IInitiale B – psaume 102. Psautier de Saint-Alban, vers 1130, Dombibliothek Hildesheim (photo © Hildesheim, St Godehard).
Toute chair est comme l’herbe : Psaume 103 (102)
Jean Grou | 21 janvier 2019
Village au fond de la vallée
Des jours, des nuits, le temps a fui
Voici qu'en la nuit étoilée
Un cœur s'endort François est mort
Car toute chair est comme l'herbe
Elle est comme la fleur des champs
Épis, fruits mûrs, bouquets et gerbes
Hélas ! tout va se desséchant.
Vous avez peut-être reconnu les paroles de la chanson Les trois cloches composée en 1939 par Jean Villard (dit Gilles) et enregistrée en 1946 par Édith Piaf, accompagnée des Compagnons de la chanson. Un détail peut ici passer inaperçu : un verset du Psaume 103 (102) s’est manifestement glissé dans l’esprit de son compositeur lorsqu’il a écrit les cinquième et sixième lignes du couplet ci-dessus : « L'homme! ses jours sont comme l'herbe; comme la fleur des champs, il fleurit. » (v. 15, traduction de la Bible de la liturgie)
La poésie de ce psaume a en effet de quoi inspirer. Les expressions d’émerveillement et les métaphores abondent. Dans son commentaire sur les psaumes, l’auteur Noël Quesson le qualifie d’« hymne à l’amour pour Dieu » [1] Tiens! Parlant d’Édith Piaf…
Si le qualificatif d’« hymne à l’amour pour Dieu » convient certes à ce psaume, il ne s’adresse pourtant jamais directement au Seigneur. Il parle plutôt de lui, énumérant ses nombreux attributs tous plus admirables les uns que les autres. Les superlatifs abondent. On se réfère à des réalités familières mais insaisissables, comme la hauteur des cieux et la distance de l’orient à l’occident, pour évoquer sa grandeur et son mystère.
Il se pourrait que le motif de cette longue expression d’action de grâce soit le rétablissement de son auteur à la suite d’une maladie potentiellement mortelle : « Oui, je veux remercier le Seigneur sans oublier un seul de ses bienfaits. C'est lui qui pardonne toutes mes fautes, guérit toutes mes maladies, m'arrache à la tombe. » (v. 2-4, traduction de la Bible en français courant) Du même souffle, le psalmiste chante sa reconnaissance pour le pardon des péchés, fruit de la miséricorde divine. Dans la tradition biblique en effet, le péché est étroitement lié à la maladie, celle-ci étant considérée comme le signe extérieur d’une entorse commise à l’égard de la Loi.
Ce psaume baigne dans une ambiance résolument intimiste. Le psalmiste se parle à lui-même : « Bénis le Seigneur, ô mon âme. » Il fait preuve d’une remarquable capacité d’introspection et de réflexion sur la condition humaine, soulevant des questions existentielles comme la fugacité d’une vie humaine (v. 15-16). Il souligne du même coup toute l’attention que Dieu porte aux humains dans leur fragilité, avec le péché, la faiblesse morale et physique, la mortalité. À ses yeux, rien de tout cela ne constitue des obstacles à la tendresse du Seigneur. Au contraire, c’est au creux même de ces failles que la bienveillance divine s’exerce avec le plus d’évidence.
En lisant ou en priant ce psaume aujourd’hui, des questions peuvent spontanément surgir à notre esprit. Est-ce que je partage cet enthousiasme du psalmiste à l’égard de Dieu? Les effets de son action et de sa bienveillance sont-ils si manifestes dans ma vie? Si oui, où et comment? Ma communauté chrétienne, dans son quotidien ou lorsqu’elle célèbre l’eucharistie, semble-t-elle portée par tout l’élan qui se dégage de cette « hymne à l’amour pour Dieu »?
Ce sont de bonnes questions, qui nous invitent à la lucidité. S’en tenir à celles-ci risque toutefois de limiter notre appréciation du Psaume 103 au plan strictement intellectuel. Sans perdre notre esprit critique, il importe de faire la part des choses et d’aborder ce psaume (comme tous les autres d’ailleurs) pour ce qu’il est : non pas un traité de théologie ou de dogmatique mais une prière, un chant de louange, une œuvre poétique. Si nous voulons en dégager toute la richesse et en bénéficier, il faut consentir à un lâcher-prise, à ne pas tout maîtriser dans notre rapport avec Dieu, à ne pas détenir les réponses à toutes les questions. Sans forcer quoi que ce soit, il importe de garder le cœur et l’esprit ouvert afin de nous donner toutes les chances de reconnaître tout ce que le Seigneur apporte de beau et de bon dans nos jours. Et d’être alors en mesure de répondre à l’appel qui retentit en conclusion du Psaume 103 : « Remerciez le Seigneur, vous tous qu'il a créés, où que vous soyez dans son empire. » (v. 22, traduction de la Bible en français courant)
Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.
[1] Noël Quesson, 50 psaumes pour tous les jours, Limoges, Droguet-Ardant, 1978, p. 234.