Nativité. © Brian T. Kershisnik, 2006. Huile sur toile, 213 x 518 cm.
Museum of Art, Brigham Young University, Provo UT (image : courtoisie de l’artiste).

La merveille de l’Incarnation

Alain FaucherAlain Faucher | Nativité du Seigneur (A) – 25 décvembre 2022

Messe de la nuit : Isaïe 9, 1-6 ; Psaume 95 (96) ; Tite 2, 11-14 ; Luc 2, 1-14
Messe de l’aurore : Isaïe 62, 11-12 ; Psaume 96 (97) ; Tite 3, 4-7 ; Luc 2, 15-20
Messe du jour : Isaïe 52, 7-10 ; Psaume 97 (98) ; Hébreux 1, 1-6 ; Jean 1, 1-18
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Pour célébrer dignement la merveille de l’Incarnation du Fils de Dieu, le Lectionnaire offre une variété de textes bibliques. Nos multiples tâches ne nous laissent pas toujours le temps d’explorer cette collection étoffée. Les contraintes pastorales nous obligent souvent à limiter notre choix aux propositions faites pour la messe de la nuit, peut-être aussi la messe du jour. Entre ces deux pôles, la brochette de lectures proposées pour la messe de l’aurore vient enrichir le répertoire biblique, en prolongeant ou en précisant des contenus bibliques abordés lors de la messe de la nuit.

Le format internet du Feuillet biblique laisse désormais une grande latitude au commentateur. Je me permettrai donc de butiner dans la totalité du menu proposé aux célébrants et aux priants pour le 25 décembre. Je récolterai au passage mes coups de cœur qui illuminent ces rencontres liturgiques annuelles que sont les messes de Noël. Puissent-elles ainsi éclairer un peu plus ce moment béni de notre année liturgique!

Un constat émerge de l’ensemble des lectures. Les transformations constatées, les discours entendus concernent le plus souvent de vastes territoires et des peuples nombreux. Les textes proposés par le Lectionnaire ne nous enferment jamais dans les limites locales. Cela correspond à l’envergure des transformations proposées aux individus : il s’agit de devenir « justes », c’est-à-dire accordés à Dieu, alignés sur Dieu. La Parole n’est pas freinée par le discours humain. Et les signes de cette envergure sont là, devant nous, qui se laissent voir et entendre…

Messe de la Nuit – La grâce de Dieu s’est manifestée

Isaïe 9, 1-6

En cette nuit de début d’hiver longue et pénible, un trait de lumière prophétique trace un contraste violent entre la barbarie humaine et la bienveillance divine. La perspective du texte est résolument collective : les propos concernent un peuple, pas seulement des individus.

Une série de phrases construites en parallèles présente de forts contrastes. La joie prend le dessus après que la lumière ait éclipsé ténèbres et ombre. D’autres images prennent le relais en branchant l’expérience du peuple sur des événements forts, familiers aux gens des régions bibliques : le moment de la récolte, le partage du butin de guerre, la destruction des équipements des soldats... Cette vision de paix élimine le joug, la barre qui retient les esclaves, le bâton du chef de corvée, les bottes des soldats et leurs manteaux dégoulinants du sang des vaincus…

Le champ sémantique de la victoire et de la paix devient alors prépondérant. Et l’avenir s’organise autour d’un enfant qui bénéficie d’une liste de désignations toutes plus prometteuses les unes que les autres. On le surnommera Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-paix… Ces étiquettes positives sont utiles pour apprécier l’apport de Jésus. Prendre le temps d’y réfléchir nous permet de relire la vie humaine de Jésus, d’alimenter notre admiration pour son rôle incontournable dans l’histoire de notre salut. Il est tellement plus que l’Enfant-Jésus, le charmant bambino de la crèche! En plus, cette nomenclature pacificatrice nous confirme l’importance de nous dissocier, comme croyantes et comme croyants, des ambitions guerrières de certains despotes.

Psaume 95 (96)

Toute la terre, toute la vie s’associent pour célébrer la venue et le jugement du Seigneur Dieu. On admire le caractère adulte de cette présentation joyeuse. Ce caractère adulte nous permet de dépasser les regards souvent enfantins auxquels nous confinons la Nativité de notre Seigneur. Plus grand que ça…

Tite 2, 11-14

La grâce de Dieu s’est manifestée. Ces quelques mots sont essentiels pour prendre conscience de la portée de la fête. Si j’avais la nécessité de n’utiliser qu’une lecture dans la nuit de Noël, ce serait celle-ci. Elle permet de dépasser tous les clichés et toutes les bébelles du commerce. Elle nous concentre sur ce qui compte vraiment dans notre vie de foi : « La grâce de Dieu s’est manifestée ».

