Initiale D – psaume 23. Psautier de Saint Albans, vers 1130, Dombibliothek Hildesheim. Photo © Hildesheim, St Godehard
Qui est ce roi de gloire? Une lecture du Psaume 24 (23)
Jean Grou | 17 septembre 2018
Difficile de résister à la joie qui traverse le Psaume 23 (24). Celui-ci fait partie des « psaumes du règne », ces hymnes qui célèbrent la royauté de Dieu. Sans doute accompagnait-il les processions lors de grandes cérémonies au temple. Il est construit selon une véritable mise en scène, avec un décor (l’entrée du temple), des personnages (la foule, les prêtres, les portes du sanctuaire) et un dialogue. Les prêtres adressent des questions aux fidèles massés à l’entrée du sanctuaire (v. 3). La foule répond (v. 4). Même les portes du temple font partie de la distribution. L’assemblée les interpelle comme si elles pouvaient obéir à ses ordres (vv. 7 et 9) !
Au Seigneur! (vv. 1-2)
Les premiers versets donnent le ton. Dieu règne sur toute la création parce que, justement, il en est le créateur. Les termes du verset 2 reflètent une conception ancienne de l’univers selon laquelle la terre, une immense plate-forme, repose sur des piliers juste au-dessus de la masse des eaux. Le Seigneur, maître d’œuvre de cette organisation, veille à ce que tout demeure sagement en place. Grâce à lui, les « habitants » du monde peuvent vivre sans craindre que les eaux recouvrent la terre, car il « la garde inébranlable sur les flots ».
Montrer patte blanche (vv. 3-6)
Une simple question... (v. 3)
Ici s’amorce une « liturgie du seuil » sous forme de catéchèse. Cette démarche s’apparente à la préparation pénitentielle au début de l’eucharistie. L’assemblée se donne un temps pour reconnaître la grandeur de celui qu’elle est venue célébrer. Chacun se prépare le cœur et l’esprit à approcher le mystère.
On imagine bien les prêtres israélites à l’entrée de l’esplanade du temple interrogeant les fidèles qui doivent montrer patte blanche (v. 3). La réponse ne se fait pas attendre (v. 4). Elle exprime une conviction : la royauté de Dieu proclamée dans les deux premiers versets s’exerce au sein des relations humaines. Dieu règne en mettant de l’ordre non seulement dans le cosmos mais aussi dans la vie des hommes et des femmes. Rendre un culte au Seigneur pour sa gloire n’a de sens que dans la mesure où cette gloire se reflète dans l’existence de chaque personne. Somme toute, Dieu règne parce que des croyants et des croyantes acceptent de le laisser régner dans leur vie.
Une question de justice (v. 4)
On aurait pu s’attendre à une réponse d’un autre ordre au verset 4. Car aux yeux de la loi juive, c’est l’impureté rituelle qui empêche d’accéder au lieu saint. Dans le Psaume 23, rien de tout cela. L’exigence est d’ordre moral : « cœur pur », « mains innocentes », pas d’idoles, « pas de faux serments ». Comment ne pas songer à ce qu’enseigne Jésus aux foules à propos du pur et de l’impur : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur. » (Matthieu 15,11) Jésus actualise le Psaume 23 en le faisant parler pour les gens de son milieu influencés par les pharisiens, soucieux à l’extrême de leur pureté rituelle. Une même préoccupation habite certains prophètes, ceux pour qui culte et droiture du cœur ne font qu’un (Isaïe 1,13.16-17; Amos 5,21-24 ; Jérémie 7,21-28 ; Osée 6,6).
Les fruits (vv. 5-6)
Les deux versets suivants complètent la réponse. Le verset 5 résonne comme une contrepartie au verset 4. Il rappelle que Dieu est sensible à ce qui se passe en chaque personne et entre les personnes. Bénédiction et justice sont les fruits accordés à la personne vertueuse, qui se garde du mensonge et des idoles. Bien sûr, les rabats-joie pourraient inviter le psalmiste à demander à Job ce qu’il en pense ! Mais l’heure est à la fête, on trouvera bien d’autres temps pour se prendre la tête avec des questions existentielles !
La liturgie du seuil se termine par une proclamation solennelle au verset 6. La foule a passé le test avec succès. On la reconnaît pour ce qu’elle est : « Voici le peuple de ceux qui le [Dieu] cherchent ».
