Barack Obama vêtu comme Superman (Original Anthem / Flickr).

Qu’attendons-nous d’un messie ?

Francine Robert Francine Robert | 3e dimanche de l’avent (A) – 11 décvembre 2022

Jean le Baptiste et Jésus : Matthieu 11, 2-11
Les lectures : Isaïe 35, 1-6a.10 ; Psaume 145 (146) ; Jacques 5, 7-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Vous rappelez-vous l’élection de Barack Obama ? Des milliers de personnes l’ont salué comme un nouveau messie ! Même sans aller aussi loin, on sait que sa venue a soulevé partout des espoirs immenses. L’opinion publique de plusieurs pays exprimait d’énormes attentes. Obama allait s’attaquer avec courage et conviction à la crise raciale aux USA, au marasme économique, au rétablissement des amitiés entre nations, aux désastres du Moyen-Orient, etc. On parlait même du ‘nouveau messie vert’. Certes, il ne manquait ni de courage ni de convictions, en plus du pouvoir réel d’un président des USA. Et pourtant... [1]

Se succèdent encore les famines et les guerres, les chefs d’état narcissiques soûlés de pouvoir (à vous d’en nommer...), l’écart grandissant entre riches et pauvres, les crises raciales aux USA et ailleurs, les relations internationales tendues, les lenteurs de la lutte aux changements climatiques, et j’en passe !

Notre messie à nous, Jésus, est-il vraiment venu ? Voyons-nous l’humanité transformée ? La paix et la justice dans le monde ? La disparition des violents, tireurs fous et agresseurs en tous genres ? des salauds, abuseurs d’enfants et arnaqueurs de gens naïfs ? Nous arrive-t-il de nous poser, à propos de Jésus, des questions semblables à celle de Jean ?

Les doutes de Jean le baptiste

La question que Jean pose à Jésus devrait nous surprendre : Es-tu celui qu’on attend, ou faut-il en attendre un autre ? Étonnant surtout en Matthieu, car dans son récit du baptême, Jean a reconnu en Jésus l’envoyé de Dieu en lui disant : C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi (3,14). Qu’est-il arrivé pour que maintenant il ne sache plus quoi penser de Jésus ? Ou plutôt, qu’est-ce qui n’est PAS arrivé ?

Jean proclame vigoureusement un baptême de conversion. Il annonce la ‘Colère prochaine’, la hache prête à couper l’arbre sans fruit, la séparation du bon grain et de la paille à brûler (3,7-12). Ces images bibliques évoquent le Jugement de Dieu. Jean appelle à se reconnaître pécheur afin d’obtenir le pardon, pour échapper à la colère qui vient.

Jésus désigne Jean comme le messager annoncé par le prophète Malachie : Voici que je vais envoyer mon messager pour qu’il fraye un chemin devant moi. Mais lisons la suite de Malachie : Et soudain, il entrera dans son sanctuaire, le Seigneur que vous cherchez. L’Ange de l’alliance que vous désirez, le voici qui vient ! dit Yahvé Sabaot. Qui soutiendra le jour de son arrivée ? Qui restera droit quand il apparaîtra ? Car il est comme le feu du fondeur, la lessive des blanchisseurs. Il viendra pour fondre et purifier l’argent. (...) Je m’approcherai de vous pour le jugement, je serai un témoin prompt contre les devins, les adultères et les parjures, contre ceux qui exploitent le salarié, la veuve et l’orphelin, et qui oppriment l’étranger, sans me craindre, dit Yahvé Sabaot (Malachie 3,1-5).

Pour Jean, “Celui qui vient” est Dieu, ou celui à qui Dieu délègue la fonction du jugement. Son style de vie et ses discours expriment le temps du repentir, du jeûne et de l’ascèse, un temps de lamentations. Jésus soulignera que les publicains et les prostituées ont entendu son appel au repentir, contrairement aux pharisiens et aux scribes (21,31-32).