Oui, le don gratuit de Dieu s’est rendu visible en Jésus. Cela fourmille de conséquences pratiques. Ce court extrait de lettre allie l’humanité universelle et ce qui est propre au peuple de Dieu. Il conjugue aussi le présent avec le futur exprimé dans l’horizon d’espérance.

La grâce de Dieu s’est manifestée. Ces largesses de Dieu sont pour tous. Pour changer la vie. Dans le présent. Cela implique de renoncer à certaines choses superflues pour vivre à fond la présence de Dieu. Tout en sachant attendre la manifestation du Seigneur, en vivant dans l’attente comme « un peuple ardent à faire le bien ». Autre expression vigoureuse! Elle décrit une foi engagée dans le concret du quotidien ouvert sur un horizon d’avenir.

La manifestation concrète de la grâce de Dieu génère de nouvelles normes pour discerner, en fonction de nos appartenances à Dieu, ce qui est raisonnable et ce qui est dissonant. Il est logique de vivre dans le temps présent selon une nouvelle attitude de justice et de piété, en cohérence avec la manifestation de la grâce divine. Ces critères prédominants expriment ce qui est désormais raisonnable. Tout cela concorde avec la bienheureuse espérance de la manifestation de Jésus Christ, notre Dieu et Sauveur.

Luc 2, 1-14

On a souvent enfermé la proclamation de ce texte dans une présentation de « crèche vivante ». Certes, cette mise en scène (souvent bancale) implique les familles et fait grand plaisir aux parents et aux grands-parents attendris. La mise en espace par des enfants qui débutent leur carrière en théâtre masque ou atténue souvent la vigueur de ce texte destiné à des adultes dans la foi. Car cet Évangile pose une question à fort potentiel de réalignement : quelle parole aura le plus d’effet sur la vie du monde ordinaire, la sollicitation administrative de l’empereur de Rome, ou la belle louange des messagers de Dieu?

Le récit ressemble aux bonnes nouvelles diffusées jadis de temps à autre aux peuples de l’Empire romain. Par exemple, au moment de la naissance d’un héritier. Mine de rien, le récit proclamé cette nuit tient du manifeste politique. Le récit est mené sur un ton ironique. Il décrit comme un combat deux prises de paroles, celles de l’empereur tout-puissant qui établit des normes et celles du Seigneur des cieux qui bouleversent la routine et l’habituel… Qui aime davantage l’humanité, qui fait davantage alliance avec elle?

L’empereur Auguste mène le monde depuis Rome, mais ce qui nous intéresse concerne un événement teinté du respect divin pour une modeste dynastie judéenne de jadis. Ce message est destiné en priorité à des exclus méprisés, des bergers inhibés dans leurs appartenances par les contraintes de leur métier peu respectueux du calendrier juif… Ainsi, la joie proclamée par les messagers divins concerne tout le monde, tout le peuple, toute l’humanité que Dieu aime, c’est-à-dire l’humanité à qui Dieu propose une alliance.

Dommage que la césure de ce chapitre lucanien survienne si tôt dans le Lectionnaire. On reste au ciel, ce qui est un peu contre-intuitif pour… la Fête de l’Incarnation. Mais l’évangile de la messe de l’aurore nous ramènera bien vite sur terre grâce à l’attitude de Marie.

Messe de l’Aurore – Vous n’avez pas tout vu!

Isaïe 62, 11-12

La voix du Seigneur se fait entendre partout à l’attention de la Fille de Sion. Il ne s’agit pas seulement d’une dame méritante, mais surtout d’un collectif. En effet, l’expression biblique « fille de tel lieu » désigne souvent un lieu géographique, un quartier près de la ville…

Ce qui se donne à entendre à ce groupe humain, c’est le travail de Dieu, l’ouvrage du Sauveur. Il changera pour le mieux les surnoms de la ville et du peuple. Eux, ils seront appelés Peuple-saint et Rachetés-par-le-Seigneur. La Fille de Sion sera appelée la-Désirée et la-Ville-qui-n’est-plus-délaissée.

