Nous
parlerons des arbres
Jésus s'approcha et fit route avec eux (Luc 24, 15).
Abel ne veut plus me voir ni voir personne. Super-actif, la maladie
l'a d'abord rivé à un fauteuil puis cloué au
lit.
Il me fait dire par sa femme : «
Je ne veux pas laisser à André l'image de ma déchéance
et de mon désespoir ».
Nous avons fait tant de choses ensemble.
J'aimerais lui dire qu'il y a trop de puissance de vie pour sombrer
si profondément. Je voulais au moins essayer de lui écrire,
mais il ne me venait que des banalités. En repensant à
notre commune passion pour les arbres, je lui ai envoyé un
texte de Paul Valéry:
De ton front voyageur, les vents ne veulent pas;
La terre tendre et sombre,
O platane, jamais ne laissera d'un pas
S'émerveiller ton ombre!
Ce front n'aura d'accès qu'aux degrés lumineux
Où la sève l'exalte;
Tu peux grandir, candeur, mais non rompre les noeuds
De l'éternelle halte!"
Je n'ai ajouté qu'un mot :
« Je t'aime assez pour savoir que même immobile tu peux
grandir ».
Il m'a téléphoné
: « Viens, nous parlerons des arbres » (André Sève,
365 matins, p. 223).
LIEN : Quand la désillusion saisit au plus profond de son
être le jeune qui ne voit aucun débouché dans
la vie; quand une amère déception serre le coeur de
la femme qui avoue avoir échoué dans sa relation de
couple ou dans l'éducation de ses enfants; quand un homme
en vient à songer au suicide parce qu'il n'entrevoit pas
de porte de sortie des impasses qui l'emprisonnent; quand on est
le témoin impuissant de cette multiple désespérance
vécue dans l'isolement ou le rejet, on finit par envier les
disciples d'Emmaüs. Eux, ils étaient deux pour vivre
le tragique de leur existence: la dormition de leur espérance.
Ils pouvaient se dire l'un à l'autre : « Nous espérions...
» partager leur lassitude, leur profonde douleur d'avoir perdu
leur Maître et qui sait, peut être bien leur rage d'avoir
été trompés par lui.
Si ce jeune, cette femme, ou cet
étranger pouvaient avoir la chance d'être rejoints
par un étranger qui se ferait proche, empathique, «
écoutant ». Si tous trois, et tant d'autres qui leur
ressemblent, pouvaient dire la nostalgie, la peur, la colère
qui les habitent à celui qui les rejoint sur la route, là
où ils sont rendus, sans les brusquer, sans suggérer
trop rapidement des solutions dont ils ne sauraient que faire. S'ils
pouvaient libérer leur cri pour qu'il devienne parole! Cela
ne creuserait-il pas en eux l'espace libre pour accueillir leur
propre histoire comme porteuse de sens? Ne commenceraient-ils pas
à reconnaître en eux la renaissance d'une difficile
espérance qui peut rejaillir même au creux du plus
profond désespoir?
Pouvoir manger ainsi le pain de la
communion profonde, boire le vin en partage de vie, ne permet-il
pas de reconnaître que le Ressuscité opère une
brèche dans tous les tombeaux du monde? Et s'ouvrir ainsi
à la puissance de l'Amour qui invite à la paix, aux
dépassements, à la marche vers les autres même
s'il faut rebrousser chemin pour les rejoindre.
Si pour ce jeune, pour cette femme,
pour cet homme, nous ne pouvons être l'Étranger qui
se fait reconnaître comme Seigneur, ne pouvons-nous pas être
pour eux les disciples qui venant leur annoncer l'espérance,
la découvrent aussi en eux qui, à leur manière,
sont des témoins de la mort terrassée par le Vivant?
(Denise Lamarche, Présence, 1993)
* * * * *
Excellent pronostic
Notre cur n'était-il pas tout brûlant au-dedans
de nous (Luc 24, 35).
Une jeune femme, qui vient de recevoir
des traitements contre un cancer curable, reçoit son congé
de l'hôpital et retourne chez elle embarrassée par
la perte de cheveux qu'a entraînée la radiothérapie.
Au moment où elle s'assoit au comptoir de la cuisine, son
fils se pointe et l'examine avec curiosité.
La mère, qui s'est préparée
à cela, explique à son fils pourquoi elle a perdu
ses cheveux. Pendant qu'elle continue de lui parler, le petit garçon
s'approche d'elle et monte sur ses genoux. Il appuie sa tête
contre sa poitrine sans bouger.
« Un jour, bientôt j'espère,
je retrouverai mon apparence d'avant et tout ira mieux » conclut-elle.
Le bambin reste assis sur les genoux
de sa mère, l'air songeur.
Puis, avec toute la franchise dont
un enfant de six ans est capable il déclare : « Les
cheveux sont pas pareils, mais le cur est pareil ». La
mère n'a plus eu à se dire qu'« un jour »
elle irait mieux. Elle se sentait déjà beaucoup mieux.
(M. Pennington, Bouillon de Poulet pour l'âme d'une mère).
LIEN : Voilà un petit garçon qui dépasse l'apparence
pour rejoindre sa mère par le cur. Ce qui est étrange,
différent n'est plus un obstacle à la reconnaissance
de l'essentiel : l'amour bienveillant et chaleureux qui émane
d'elle peut prendre toute la place. Les marcheurs d'Emmaüs
ont ressenti et accueilli l'amour infini qui irradiait de l'étranger.
Ils ont alors pu le reconnaître à la fraction du pain.
Jésus a pris l'initiative
de la rencontre, il a mis la table en quelque sorte mais l'accueil
est entièrement de notre décision. « Tant que
nous ne disons pas: Viens, reste avec nous, nos yeux ne reconnaissent
pas le Ressuscité ».
Chronique
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L'athée et le croyant
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