Ce que Jean entend dire à propos de Jésus ne correspond pas à son attente. Jésus tarde beaucoup à opérer la purification du peuple par le feu, la séparation finale entre les ‘bons’ et les ‘mauvais’. Il invite même à ne pas arracher la mauvaise herbe ; ce sera à Dieu de séparer l’ivraie du bon grain (Mt 13,24-30). Car les prophètes et Jean ont raison : la violence contre les petits suscite la colère de Dieu. L’ivraie ira peut-être au feu, au jour du Jugement dernier.

Mais Jésus ne joue pas ce rôle. Au lieu d’accomplir le jugement attendu, il annonce l’amour et le pardon de Dieu. Il fréquente les injustes et les justes, il ne pratique ni ascèse ni jeûne (voir Mt 9,14-15). Certes, il appelle à la conversion, mais avec patience et amour, dans la joie de l’Alliance, plutôt que dans la crainte et la colère. D’où le doute et la question de Jean : Jésus est-il Celui qui vient ? Ou faut-il en attendre un autre ?

Reconnaître les signes

La réponse de Jésus est indirecte : une liste d’actes bienfaisants tirés de textes d'Isaïe qui annoncent tous la venue du Messie ou du salut de Dieu (Isaïe 26,19 ; 29,18 ; 35,5-6 ; 61,1). Pour qui connaît les Écritures, Jésus s’identifie donc bien à Celui que l’on attend. Mais il le fait en soulignant plutôt le salut et le don divins : quand Dieu vient, on est guéri, accueilli, relevé, etc. Aucune trace de jugement dans cette venue ! Les signes sont donnés pour nourrir l’espérance et la confiance en Dieu, et non pour entretenir la crainte. La liste est clôturée par la Bonne Nouvelle de Dieu annoncée aux pauvres, à ces petites gens qui peuvent perdre espoir.

Ce ton est très différent de celui de Jean. D’ailleurs Jésus sait bien que sa proclamation sur Dieu peut réjouir ou décevoir. L’espérance en Dieu prenait diverses formes dans le peuple. Plusieurs comptaient sur le grand ménage, l’exclusion et le châtiment des impies, et le triomphe des justes, enfin ! Leur espérance est fondée sur le Jugement de Dieu annoncé par les prophètes (comme Malachie 3). Ceux-là sont choqués, parfois scandalisés par Jésus. Les apôtres eux-mêmes douteront en rencontrant le Ressuscité (Mt 28,17), et espéreront encore la fin des violences et la libération du peuple opprimé (Actes 1,6).

Oui, Jésus en a scandalisé ou déçu plusieurs, comme il le craignait. C’est ce verbe ‘scandaliser’ qu’on traduit au v. 6 ‘être une occasion de chute’. Encore aujourd’hui, on rêve d’un messie tout-puissant, capable de détruire le mal dans l’humanité et le monde. Encore aujourd’hui, la faiblesse des moyens de Jésus scandalise, et la non-intervention de Dieu rend la foi impossible aux yeux de plusieurs.

Le ‘petit’ plus grand que Jean ?

Jésus enchaîne en soulignant la grandeur de Jean, et son importance dans le plan de Dieu : comme les anciens prophètes, son appel vigoureux à la conversion est indispensable. Pourtant, le plus petit dans le Règne de Dieu est plus grand que lui. Jésus ne compare pas des personnes ici, mais plutôt deux temps du salut. La nouveauté radicale qui commence avec lui transforme la relation à Dieu. En cet homme qui est ‘Dieu-avec-nous’ (Mt 1,23), le plus petit peut recevoir cette Bonne Nouvelle : Dieu n’est pas ‘contre nous’. Chaque personne peut recevoir le don de Dieu, découvrir son désir infini de la sauver. Chaque plus petit est plus heureux que Jean, en accueillant ce visage de Dieu révélé en Jésus.

