La mission des apôtres. Fresque de Sainte-Sophie, Kiev (Wikimedia).
Libérons le trésor !
Alain Faucher | 11e dimanche du Temps ordinaire (A) – 18 juin 2023
Mission des Douze : Matthieu 9, 36 – 10, 8
Lectures : Exode 19, 2-6a ; Psaume 99 (100) ; Romains 5, 6-11
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Si nous n’y prêtons pas attention, les lectures bibliques de ce dimanche semblent bien éloignées de nos préoccupations. Il est question du plan de Dieu pour son peuple, de la réconciliation rendue possible en son Fils, et de la propagation du message de Jésus dans son entourage grâce à la diversité des membres du groupe de messagers. Tout cela semble bien loin de notre quotidien… à moins de se poser franchement la question : « Et si je me sens impliqué, quelle différence cela fera dans mon appréciation de ces textes? » Pour répondre en une phrase : « Si je me sens impliqué, je vais prendre conscience de mon identité aux yeux de Dieu, de ma participation à sa vie de sainteté et de ma contribution à l’annonce de la Bonne Nouvelle. » Rien de moins…
Ces contenus de niveau supérieur viennent à la rescousse de notre vie mystique. Nous approfondissons notre relation à Dieu et notre participation à son Royaume des cieux par Église interposée. Oui, c’est loin de mon quotidien, si je reste distrait ; non, ce n’est pas loin, au contraire, si je considère le statut nouveau donné à mon existence par les dons de Dieu.
À première lecture, ces pages de la Bible semblent disparates et peu pertinentes dans le cadre de la culture actuelle. En approfondissant un peu, nous constaterons que le Dieu de Moïse a le même projet pour nous que le Dieu de Jésus et de Paul. Dignité et engagement sont au rendez-vous. Nous avons tout intérêt à puiser à ces trésors révélés dans ces quelques lignes de Bible. Cela nous permettra de saisir le tonus actuel des diocèses impliqués dans une conversion missionnaire. L’Évangile de ce dimanche s’y incarne devant nous à la vitesse grand V.
Le trésor de Dieu
Une fois n’est pas coutume : nous suivons le fil des lectures et nous portons d’abord attention à la première lecture (Exode 19,2-6a). Il s’agit d’un texte très important. Il donne le ton au dimanche. De plus, ce programme divin trouve écho dans tout le reste de la Bible, particulièrement dans le Nouveau Testament. Ce texte est un ingrédient important de notre culture biblique.
Dieu annonce le statut bonifié qu’il entrevoit pour son peuple fraîchement sauvé de l’esclavage des Égyptiens. Les termes royaume de prêtres et nation sainte ne nous émeuvent pas, car nous les avons tellement entendus! Pourtant, ils amorcent une révolution. Désormais, le peuple libéré de l’esclavage d’Égypte a libre accès à Dieu (en cela, il est prêtre). Ce n’est plus un ramassis de gens mal fagotés, mais un immense groupe structuré, une nation en hébreu. Ce groupe structuré sera visible parmi les autres peuples grâce à ses institutions stables. Tout cela devient possible parce que ce groupe humain menacé de génocide par Pharaon est pour Dieu comme un trésor (son domaine particulier).
Le choix de Dieu n’est pas une injustice face aux autres peuples, mais plutôt un message, un signe. Le peuple hébreu est comme un étendard levé au-dessus des nations pour leur rappeler que Dieu veut vivre au milieu de l’humanité, pas au-dessus d’elle pour l’écraser. Le prophète Isaïe insistera sur ce rôle de signalétique. Voir à ce sujet Isaïe 11,10. Cette présence centrale de Dieu veut rendre l’humanité meilleure en l’accordant à la nature même de Dieu : sa sainteté. La deuxième lecture nous en apprend plus sur ce sujet.
Les étrangers réconciliés
Dans sa mort, le Christ a porté les conséquences de notre péché (voir Romains 5,6-11). Il nous a ainsi réconciliés avec Dieu. Nous ne sommes plus étrangers, mais ajustés à sa sainteté. Nous n’étions capables de rien, sans mérite et pécheurs. Nous sommes maintenant entrés dans une nouvelle relation avec Dieu. Une relation qui a de l’avenir, parce qu’enracinée dans le présent.
