(Andrea Cairone / Unsplash)

Quand Dieu semble faire la sourde oreille : Psaume 80 (79)

Jean GrouJean Grou | 22 novembre 2021

Lire le psaume (version liturgique)

Le Psaume 80 (79) aurait pu s’intituler « Dieu au travail! » En effet, il y est représenté tour à tour sous les traits de deux métiers : berger et vigneron. Ces images sont couramment associées au Seigneur dans la Bible, toujours en lien avec son peuple. Dieu, en effet, veille sur les siens comme le berger sur ses bêtes et le vigneron sur sa plantation. Ce n’est pas pour rien que ces deux occupations ont été retenues à cet égard, puisqu’elles supposent un soin très attentif, des caractéristiques qui collent parfaitement à Dieu dans la tradition biblique.

Une portion de ce psaume figure au 4e dimanche de l’Avent de l’année C dans le Lectionnaire de l’Église catholique romaine. À première vue, il pourrait tout aussi bien convenir au Carême, puisqu’il s’agit essentiellement d’une prière de supplication, d’un appel de détresse, avec des accents de pénitence. Mais il faut garder à l’esprit que l’Avent est un temps destiné à nous préparer à accueillir le Seigneur qui vient à notre rencontre pour nous apporter le salut. Les invocations du Psaume 80 (79) vont résolument dans ce sens : elles manifestent l’espoir que Dieu se porte à la rescousse de son peuple éprouvé.

C’est d’ailleurs l’arrière-plan de l’ensemble du psaume : une épreuve subie par le peuple de Dieu. Historiquement, il pourrait s’agir de l’invasion du royaume du Nord par les Assyriens au 8e siècle avant notre ère. Avec le temps, le psaume a cependant pris une portée plus large et peut faire référence à pratiquement toute expérience de drame à caractère collectif.

Les premiers versets, avec leurs nombreux impératifs (écoute, resplendis, réveille, viens), nous situent dès le départ dans un climat de supplication, d’appel au secours. Et nous savons tout de suite à qui ces interpellations s’adressent grâce à l’apostrophe tout au début du verset 2 : « Berger d’Israël ». L’expression « resplendis au-dessus des Kéroubim » peut laisser perplexe. Que sont donc les Kéroubim? Il s’agissait d’êtres mythiques ailés dont une représentation se trouvait de chaque côté de l’arche d’alliance, lieu symbolique de la présence divine. Demander à Dieu de resplendir « au-dessus des Kéroubim » signifierait donc de l’inviter à siéger sur son « trône », à occuper la place qui lui revient, celle du roi qui exerce son pouvoir sur tout l’univers. En passant, le mot Kéroubim a donné en français « chérubins », ces petits angelots rondelets de la tradition chrétienne.

Après une sorte de refrain (« Dieu, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés! », v. 4), les versets 5 à 7 prennent un ton presque accusateur. Leur auteur semble attribuer à Dieu tous les malheurs qui frappent son peuple. Il lui reproche même sa colère et exprime sa hâte de voir cette fureur s’apaiser. On peut se demander comment un croyant peut bien s’exprimer de telle façon. Mais s’il laisse ainsi parler son cœur, sans filtre, c’est peut-être parce qu’il sent que quelque chose ne tourne pas rond et qu’il prend le risque de « secouer » un peu le Seigneur. À cet égard, il n’est pas si loin de Job qui crie son désarroi de subir des malheurs alors qu’il a toujours mené une vie exemplaire. Et de Jésus qui s’écrie du haut de la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » Dans les trois cas cependant – le psalmiste, Job et Jésus –, il ne s’agit pas de leur dernier mot…

Après un autre refrain (v. 8), la partie suivante (v. 9-14) passe au deuxième « métier » de Dieu : le vigneron. Dans un style imagé, l’auteur se tourne vers le passé pour rappeler au Seigneur qu’il a autrefois libéré son peuple de la servitude en Égypte pour l’enraciner sur un territoire qui serait le sien et qui deviendrait prospère. Puis il pose une question pour le moins troublante : pourquoi, après avoir réalisé une œuvre si merveilleuse, laisse-t-il ses ennemis s’en prendre à lui sans intervenir? Le territoire (la vigne) est pillé de ses richesses (« Tous les passants y grappillent en chemin », v. 13) sous le regard apparemment indifférent du Seigneur.

Après un troisième refrain, la dernière partie (v. 15-20) laisse poindre une confiance inébranlable et même étonnante, compte tenu de l’énumération des reproches qui précèdent. En fait, l’auteur revient à son point de départ en lançant un vibrant appel à l’aide à celui en qui il ne désespère pas, malgré les malheurs qui frappent le pays. Il semble déterminé à croire que ces épreuves ne sont pas le fin mot de l’histoire et que Dieu est encore en mesure de faire briller de meilleurs jours pour les siens. Il prend même un engagement solennel au nom de la collectivité : « Jamais plus nous n’irons loin de toi. » (v. 19) D’ailleurs, ne serait-ce pas ici un petit indice de ce que l’auteur soupçonnerait comme la source de la catastrophe? Ce ne serait pas le seul endroit dans la Bible où on attribue une calamité au fait que les Israélites se sont éloignés du Seigneur.

Les propos du Psaume 80 (79) ne manquent pas d’actualité. Encore aujourd’hui, des épreuves frappent des populations entières partout dans le monde. En chantant ou récitant ce psaume, notre prière peut aisément s’inscrire dans le sillage de leurs supplications. Et comme pour toute prière, il importe de ne pas en rester là et de plutôt tenter, dans la mesure de nos moyens, de porter secours aux personnes frappées par le malheur et d’agir, afin de trouver des solutions pour éviter le plus possible ces drames humains. Utopique? Peut-être… Mais demeurer les bras croisés devant ces situations ne me semble pas une option pour le chrétien que je suis.

Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.

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Trésors de la prière juive et chrétienne, les psaumes n'en demeurent pas moins des textes qui demandent parfois d'être apprivoisés. Cette chronique propose une initiation aux psaumes et à la prière avec les psaumes.