Le rêve de Joseph. T’oros Roslin, c. 1262. Encre et pigments sur parchemin. Walters Art Museum, Baltimore (CC).

L’identité de Jésus dans l’évangile de l’enfance de Matthieu

Lorraine CazaLorraine Caza | 4e dimanche de l’avent (A) – 18 décvembre 2022

Joseph et la visite d’un ange : Matthieu 1, 18-24
Les lectures : Isaïe 7, 10-16 ; Psaume 23 (24) ; Romains 1, 1-7
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Au 4e dimanche de l’Avent de l’année liturgique A, ce qui nous est offert comme texte évangélique, c’est l’annonce à Joseph de la naissance de Jésus. En 2023 (Année B), c’est le récit lucanien de cette annonce qui nous sera donné, mais cette fois, c’est à Marie que le message sera adressé. Il est très clair que les angles d’approche de la conception, de la naissance et de l’enfance de Jésus sont différents chez les deux évangélistes.

En Matthieu, deux éléments figurent au premier chapitre : la généalogie de Jésus autour d’Abraham et de David et l’annonce à Joseph qui va nous retenir. Le second chapitre comprend la visite des mages, la fuite en Égypte (qui semble nous remettre en mémoire Moïse et la libération d’Égypte), le massacre des Innocents et, enfin, le retour d’Égypte et l’installation à Nazareth.

La figure de Joseph

C’est donc la personne de Joseph qui a la vedette dans le témoignage de Matthieu. Quatre fois, dans ces quelques versets, il reçoit une apparition en songe de l’ange du Seigneur : la première fois, un ange lui annonce la conception mystérieuse de Jésus ; la seconde fois, l’ange annonce à Joseph qu’il doit fuir en Égypte avec la mère et l’enfant ; la troisième fois, en Égypte, en songe toujours, l’ange lui annonce qu’il doit regagner le pays d’Israël avec la mère et l’enfant. L’ange sera mentionné une quatrième fois, annonçant avec précision que la famille doit se rendre en Galilée.

Pour bien saisir le début du texte de la première annonce à Joseph, rappelons-nous les deux temps d’un mariage dans la Galilée de cette époque : il y avait d’abord un échange formel de consentements devant des témoins, mais l’épouse (serait-il plus juste de dire : la fiancée?) ne partageait pas alors le domicile de l’époux : ils n’habitaient pas ensemble. C’est à la seconde étape que la fiancée était conduite chez son fiancé. Une femme qui était enceinte avant la seconde étape était considérée adultère et donc passible de lapidation ou, au moins, de renvoi par son fiancé.

Jésus, de la lignée de David par Joseph

Le choix de Joseph, le juste, nous dit Matthieu, c’est de ne pas dénoncer publiquement Marie, mais de la renvoyer secrètement. C’est là, dans le récit, qu’intervient l’ange du Seigneur enjoignant Joseph de prendre Marie chez lui. Le contenu du message de l’ange du Seigneur, tel que Matthieu nous le livre, est très riche en révélation de l’identité de Jésus. Joseph est identifié comme fils de David. S’il prend Marie chez lui, c’est donc que, comme père, il accepte l’enfant. Il ne sera pas père au sens physique, mais bien au sens légal ; ce qui permet de dire de Jésus qu’il est de la lignée de David, qu’il est fils de David. Or, on sait que ce titre est donné dix fois à Jésus dans cet évangile, mettant en lumière la pleine humanité de Jésus, alors que les évangiles de Marc et de Luc ne réservent ce titre à Jésus que dans deux épisodes de leur récit, et chaque fois, le titre apparaît deux fois.

Jésus, vrai homme, vrai Dieu

L’ange du Seigneur ajoute que ce qui est engendré en Marie vient de l’Esprit Saint. Il ne s’agit donc pas d’une conception humaine ordinaire. Matthieu, en invoquant l’action souveraine de l’Esprit Saint n’introduit-il pas l’identité de fils de Dieu dans la présentation de l’identité de Jésus ? En somme, Matthieu, par le rôle de père légal donné à Joseph, affirme Jésus, vrai homme ; en exprimant le rôle de l’Esprit Saint dans la conception, il ouvre la porte pour le reconnaître fils de Dieu.

