Jésus le Christ. © Jorge Cocco Santángelo, 2018. Huile sur toile,50,8 x 40,6 cm.
L’œuvre est actuellement exposée au Museum of Biblical Art, Dallas (avec la permission de l’artiste).
La Loi Nouvelle
Lorraine Caza | 6e dimanche du Temps ordinaire (A) – 12 février 2023
Jésus et la Loi : Matthieu 5, 17-37
Les lectures : Sirac 15, 15-20 ; Psaume 118 (119) ; 1 Corinthiens 2, 6-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Nous célébrons le 6e dimanche du temps ordinaire de l’année A. Depuis le 4e dimanche jusqu’au 9e, nous sommes conviés à approfondir un certain nombre des thèmes du premier des cinq discours qui constituent la trame de l’évangile de Matthieu. Ce discours qu’on appelle le Sermon sur la Montagne couvre trois chapitres (5-7).
Au 4e dimanche, c’est le texte matthéen des Béatitudes (Mt 5,3-12) qui avait retenu notre attention. Les deux inspirantes images du sel de la terre et de la lumière du monde nous ont accompagnés, dimanche dernier. Aujourd’hui, en ce 6e dimanche, ce qui est proclamé pour nous, c’est la Loi Nouvelle, cette loi qui n’abolit pas la Loi donnée par Dieu à son peuple, mais la perfectionne en mettant très fort l’accent sur les dispositions intimes. Le message central de la présentation que Jésus nous fait de sa Loi Nouvelle dans le sermon sur la Montagne et certainement dans la portion sur laquelle nous nous penchons maintenant : c’est dans le cœur de l’homme que se joue le jeu de la fidélité à Dieu et de l’ouverture aux autres.
Il est intéressant de noter la référence à Dieu, notre Père, qui introduit le passage que nous voulons scruter : « Ainsi, votre lumière doit-elle briller aux yeux des hommes pour que , voyant vos bonnes œuvres , ils en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5,16) et que l’on retrouve à deux reprises, à la fin de ce développement : « Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs : ainsi serez-vous fils de votre Père qui est aux cieux… » (Mt 5,44) et « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48).
Quatre antithèses
Nous lisons donc les quatre antithèses de ce dimanche à la lumière de l’insurpassable amour du Père des cieux pour nous, et de l’appel de Jésus à être parfaits comme notre Père des cieux. Alors que la loi ancienne interdisait le meurtre (Exode 20,13 ; Deutéronome 5,17) voilà que Jésus, au nom de cette vocation à l’amour, se dit préoccupé de la racine d’un tel agir. Il affirme que derrière le meurtre, il y a souvent la colère, l’insulte, le fait de maudire son frère, sa sœur, toutes des attitudes qui parlent d’un déficit d’amour, toutes des attitudes qu’on ne peut concilier avec une relation authentique au Dieu-Amour. Me souvenir que mon frère, ma sœur, a quelque chose contre moi, c’est porter mon attention sur mon frère, sur ma sœur, sur son attitude négative à mon égard et réaliser que cela n’est pas étranger à mon attitude face à Dieu. Quand je paraîtrai face à Dieu, le juge suprême de nos vies, il nous faudra avoir pris au sérieux cette exigence de la réconciliation.
À vrai dire, cette première antithèse n’est pas sans lien avec la béatitude des doux : « Heureux les doux, ils possèderont la terre ». Les doux, en effet, ne se contentent pas uniquement de ne pas attenter à la vie des autres ; ils travaillent à vaincre la colère, l’insulte, tout ce qui nuit à la vie. Ils rejoignent donc le Fils bien-aimé du Père dont l’Écriture nous dit qu’il est doux et humble de cœur.
Les antithèses 2 et 3 expriment déjà un grand souci pour un des plus intimes visages de l’amour humain. La Loi ancienne interdisait l’adultère (Ex 20,14 ; Dt 5,18). Jésus va plus loin : Questionnez-vous, nous dit-il, sur la racine même d’un tel agir. « Si quelqu’un regarde une femme avec convoitise, s’il cultive l’envie de posséder comme sa chose, un objet ou une personne, il a déjà commis l’adultère dans son cœur ». Le texte, pour préciser les instruments humains de cette convoitise, signale le rôle de l’œil et de la main. L’image de l’œil exprime l’intention et la main symbolise bien le passage à l’acte.
