(Andrzej Rusinowski / Unsplash)
Afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux…
Patrice Bergeron | 7e dimanche du Temps ordinaire (A) – 19 février 2023
La vengeance et l’amour des ennemis : Matthieu 5, 38-48
Les lectures : Lévitique 19, 1-2.17-18 ; Psaume 102 (103) ; 1 Corinthiens 3, 16-23
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Depuis déjà quelques dimanches, la proclamation évangélique nous fait réentendre le Sermon sur la montagne, pièce majeure de l’évangile de Matthieu. On le sait, pour exalter l’autorité de Jésus et le présenter comme un nouveau Moïse, auteur d’une Loi nouvelle, cet évangéliste regroupe en cinq grands discours les différents enseignements du Maître, alludant ainsi aux cinq livres de la Torah. Le Sermon sur la montagne [1] est le premier et le plus long de ces discours de Jésus dans le premier évangile.
Le Sermon étant commencé depuis quelques semaines, l’extrait de ce dimanche appartient au corps du discours de Jésus qui développe six antithèses (Mt 5,21-48) exhortant les disciples du Royaume à dépasser la justice des scribes et des Pharisiens. Ces six antithèses sont formatées de la même façon : d’abord par le rappel d’un enseignement traditionnel du judaïsme introduit par la formule Vous avez appris qu’il a été dit… et sa contrepartie révélant la Loi nouvelle apportée par Jésus, introduite par la formule Eh bien ! moi, je vous dis… Nous entendons en ce dimanche les deux dernières antithèses de cette partie du discours qui traitent de la vengeance et de l’amour du prochain.
Du « œil pour œil » à l’amour désarmant!
Cet « œil pour œil et dent pour dent » ou ce que nous appelons communément la loi du talion se trouve effectivement dans la Bible (Exode 21,24 ; Lévitique 24,20 ; Deutéronome 19,21). Cette loi, visant à harnacher les pulsions vengeresses parfois insatiables du cœur, humanisait les relations entre adversaires. En ce sens, elle marquait déjà un progrès par rapport aux mœurs parfois si cruelles des peuples de l’Antiquité. À cette mesure « raisonnable » de la loi juive, Jésus oppose ou propose un amour qui va plus loin : un pacifisme, un refus de vengeance, une générosité qui désarme l’adversaire et met fin à l’escalade des violences et des exactions.
De la haine à l’amour des ennemis!
Si le commandement de l’amour du prochain se trouve bel et bien enchâssé dans la sagesse juive et biblique (première lecture de ce dimanche, Lv 19,18), on n’y retrouve cependant pas son pendant négatif exhortant à « haïr » ses ennemis. Cette maxime exprimée par Jésus relève peut-être plus ou d’un enseignement commun ou d’un quelconque dicton populaire. Une chose est certaine, c’est que Jésus élargit le concept du « prochain » qui, dans le judaïsme de l’époque, ne pouvait désigner que le frère ou la sœur de son propre peuple (Israël). Si le prochain à aimer s’étend jusqu’aux ennemis et à ceux qui nous persécutent, c’est que Jésus nous invite à un amour universel et total à l’image de celui de Dieu.
« Vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait »
Justement, le modèle, l’inspiration et la source de cet amour qui « va jusqu’au bout » se trouvent bien en Dieu. Relisons l’évangile de ce dimanche et nous réaliserons que l’idéal décrit ici, correspond parfaitement à l’attitude que Dieu prend face à l’humanité. Dieu est celui qui renonce à se venger, Dieu est celui qui aime ses ennemis, Dieu est celui qui donne même à celui qui le dérobe, Dieu est celui qui ne tourne jamais le dos à l’humanité, Dieu est celui qui fait briller son soleil et tomber la pluie sur le bon et le méchant, sans égard au mérite. C’est l’attitude de Dieu, c’est celle qu’a eue Jésus en passant dans l’humanité, car Jésus est la parfaite image du Père. L’idéal chrétien est d’imiter Jésus, maître et enseignant d’une nouvelle manière d’être humain qui se nomme le Royaume des Cieux.
Et si Dieu est le modèle inspirant de ce radicalisme de l’amour, il en est aussi la source. Par nos seules forces humaines, nous nous trouverons rapidement dépassés par les exigences du Sermon sur la montagne. Peut-être serons-nous même outrés par ce maître osant nous prescrire des cibles que nous pensons hors d’atteinte. Mais Dieu rend l’homme capable de Dieu : par le don du Saint Esprit, le disciple est secouru par la grâce divine et rendu apte à mettre en pratique cette justice du Royaume dont le mortier est l’amour.
Un dernier mot…
Quand Jésus nous invite à aimer jusqu’à nos ennemis, il faut se méfier de notre acception moderne du mot « amour » ou « aimer ». Pour nous, au 21e siècle, on a fait de l’amour un sentiment, une émotion, une affinité, un attrait... L’amour dans la Bible, n’a pas nécessairement à voir avec le sentiment amoureux ou encore l’attrait ou la répulsion que je peux ressentir naturellement envers une personne. L’amour selon la Bible, c’est un acte, un choix, un don, une action bienveillante portée envers quelqu’un. En ce sens, je peux décider d’aimer, de donner même à ceux envers qui je ne ressens pas particulièrement d’affinités, pour qui je ne ressens pas un sentiment particulier. Vu ainsi, l’amour d’un ennemi semble déjà plus réalisable.
Le Sermon sur la montagne est un chemin à prendre à la suite de Jésus. Si c’est un chemin, il ne faut pas penser qu’il nous faut être arrivé tout de suite à destination qui est « d’être parfaits comme le Père céleste est parfait ». Il s’agit de se mettre en route et de faire confiance à Jésus qui croit, lui, que nous sommes capables de faire ce chemin. Mettons-nous en route avec lui.
Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.
Source : Le Feuillet biblique, no 2789. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.
[1] Que Jésus tienne ce discours sur une montagne rappelant le Sinaï renforce également le parallélisme Moïse-Jésus.