Vierge à l’enfant. Bartolomé Esteban Murillo, 1666. Musée des Beaux-Arts, Séville (Wikipedia).

La Bonne Nouvelle, annoncée par les bergers, méditée par Marie

Bertrand OuelletBertrand Ouellet | Sainte Marie, mère de Dieu (A) – 1er janvier 2023

Les bergers rendent visite à Jésus : Luc 2, 16-21
Les lectures : Nombres 6, 22-27; Psaume 66 (67) ; Galates 4, 4-7
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

La liturgie du temps de Noël nous offre à tour de rôle des extraits des deux évangiles de l’enfance, ceux de Matthieu et de Luc. Assez différents comme récits, ils se sont progressivement unis dans nos mémoires et nos traditions au point de ne plus faire, pour la plupart d’entre nous, qu’un seul récit où s’entrecroisent les plans des deux évangélistes. Ainsi, Luc raconte l’annonciation à Nazareth, le voyage à l’occasion du recensement, la scène de la crèche et la visite des bergers, la circoncision et le retour à Nazareth. Matthieu, lui, présente un récit mouvementé : né à Bethléem, Jésus est déjà persécuté par Hérode, alerté par la venue des Mages. C’est alors la fuite en Égypte et le retour à Nazareth bien plus tard.

Ce n’est pas le lieu ici d’entrer dans de profondes discussions pour essayer de donner raison à l’un ou l’autre des évangélistes : ce serait d’ailleurs passer à côté de leurs intentions et de leur message. Cherchons plutôt à découvrir pourquoi, parmi tous les éléments qui leur étaient parvenus par la voie de la transmission orale, ils ont retenu ceux qu’à leur tour ils nous ont transmis.

La visite des bergers à la crèche

Le récit de la visite des bergers à la crèche est de Luc ; Matthieu n’en souffle pas mot, préoccupé qu’il est des événements entourant la venue des Mages, elle-même ignorée par Luc. Pourquoi les bergers sont-ils importants pour saint Luc? Pourquoi leur accorde-t-il une place de choix dans son récit?

Si Luc, plus tôt, avait accordé tellement de place aux événements entourant la conception et la naissance de Jésus, c’est qu’il était convaincu que déjà tout le sens de la mission de Jésus y était contenu en germe et que Jésus adulte révélerait par sa parole et ses actes était déjà – et de toute éternité – voulu par Dieu son Père. Ainsi, Jésus aurait un faible, un penchant que Luc se plaira à souligner tout au long de son livre, un faible que Yahvé lui-même affiche dans l’Ancien Testament : un amour particulier pour les petits et les pauvres, ceux qui ne peuvent agir avec puissance, qui doivent toujours se soumettre aux plus forts, aux plus riches, aux plus ambitieux, ceux et celles qui n’ont d’autre recours que de s’en remettre à leur Dieu, ceux et celles que dans la Bible on désigne par le mot anawim. Voilà pourquoi il est si important pour Luc d’insister sur le fait que les parents de Jésus, comme les pauvres, sont refusés à l’auberge, que Jésus vient au monde dans un abri d’animaux et qu’une mangeoire lui sert de berceau. Voilà pourquoi c’est à de simples bergers que sont accordées la vision de la gloire céleste et la révélation de l’identité de ce petit enfant : Sauveur, Christ, Seigneur (Lc 2,11). Par sa naissance, Jésus réalise déjà ce que Luc avait placé sur les lèvres de sa mère, au chapitre précédent : Il a élevé les humbles. Les affamés, il les a comblés de biens (1,52-53).

De l’étonnement à la méditation

Tout le monde s’étonnait de ce que racontaient les bergers. Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. L’étonnement décrit ici par Luc est en quelque sorte la prémonition ou l’annonce de ce qui se passera tout au long du ministère public de Jésus, d’autant plus que le sujet d’étonnement est le message laissé par les anges : Aujourd’hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David ; il est le Messie (le Christ), (Lc 2,11), attribuant au petit enfant trois titres qu’on ne pouvait donner à la légère. De fait, ce n’est qu’après sa résurrection que Jésus sera désigné explicitement par ces noms. Encore une fois donc, Luc annonce ses couleurs, met son lecteur dans le secret, lui livre les clés d’interprétation de tout le récit qui vient et fait une sorte de clin d’œil complice au croyant qui, comme lui, sait à quoi s’en tenir de ce Jésus et qui lira son histoire avec des yeux déjà éclairés par la foi pascale.

Mais un rôle particulier est réservé par Luc à Marie : elle semble voir par delà cet étonnement et cet émerveillement, rejoignant ainsi le lecteur croyant qui sait que Jésus ne portera ces titres qu’après avoir été glorifié au terme de sa Passion. Seule, Marie semble deviner les dimensions réelles du drame qui vient de commencer, et le vieillard Siméon le lui confirmera en lui révélant peu après qu’une épée lui transpercerait l’âme (Lc 2,35).

Le nom de Jésus

La lecture d’aujourd’hui se termine par le court récit de la circoncision de Jésus, intervention qui prenait pour les Juifs une importance primordiale, marquant dans la chair de tout mâle son appartenance au peuple avec lequel Yahvé, jadis, avait choisi de faire alliance. C’est d’ailleurs sur ce point que les premiers chrétiens discutèrent longuement : suffisait-il d’être circoncis pour être sauvé? Et alors, fallait-il circoncire même les non-juifs qui devenaient chrétiens? En d’autres termes, fallait-il se faire juif pour devenir ensuite chrétien? Nous savons maintenant que les Apôtres ont répondu par la négative à ces questions (voir Actes 15 et Galates 2-3).

La cérémonie de la circoncision était aussi marquée par l’attribution du nom à l’enfant. Les Juifs contemporains de Jésus étaient convaincus que le nom portait en lui le sens de la vie de cette nouvelle personne. C’est pourquoi l’évangéliste précise qu’on donna alors au fils de Marie le nom que l’ange avait indiqué. Car Jésus signifie « Le Seigneur Dieu sauve », préfigurant l’un des titres qui seraient attribués à Jésus ressuscité.

Une fête mariale

Avec la réforme du calendrier liturgique souhaitée et engagée en 1965 par les Pères du Concile Vatican II, la fête de la circoncision a été abolie et remplacée par la fête de la maternité divine de Marie, beaucoup plus significative pour les non-juifs que nous sommes. La courte référence à Marie dans l’évangile de la fête suggère une application immédiate.

Le temps de Noël, le « temps des fêtes », a beaucoup perdu de son caractère religieux dans nos sociétés. Or, même quand ce caractère n’est pas oublié, nous avons tendance à nous satisfaire de l’évocation attendrissante du bébé de la crèche, alors qu’à l’anniversaire de toute autre personnalité, nous savons célébrer cette personne dans tout ce qu’elle est devenue. Marie est celle qui, dans ce récit, sait garder le souci de voir l’ensemble, de vivre le sens total des événements. Sachons vivre ce temps des fêtes en communion avec Jésus Ressuscité, le Christ, Sauveur et Seigneur annoncé par les anges aux bergers.

Bertrand Ouellet, bibliste, était adjoint au directeur général de l’Office des communications sociales au moment d’écrire ce texte.

Source : Le Feuillet biblique, no 2782. Ce texte est dabord paru dans Le Feuillet biblique 1082 (1er janvier 1984). Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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