La loi ancienne demandait que, dans le cas d’un renvoi de la femme par l’homme, ce dernier lui donne un acte de répudiation. « Lorsqu’un homme épouse une femme, puis, trouvant en elle quelque chose qui lui fait honte, cesse de la regarder avec faveur, rédige pour elle une lettre de répudiation et la lui remet en la renvoyant de chez-lui… » (Dt 24,1)
Il semble donc que l’homme pouvait avoir nombre de raisons de renvoyer sa femme. Au temps de Jésus, les scribes débattaient surtout autour des motifs donnant à un mari le droit de répudier sa femme. Jésus va beaucoup plus loin. Il ne reconnaît que le cas de l’union illégitime (l’exception, la restriction matthéenne) comme motif légitime de renvoi. Il laisse entendre qu’une répudiation peut pousser la femme renvoyée à l’adultère et que l’homme qui épouse une femme renvoyée est adultère à son tour.
Avec ces antithèses touchant l’adultère et le divorce, sommes-nous bien loin de la béatitude des cœurs purs? « Heureux les cœurs purs ; ils verront Dieu ». Le cœur… situons-le comme le siège de toute la vie intime de l’homme : sa pensée, sa mémoire, ses sentiments, ses décisions. À quelles renonciations es-tu prêt à consentir au niveau de tes intentions, de ton agir pour être de ces cœurs qui verront Dieu?
Et nous voilà à la 4e antithèse. La Torah tenait en haute estime l’institution des serments et des vœux :
• Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur ton Dieu, car le Seigneur n’acquitte pas celui qui prononce son nom à tort (Ex 20,7).
• Ne prononcez pas de faux serment sous le couvert de mon Nom : tu profanerais le nom de ton Dieu. C’est moi le Seigneur (Lv 19,3).
• Lorsqu’un homme aura fait un vœu au Seigneur ou aura pris sous serment un engagement formel, il ne violera pas sa Parole : il se conformera exactement à la promesse sortie de sa bouche (Nb 30,3).
• Si tu fais un vœu au Seigneur ton Dieu, tu ne tarderas pas à l’accomplir, car autrement le Seigneur ton Dieu ne manquerait pas de te le réclamer, ce serait un péché pour toi. Ce qui sort de tes lèvres, veille à le mettre en pratique, suivant le vœu spontané au Seigneur ton Dieu que tu as formulé de ta propre bouche (Dt 23,22-24).
Encore ici, l’amour est en jeu. Déficit d’amour pour Dieu si on le prend à témoin d’une fausseté. Déficit d’amour envers un frère, une sœur, par des paroles inconsidérées, fausses. La 4e antithèse veut assurer la vérité dans les relations. Jésus pousse loin la radicalité. Ne jurez ni par le ciel, ni par la terre, ni par Jérusalem, ni sur ta tête. En un mot, engagez-vous sur le chemin de la simplification : « Que votre OUI soit OUI ; que votre NON soit NON. Tout ce qui est en plus vient du malin. »
Ici s’arrête la lecture évangélique de ce dimanche, mais n’oublions pas les deux dernières antithèses qui complètent le tableau saisissant proposé par Jésus. Les deux premières lectures de notre liturgie parlent aussi de sagesse : Ben Sirac nous rappelle que nous avons à choisir entre le bien et le mal, entre la vie et la mort, entre l’eau et le feu. (Si 15,15-20). Paul parle aux Corinthiens de Sagesse, mais en ayant bien soin de préciser que la sagesse du mystère de Dieu est bien différente de la sagesse de ce monde, qu’il s’agit d’une sagesse tenue cachée, prévue par Dieu dès avant les siècles, pour nous donner la gloire. C’est de cette sagesse que les antithèses de Matthieu nous parlent.
Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).
Source : Le Feuillet biblique, no 2788. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.