Journée porte ouverte (vv. 7-10)
« Qu’il entre, le roi »
Avant de pénétrer dans l’enceinte du temple, le peuple laisse passer le maître des lieux. C’est le moment d’ouvrir solennellement les portes. La grandeur du « roi de gloire » exige un accès bien dégagé. La foule ne se contente donc pas d’inviter les portes à s’ouvrir, elle leur demande aussi d’élever leurs frontons et même de s’élever, comme dans un geste d’hommage (vv. 7 et 9).
Les versets 7 à 10 s’inspirent vraisemblablement des cérémonies d’accueil d’un roi victorieux rentrant au pays. Les Israélites auraient utilisé ce chant de victoire pour la première fois lors des festivités marquant le transfert de l’arche d’alliance à Jérusalem par le roi David (2 Samuel 6,12-15).
Deux fois plutôt qu’une
La section finale comporte une répétition, les versets 9 et 10 reprenant presque intégralement les deux précédents. La poésie hébraïque aime répéter (cf. v. 6). Le procédé aide à mémoriser, permet d’insister sur les aspects majeurs et donnent un ton solennel.
Prier avec le Psaume 23
« Qui donc est Dieu ? »
Au cœur de la prière, le Psaume 23 résonne d’abord comme une louange au Dieu créateur et maître de l’univers. En le récitant ou en le chantant, nous joignons nos voix aux multitudes d’hier et d’aujourd’hui qui s’émerveillent et se réjouissent que Dieu règne. Des personnes qui, malgré les déchirures de notre monde, persévèrent à chercher le Seigneur ou, pour reprendre les termes du psaume, à « chercher [sa] face » (v. 6). Cette recherche ne va pas de soi. Elle soulève des questions, surtout dans une société où croire en Dieu n’est plus une évidence. Chaque jour se pose la question « Qui [donc] est ce roi de gloire ? » (voir vv. 7-9)
Dieu et son « armée »
À cette question, le Psaume 23 répond en termes anciens, dans le cadre bien particulier d’une cérémonie d’hommage à un roi victorieux. Pour nous cependant, acclamer le Seigneur comme « le vaillant des combats » peut prendre une autre connotation. De nos jours, il n’est peut-être plus approprié d’associer Dieu à une offensive armée. Par contre, si nous le reconnaissons présent dans nos vies, il est à nos côtés en tout temps, y compris dans les luttes que nous menons au jour le jour, petites et grandes. Pas besoin d’aller à la guerre pour livrer combat ! Affronter un échec, une maladie, un deuil. Persévérer dans la recherche d’un emploi. Traverser un conflit avec son conjoint. Redonner le goût de vivre à un adolescent qui veut en finir...
Lorsque notre prière chante « le Seigneur, le vaillant des combats », nous nous rappelons que nous ne sommes pas seuls. Bien plus, ce « roi de gloire » dispose d’une « armée » d’alliés empressés de « gravir [sa] montagne » et de « se tenir dans [son] lieu saint ». Dans un monde de plus en plus cynique, où on entend dire « plus je connais les hommes, plus j’aime les bêtes », n’est-il pas heureux de se rappeler qu’il existe des hommes et des femmes « au cœur pur, aux mains innocentes » ? Nous en connaissons. Le Psaume 23 nous donne de les saluer et de les inscrire en nos cœurs au début d’une journée de prière.
Bienvenue, Seigneur !
Si le Seigneur nous accompagne dans nos combats, c’est dans la mesure où nous le laissons entrer dans nos vies. Les derniers versets du Psaume 23 deviennent une invitation en ce sens : « Portes, levez vos frontons, levez-les, portes éternelles ». Quelles « portes » nous faut-il ouvrir pour laisser entrer le « roi de gloire » ? Qu’est-ce qui lui fait obstacle aujourd’hui ?
Pourrait-on établir un lien avec Jésus, le Christ Roi? Son entrée à Jérusalem aux acclamations de la foule est digne de la cérémonie associée au Psaume 23 (Matthieu 21,1-11 et parallèles). Parmi les gens qui criaient à Jésus « hosanna ! » (sauve-nous !), certains devaient voir en lui le « vaillant des combats » venu secouer le joug romain. Or, le combat fut d’un tout autre ordre. Il allait révéler l’homme de Nazareth non pas comme un insurgé mais comme un « homme au cœur pur, aux mains innocentes ». Ce combat n’est-il pas aussi le nôtre ?
Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.
Source : version abrégée d’un texte paru dans Célébrer les Heures 33 (2002).