Des signes à voir et à produire

Notre monde n’est pas encore le Règne de Dieu, c’est tragiquement vrai. Il est plutôt un « chaos de hurlements sauvages » (Deutéronome 32,10). Le ‘Messie’ que Jésus a été ne correspond pas au Superman de notre imaginaire. Il n’a pas réglé les problèmes. Il n’a même pas guéri tous les aveugles et autres malades de son pays. Pourtant, ses actes et ses attitudes révèlent sa confiance totale en Dieu, et en une humanité habitée par l’Amour infini, pour ainsi dire ‘aimantée’ par Dieu, orientée et attirée comme la limaille de fer par un aimant puissant.

Les signes sont donnés déjà, et d’autres restent toujours à produire. Dans Matthieu, l’envoi des Douze en mission, avant même de les nommer, commence ainsi : Jésus leur donna autorité sur les esprits impurs, pour qu'ils les chassent et qu'ils guérissent toute maladie et toute faiblesse, selon la formule identique qui dit sa propre mission (voir Mt 4,23 ; 9,35 ; 10,1.7-8 ; 12,28). Proclamer que ‘le Règne de Dieu s'est approché’, c’est apprendre à reconnaître les signes et à les nommer pour d’autres, comme Jésus le fait pour éclairer Jean quand il doute. Et c’est aussi en produire nous-mêmes, comme les disciples envoyés.

Quels signes ? Des actes et des attitudes qui disent aux pauvres, aux petits et aux gens qui combattent pour la justice que le Règne de Dieu est pour eux (5,3.10 ; 18,3-4 ; 19,14). Il est même à ceux-là qui agissent ainsi sans référence à l’Évangile, ceux et celles qui viennent d’ailleurs et qui demandent quand donc ils ont nourri, vêtu et hébergé le Fils de l’Homme (Mt 8,11 ; 25,31-40). Bien sûr ces signes apportent du salut à échelle réduite, interpersonnelle. Mais ils comptent, tout autant qu’ils comptaient dans l’agir limité de Jésus. Ils comptent comme le grain de moutarde et le peu de levain dans la pâte (Mt 13,31-33).

À une échelle plus vaste, des signes sont donnés aussi, qui parlent du Règne de Dieu à l’œuvre aujourd’hui, dans ce monde compliqué : des mobilisations contre le racisme et la violence, des projets d’aide variés comme les cuisines collectives, l’accueil des migrants et des réfugiés de guerre, la réconciliation avec les autochtones, l’aveu des fautes historiques, etc. Des efforts certes insuffisants mais qui ont un impact réel, pour faire advenir des sociétés plus justes. Un exemple concret qui m’a fait du bien : un courriel de la Coalition humanitaire du Canada m’informant avoir recueilli plus de 10,6 millions de dollars en quelques semaines, pour nourrir et soigner des gens en détresse urgente. Il se termine par ces mots : « La faim atteint un niveau catastrophique, mais nous pouvons tous agir. » Ça m’a rappelé Obama : il n’a pas dit « Yes I can » mais bien « Yes WE can ! »

Nous demandons à Dieu « que ton Règne vienne, que ta Volonté soit faite », avec confiance et espérance, dans le monde réel et non dans l’illusoire d’un super-héros de Marvel. À nous de montrer ces signes du Règne qu’on voit trop rarement aux infos. Car en ces temps de cynisme, bien des gens ont un besoin urgent d’espoir. Et peut-être nous aussi...

Diplômée en études bibliques, Francine Robert est professeure retraitée de l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).

Source : Le Feuillet biblique, no 2779. Ce texte est dabord paru dans Le Feuillet biblique 1600 (3 décembre 1995). Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

[1] Trois des nombreux articles qui reflètent ces espoirs : https://www.bondyblog.fr/international/obama-c-est-notre-nouveau-prophete-c-est-le-messie/ ; https://www.courrierinternational.com/article/2012/11/13/arretons-de-prendre-obama-pour-le-messie ; http://fastncurious.fr/2014/12/26/etude-de-cas-dun-heros-obama/

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