Par le sang de Jésus, nous sommes devenus des justes. Au sens propre : des ajustés à la sainteté de Dieu. Étonnant ce que le don du sang de Jésus a su accomplir! Quand nous accueillons le don de Dieu dans le pain et le vin consacrés, nous vivons dans notre corps ce processus de transformation. Il mène à terme le beau projet de Dieu en actualisant son programme narratif du livre de l’Exode proclamé aujourd’hui.
L’équipe rapprochée
Jésus contribue à la réalisation du programme proposé dans le livre de l’Exode. De même nature que le Père, Jésus rend accessible la sainteté même de Dieu à toutes les personnes qui accueilleront le don de sa présence et de son pain. On comprend alors son grand désir d’aller vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Il ne faut pas que soit dispersé ou abandonné le plus beau trésor de Dieu offert jadis aux esclaves libérés.
Au désert, Dieu a mis en évidence un peuple parmi tant d’autres. De même Jésus partage son projet avec quelques personnes. Cela n’enlève rien aux gens qui ne font pas partie de ce cercle restreint. Au contraire, cela leur permettra d’être rejoints par des interventions d’une portée comparable à celles offertes par Jésus lui-même.
Dans notre société, nous reconnaissons volontiers l’efficacité des coalitions. Ces regroupements temporaires de personnes visent la réussite commune de buts limités dans le temps. Dans l’évangile, Jésus propose au groupe choisi d’aller plus loin dans l’engagement. La faction apostolique qu’il suscite lui sera loyale. Elle reproduira son action en la multipliant. C’est la base du concept d’Église missionnaire remis en évidence par notre pape François.
Dans la continuité du message de Jean-Baptiste (le Royaume des cieux est tout proche), Jésus munit ses fidèles apôtres de pouvoirs semblables aux siens. Ils vont guérir et chasser les démons. Excellente carte de visite à cette époque, où les messagers de Dieu exerçaient couramment de telles libérations! Les apôtres n’ont aucun mérite qui justifie le don de Dieu à leur égard. Ils sont inclus dans une dynamique de gratuité. Il s’agit de transmettre gratuitement ce qui a été donné gratuitement.
Logique féconde et constructive, mais aussi contestataire! Replaçons cette consigne dans le contexte de l’époque. En culture méditerranéenne, il n’y a jamais rien de gratuit. Chaque cadeau arrive avec un fil attaché. Jésus prend ici le contrepied de la sagesse populaire. La grandeur du don de Dieu est telle que rien ne peut l’acheter.
Ces observations sur l’évangile questionnent notre manière de vivre l’attachement à Jésus. Voulons-nous vivre une adhésion semblable à celle des apôtres? Nous préférons probablement garder une distance prudente qui facilite la fuite en cas de tension. Nous prétendons rénover l’Église en constituant des petits groupes de toute nature. Gardons présent à l’esprit ce trait impliquant l’action de Jésus. Il donne une pleine participation à ses pouvoirs. La synodalité est déjà à l’œuvre. Sommes-nous prêts à accueillir ce don splendide? Voulons-nous vraiment articuler notre mode de vie autour de sa personne et de son message? Dans une société de consommation, ces questions doivent être posées, pour éviter l’illusion d’un engagement qui ne soit que l’affaire d’un instant...
En attendant de pouvoir (ou vouloir) nous engager avec la même intensité que les Douze, entraînons-nous à enraciner nos interventions dans l’activité même de Jésus. Nous ne sommes pas laissés à notre seule initiative. Nous ne sommes pas des solistes du spirituel. Si nous partageons la compassion de Jésus pour les foules abandonnées, nous comprendrons vite que le nombre importe peu. Quelques vaillantes personnes engagées sauront bien trouver les moyens de sauver la récolte et de libérer le trésor.
Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.
Source : Le Feuillet biblique, no 2808. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.