Les noces de l’Agneau. Enluminure, circa 1265-1270. Douce Apocalypse, MS180. Bibiothèque de Bodley, Oxford (Wikimedia).
Les noces de l’agneau – NT 12
Paul-André Durocher | 25 octobre 2021
Référence biblique : Apocalypse 19, 1b-2.5b.6b-7
Liturgie des Heures : Dimanche I, Vêpres
1 Alléluia !
Le salut, la puissance,
la gloire à notre Dieu,
Alléluia !
2 Ils sont justes, ils sont vrais,
ses jugements.
Alléluia !5 Célébrez notre Dieu,
serviteurs du Seigneur,
Alléluia !
vous tous qui le craignez,
les petits et les grands.
Alléluia !6 Il règne, le Seigneur,
notre Dieu tout-puissant,
Alléluia !
7 Exultons, crions de joie,
et rendons-lui la gloire !
Alléluia !Car elles sont venues,
les Noces de l’Agneau,
Alléluia !
Et pour lui son épouse
a revêtu sa parure.
Alléluia !
À l’origine. Le livre de l’Apocalypse est parsemé d’hymnes ou de fragments d’hymnes, chantés par des figures célestes en réaction aux événements qui, selon la vision de l’auteur, se déroulent sur la terre. Ils correspondent un peu aux anciens chœurs grecs qui commentaient l’action des tragédies classiques et exprimaient les émotions que l’auditoire devait ressentir.
L’hymne du bréviaire que la liturgie identifie comme NT12 est composée de fragments de versets tirés du début du chapitre 19. Ce chapitre marque un tournant dans le récit du livre, alors que la puissance romaine, symbolisée par l’antique Babylone, vient d’être réduite à néant. Les prétentions de l’empereur, qui se faisait adorer comme « dieu » et « seigneur », sont révélées vaines et sans fondement. Le chœur céleste, lui, adore et loue l’unique Dieu et Seigneur, à qui seul reviennent « le salut, la gloire et la puissance » et dont les jugements sont « justes et vrais. »
L’hymne est parsemée de nombreux alléluias, échos des quatre alléluias du texte biblique, les seuls du Nouveau Testament. L’auteur les a réservés pour ce moment charnière alors que la victoire de Dieu se manifeste dans l’histoire. Cette interjection, qui veut dire « louez le Seigneur », nous vient des psaumes hébreux, témoins des acclamations qui résonnaient dans le Temple de Jérusalem. L’auteur décrira dans les chapitres suivants la descente d’une nouvelle Jérusalem venue des cieux, symbole du Règne de Dieu qui s’établit définitivement.
Le texte biblique indique que plusieurs intervenants entonnent les fragments de cette hymne : d’abord, la voix d’une foule immense ; ensuite, une voix près du Trône de Dieu ; enfin, la foule immense, mais cette fois-ci, forte « comme la voix des grandes eaux, ou celle de violents coups de tonnerre », les bruits les plus intenses qu’un humain aurait pu entendre à cette époque. C’est dire l’ampleur de l’acclamation, à laquelle tous — « les petits et les grands » — sont invités à s’associer. L’alternance des voix évoque aussi la liturgie où intervenants et assemblée s’interpellent mutuellement dans la louange qu’ils adressent au Seigneur.
Enfin, l’hymne évoque un mariage : celui de l’Agneau (le Christ, mort et ressuscité) et son épouse (l’Église). Cette image aussi est tirée des Écritures juives où divers poètes l’ont invoquée soit pour condamner Israël pour son infidélité, soit pour annoncer un jour où Dieu épousera son peuple dans la tendresse. Ici, c’est le Christ qui épouse son Église, purifiée par la grande épreuve de la persécution, triomphante dans la persévérance et la fidélité.
Dans le contexte de l’Évangile. Cette hymne nous révèle quelques caractéristiques de la prière communautaire des premières générations chrétiennes. Elle était tout imprégnée de louange et d’action de grâces pour les merveilles que Dieu avait accomplies : l’incarnation du Verbe, sa passion sur la Croix et, surtout, sa résurrection d’entre les morts.
Contempler Dieu entraînait aussi des conséquences dans la vie des disciples. Rassurés par l’action de Dieu dans le passé récent, ils pouvaient se tourner avec confiance vers l’avenir, malgré les épreuves du moment présent. Dieu, Seigneur et maître de tout, orientait l’histoire humaine vers son accomplissement lorsque le Christ serait intimement uni à tous ses disciples.
Cette contemplation renforçait aussi la conviction que le pouvoir et la gloire de l’empereur n’étaient que temporaires, puisqu’il s’agissait d’un faux pouvoir et d’un simulacre de gloire. L’empereur avait bien ses adeptes, mais ils étaient dans l’erreur et les ténèbres. Les disciples, eux, connaissaient la vérité même si elle était cachée. La prière de louange devient alors profession de foi et témoignage à celui qui, seul, tient la clé de l’avenir.
Dans ma vie. Le pouvoir m’est essentiel : il me donne la possibilité de faire mes propres choix, de dominer les situations, de m’affirmer dans mon autonomie. Mais il est aussi pernicieux, car je peux le chercher pour le plaisir d’imposer ma volonté aux autres, de me faire obéir et servir. Ce pouvoir corrompu devient une source d’oppression de l’autre, une menace à leur liberté.
Dieu seul est tout-puissant, mais il se sert de son pouvoir pour libérer l’être humain, non pas pour dominer sur lui et le réduire à l’esclavage. Contrairement à l’empereur romain, dont le jugement est corrompu et faux, le pouvoir de Dieu est source de salut, car son discernement est juste et vrai.
Est-ce que je me sers de mon pouvoir comme l’empereur ou comme Dieu? Mes jugements sont-ils tordus par une perspective égoïste ou sont-ils purifiés par l’Évangile et assainis par l’amour de l’autre? Lorsque je contemple et que j’adore Dieu, tout mon être est orienté vers lui. J’apprends à voir le monde et l’histoire comme lui. Alors, mon pouvoir est harmonisé au sien, mes jugements sont colorés de sa vérité et de sa justice. Mon pouvoir peut alors devenir source de salut pour les autres.
Dans le plan de Dieu. Nous prions cette hymne les dimanches soirs, à vêpres. Nous avons passé la journée à faire mémoire de la résurrection de Jésus lorsque le pouvoir de Dieu a triomphé sur la mort et que Dieu révèle sa victoire aux nations. Il est bon, alors, de reprendre le chant des premières générations chrétiennes et de louer le Dieu de la vie qui veut nous emporter avec son Fils dans la gloire de la vie éternelle.
Déjà, nous pouvons contempler le banquet messianique où le peuple que Dieu s’est acquis sera totalement uni à son Fils bien-aimé dans une noce sans fin. « Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père… Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort… et ainsi, Dieu sera tout en tous. » (voir 1 Co 5,24–28)
Le dimanche soir est comme le premier soir d’une nouvelle création où, malgré les nombreux défis et les difficiles épreuves de la vie, nous pouvons déjà discerner la lumière qui dissipe les ténèbres. Avec Dieu, nous pouvons voir que cela est bon, même très bon. Car « il règne, le Seigneur, notre Dieu tout-puissant. Exultons, crions de joie et rendons-lui la gloire ! »
Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau (Québec).