devrions-nous penser plutôt à un concert « rock » où des foules de jeunes délirants se joignent à leurs chanteurs favoris pour scander des refrains d’un seul cœur et danser sur des rythmes enlevants et énergisants. La fougue de ces jeunes, leur joie de se retrouver ensemble, l’esprit survolté de solidarité et d’unité : voilà peut-être une image plus juste du ciel. Du moins se rapproche-t-elle plus de la vitalité que l’auteur de l’Apocalypse voulait dépeindre. Il cherchait à encourager les disciples épuisés par les persécutions, il voulait leur donner une raison d’espérer, les motiver en leur esquissant un avenir rayonnant de beauté, de bonté et de grâce.
Lorsque nous reprenons NT 9 pour acclamer le Dieu créateur et le Christ rédempteur, essayons de rejoindre l’intuition profonde de l’auteur : suivre Jésus, c’est s’engager dans un chemin qui mène à la vie en abondance. Réjouissons-nous avec toutes les forces célestes en chantant leur égale dignité, source de « puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange » pour tous les peuples.
Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau (Québec).