Initiale D – psaume 62. Psautier de Saint-Alban, vers 1130, Dombibliothek Hildesheim (photo © Hildesheim, St Godehard).
Le Psaume 63 (62) : du temple à la chambre à coucher
Jean Grou | 18 mars 2019
2 Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube : mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau.
3 Je t'ai contemplé au sanctuaire, j'ai vu ta force et ta gloire.
4 Ton amour vaut mieux que la vie : tu seras la louange de mes lèvres !
5 Toute ma vie je vais te bénir, lever les mains en invoquant ton nom.
6 Comme par un festin je serai rassasié ; la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.
7 Dans la nuit, je me souviens de toi et je reste des heures à te parler.
8 Oui, tu es venu à mon secours : je crie de joie à l'ombre de tes ailes.
9 Mon âme s'attache à toi, ta main droite me soutient.
10 [Mais ceux qui pourchassent mon âme, qu'ils descendent aux profondeurs de la terre,
11 qu'on les passe au fil de l'épée, qu'ils deviennent la pâture des loups !
12 Et le roi se réjouira de son Dieu. Qui jure par lui en sera glorifié, tandis que l'homme de mensonge aura la bouche close !]
Les gens qui s’adonnent à la liturgie des Heures sur une base régulière connaissent bien le Psaume 63 (62). Il revient en effet à l’office du matin (laudes) lors des fêtes et solennités qui jalonnent le calendrier liturgique. Relativement court, il s’apprend par cœur sans trop de peine, d’autant plus que la version pour la liturgie n’a pas retenu ses quelques derniers versets, pour une raison qui se comprend bien. On y reviendra.
Le choix de ce psaume pour marquer les fêtes et solennités s’explique bien; il exprime en effet une quête de la présence de Dieu, un désir ardent de se rapprocher de lui, de demeurer sous son regard bienveillant. C’est l’essence même de toute prière qui se déploie ici.
La première partie du psaume (v. 2 à 6) semble se situer en contexte cultuel, comme le laissent deviner quelques indices. On y trouve en effet une mention du temple, lieu par excellence de la gloire divine (v. 3), la proclamation d’une louange (v. 4 et 6) et l’allusion à un geste liturgique (« en levant les mains », v. 5). Un autre indice pourrait passer inaperçu : « rassasié des meilleurs morceaux » (v. 6). Il s’agit vraisemblablement d’une référence à un sacrifice. En effet, parmi les divers types de sacrifices exécutés au temple, celui appelé « de communion » prévoyait que la bête offerte à l’autel passait par le feu, était découpée et partagée et consommée par l’entourage de la personne qui l’avait apportée aux prêtres, responsable de la mise en œuvre du rituel.
La deuxième partie du psaume (v. 7 à 9) nous emmène sur un tout autre terrain, celui de l’intimité de la chambre à coucher, en pleine nuit. Là, à l’écart du temple, Dieu se fait tout aussi présent, peut-être même davantage. Loin de l’agitation et du va-et-vient du sanctuaire, le contexte est des plus appropriés pour un moment d’intimité avec le Seigneur. Des images pleines de douceur dépeignent la bienveillance divine : « À l’abri de tes ailes […] ta main droite me soutient. » Pourtant, malgré l’ambiance feutrée, il n’est pas question de chuchoter : « Je crie ma joie »!
Ce qui ressort de ce psaume jusqu’ici c’est que tous les temps et tous les lieux sont propices pour que la présence de Dieu se manifeste et pour exprimer sa reconnaissance. Il ne s’enferme ni dans un temple, ni dans une synagogue, ni dans une mosquée, ni dans une église. Mais avant tout est essentiel, comme l’indiquent les premiers mots de cette prière, de reconnaître notre « soif » de Dieu, notre désir de le laisser entrer dans notre existence et agir sur elle : « Ta bonté vaut mieux que la vie. »
Les trois derniers versets adoptent un tout autre ton et peuvent même paraître au premier regard difficiles à relier à ce qui précède. On peut cependant y reconnaître une évocation de l’épreuve qui a poussé le psalmiste à s’en remettre à Dieu : une menace de mort. Dans la détresse, il ne peut s’empêcher de souhaiter que l’attaque qu’il a crainte se retourne contre ses ennemis (v. 11). C’est le principe de la rétribution qui avait cours à l’époque au sein du discours religieux : dans sa justice, Dieu a le devoir d’éliminer ceux qui en veulent à la vie du juste. Les deux premières parties du psaume expriment donc pour ainsi dire le soulagement et la reconnaissance envers le Seigneur pour avoir échappé aux griffes des adversaires.
On peut comprendre pourquoi ces trois derniers versets n’ont pas été retenue dans la liturgie de l’Église catholique : sans mise en contexte, ils peuvent s’avérer troublants avec leur appel au massacre de personnes, aussi malveillantes soient-elles. Cependant, avant de les mettre à la corbeille pour de bon, il peut être intéressant de les retrouver à l’occasion dans notre prière. Comme c’est le cas pour beaucoup d’autres psaumes, il importe alors d’aller au-delà de la lettre et d’éviter d’y voir un réel appel à la mort d’autrui. Il convient plutôt de « sublimer » ces supplications et de les considérer comme l’expression de notre désir que disparaisse tout ce qui est mortifère dans notre existence, ce qui se pose en obstacle et empêche la vie de prendre son envol pour nous et notre entourage.
Signalons en terminant la mention du roi au tout dernier verset, qui peut paraître un peu étrange ici. Mais il faut tenir compte de la note en entête du psaume : Psaume appartenant au recueil de David. Il fait allusion au séjour de David dans le désert de Juda. Comme beaucoup d’autres psaumes, celui-ci est attribué au célèbre roi d’Israël et de Juda. L’authenticité de cette attribution est loin d’être certaine, mais elle nous aide à comprendre pourquoi il est question du roi dans la conclusion du Psaume 63. On lui souhaite ici de tout mettre en œuvre ce qui vient d’être dit dans les onze versets précédents.
Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.