L’horizon collectif s’illumine ainsi des largesses bienfaisantes de la présence du Sauveur. Elles s’appliquent à nous, qui sommes la Jérusalem implantée partout parmi les nations…

Psaume 96 (97)

Le Seigneur est un semeur de lumière. Partout sur terre, jusqu’aux îles innombrables, il remplit les peuples de joie. À condition qu’on aie le cœur assez simple et ouvert pour laisser cette joie faire son œuvre profonde… et se souvenir de son nom très saint.

Tite 3, 4-7

Quelques versets suffisent pour mettre en valeur deux moments du don de Dieu : la manifestation de sa miséricorde, la transformation opérée au baptême par le don de l’Esprit.

Rendus justes par la grâce du Sauveur, qui est Dieu autant que Jésus Christ, nous devenons en espérance héritiers de la vie éternelle.

Luc 2, 15-20

Les bergers sont en quête de cohérence. Heureusement, ce que les bergers voient en rencontrant Jésus est conforme aux annonces entendues de la part des messagers de Dieu.

Leur comportement nous inspire des applications à notre quotidien. À notre tour de nous nourrir du récit mis dans la bouche des messagers célestes. Pas seulement pour le recevoir, mais aussi pour le transmettre fidèlement. À notre tour d’imiter l’attitude de Marie, qui conservait en mémoire ce qu’on lui rapportait.

Voilà autant de munitions utiles lorsque les temps se feront durs… À notre tour aussi de savoir rendre gloire à Dieu pour ce qui est donné à l’humanité… Le récit de la Nativité est un prélude à la louange qui sera la marque de commerce de l’Évangile selon Luc…

Messe du Jour – Partout la lumière!

Isaïe 52, 7-10

Voici un troisième extrait de ce prophète qui remporte la palme au palmarès biblique de ce jour de fête. L’image des veilleurs qui voient arriver sur les montagnes les gens du grand retour a fait école. Elle se retrouve même dans le nom d’une ville dans le nouvel État d’Israël.

Des montagnes autour de Jérusalem, on voit venir le début d’un temps nouveau. Des ruines de Jérusalem surgit une espérance inédite : Dieu console, Dieu rachète.

Ce qui se passe en Sion n’a pas seulement un écho local ou régional. Cela a une portée universelle, pour « les lointains » de la terre.

Psaume 97 (98)

Un autre débordement de frontières! La terre tout entière a vu le salut donné au Peuple de Dieu. Ce n’est pas un secret bien gardé. C’est une nouvelle à proclamer avec musique à l’appui!

Hébreux 1, 1-6

Nous proclamons l’entrée en matière solennelle d’une grande réflexion sur le rôle de Jésus. La portée du don de Dieu se trouve ainsi mise en valeur pour les temps qui arrivent à maturité. La définition des tâches de Jésus se conjugue au passé (« il a créé les mondes ») et au futur (« établi héritier de toutes choses », premier-né du monde à venir).

On retrouve, grosso modo, des affirmations parallèles dans l’Évangile de cette messe du jour. Jésus est agent de communication : il rayonne de la gloire de Dieu, il exprime parfaitement son être, il porte l’univers par sa parole puissante… Avons-nous perçu toutes ces avenues que trace devant nous le Fils de Dieu? Peu étonnant que cette épître décrive le statut du Fils comme supérieur à celui des anges!

Jean 1, 1-18

… le Verbe s’est fait chair et il a campé parmi nous… Il y a tant à dire sur le Prologue du Quatrième évangile! Marc Girard a su mettre en évidence la structure de ce texte concentré, centré à la fois sur la divinité de Jésus et sur son incarnation [1].

Pour ma part, j’accueille comme des pierres précieuses certains fragments de ce texte. Ils témoignent de l’expérience croyante profonde de ses concepteurs. Le Verbe est présent avant la création (1,2). Il est par la suite identifié comme lumière (1,4b-5 et 6-9). Il est finalement présenté comme source de la vie en plénitude (1,14-18).

Comme Dieu dans le Premier Testament qui s’installa à demeure au milieu de son peuple, ainsi en est-il du Verbe : il se mit à déployer sa tente (1,14) au cœur du peuple de la création nouvelle. Avec comme résultat une grande opération de clarification : il est devenu l’exégète du Père (1,18). La ténèbre n’a pas eu le dernier mot. Le croyant ouvert à la grâce divine est partie prenante de la nouvelle création. La lumière est victorieuse.

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2781. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

[1] Marc Girard, Évangile selon Jean, structures et symboles, tome 1, Montréal, Médiaspaul, 2017, pages 39-60.

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