Aux versets 22-23, une citation biblique introduite comme une formule d’accomplissement nous est donnée par Matthieu. Cinq de la douzaine de citations bibliques que cet évangéliste présente se retrouvent dans les deux premiers chapitres de son texte. Il s’agit d’Isaïe 7,14 où est annoncé par le prophète au roi Acaz la naissance d’un enfant qui naîtra d’une jeune femme (en hébreu ‘alma). La Septante (LXX) a traduit cette référence à l’alma du texte hébreu par le grec parthenos, précisant ainsi que la jeune femme est vierge. On comprend que la citation ainsi traduite correspondait bien au propos de Matthieu.

 Le verset 21 mettait au compte de l’ange que Joseph devait donner à l’enfant le nom de Jésus pour le présenter comme celui qui sauvera son peuple de ses péchés. La citation, elle, dit du fils enfanté, qu’on le nommera Emmanuel, nom qui se traduit : Dieu avec nous. Le verset 25 qui clôt la péricope revient sur le nom en disant que Joseph a nommé l’enfant : Jésus. L’Emmanuel du texte d’Isaïe est donc là, non pour nous dire comment on appellera l’enfant, mais bien pour mettre en relief que Jésus est vraiment le fils de Dieu.

Pour Matthieu, Jésus est donc identifié fils de Dieu dès sa conception. Dans la scène du baptême par Jean au Jourdain, la voix venue du ciel affirmera : Celui-ci est mon Fils bien-aimé (3,17), déclarant donc la divinité de Jésus reconnue déjà au début de son ministère. Le récit de la Transfiguration situé plus tard dans la vie publique témoigne du fait que la voix dans la nuée a également affirmé : Celui-ci est mon fils bien-aimé.

On ne peut que s’émerveiller de trouver, comme seconde lecture de cette liturgie du sommet de l’Avent, le début de la lettre de Paul aux Romains. Cet écrit aurait été rédigé, croyons-nous vers l’année 58. Qu’est-ce que Paul, à cette date, pouvait proclamer de l’identité de Jésus ? Mis à part pour annoncer l’Évangile de Dieu, dit Paul, en précisant que cette Bonne Nouvelle était promise par les prophètes dans les saintes Écritures et qu’elle concerne Jésus-Christ notre Seigneur, issu de la lignée de David, selon la chair, établi fils de Dieu avec puissance par sa résurrection des morts. Paul était donc capable, plusieurs années avant la rédaction de l’évangile matthéen de confesser Jésus comme vrai Homme et vrai Dieu.

Plus tard, Matthieu proclamera que, déjà à son baptême, Jésus était fils de Dieu, et même qu’à sa conception dans le sein de Marie, Il était le Fils unique. Et nous savons que lorsque Jean nous livrera le quatrième évangile, il dira : Au commencement était le Verbe… et le verbe était Dieu… le Verbe s’est fait chair. Avant l’Incarnation, toujours, la Parole de Dieu, le Fils, était Dieu.

Pour le 150e anniversaire de la déclaration de Joseph comme patron de l’Église universelle, le pape François nous a adressé, le 8 décembre 2020, la lettre apostolique Avec un cœur de Père. Glanons quelques pensées de cet écrit, au moment où nous rappelons le rôle de Joseph dans la vie de Jésus.

 « Humble charpentier promis en mariage à Marie… homme juste, toujours prêt à accomplir la volonté de Dieu manifestée dans sa Loi et à travers quatre songes… il eut le courage d’assumer la paternité légale de Jésus à qui il donna le nom révélé par l’ange… Saint Paul VI observe que sa paternité s’est exprimée concrètement dans le fait ‘d’avoir fait de sa vie un service, un sacrifice au mystère de l’Incarnation et à la mission rédemptrice qui s’y est jointe’… En tant que descendant de David, la racine dont devait germer Jésus selon la promesse faite à David par le prophète Nathan, et comme époux de Marie de Nazareth, saint Joseph est la charnière entre l’Ancien et le Nouveau Testament... Dieu a aussi révélé à Joseph ses desseins par des songes… Dans la Bible comme chez tous les peuples antiques, les songes étaient considérés comme un des moyens par lesquels Dieu manifeste sa volonté… Joseph est l’homme par qui Dieu prend soin des commencements de l’histoire de la Rédemption. Il est le vrai ‘miracle’ par lequel Dieu sauve l’enfant et sa mère ». 

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).

Source : Le Feuillet biblique, no 2780. Ce texte est dabord paru dans Le Feuillet biblique 1600 (3 décembre 1995). Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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