Le lavement des pieds. Ford Madox Brown, 1845. Huile sur toile, 116,8 x 133,3 cm. Tate Britain, Londres.

Petit dictionnaire biblique du Jeudi saint

Alain FaucherAlain Faucher | Jeudi saint (A) – 6 avril 2023

Le lavement des pieds : Jean 13, 1-15
Les lectures : Exode 12, 1-8.11-14; Psaume 115 (116; 1 Corinthiens 11, 23-26
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

La pandémie a bousculé, au cours des trois dernières années, les possibilités de nous rassembler durant les Jours saints. En ce Jeudi saint 2023, nous saisissons l’occasion de jeter un regard neuf sur des textes bibliques… « classiques » : la Pâque des esclaves hébreux, le récit de l’institution de l’Eucharistie, le lavement des pieds... Tellement de choses ont été écrites sur ces textes que je cours fatalement le risque d’être redondant. Comment les explorer pour y trouver de nouvelles résonances? Il me semble que le meilleur moyen d’y trouver du neuf, c’est d’y aller par bribes, par traces, par confettis en nous attardant ici et là à tel ou tel détail. Certains de mes propos reprendront des affirmations de fond, alors que d’autres propos entreront en résonance avec nos préoccupations du moment.

Les textes sont denses et s’avèrent fondateurs. Le Lectionnaire de ce jour nous propose des convictions judéo-chrétiennes fondamentales. Ainsi, le livre de l’Exode fournit la base narrative des rites de la Pâque juive. Saint Paul transmet la tradition du rite eucharistique dans un bref récit venu en droite ligne du Seigneur. Le récit du lavement mutuel des pieds du Quatrième évangile occupe la place des récits de fondation de l’Eucharistie dans les autres évangiles… Quelle que soit notre porte d’entrée dans ce menu biblique, nous sommes invités à en marquer d’un trait de sang la porte de nos cœurs. Dieu ne demande qu’à passer devant nous en ces heures de mémoire et de célébration. Pour que nous proclamions ensemble qu’au-delà de l’horizon du présent, il y a bel et bien un avenir avec Dieu, par son Fils. Toutes les lectures de ce jour s’accordent sur cette perspective ouverte...

Exode 12, 1‑8.11‑14

Seigneur

Avec grand respect, on désigne ainsi quatre fois le Dieu vivant et agissant en faveur des esclaves hébreux. Toute l’initiative lui revient. Ce qui est raconté, c’est sa pâque, c’est son passage à lui.

Pain sans levain

Nous ne sommes pas au royaume des bonnes fourchettes et des émissions de foodies. Du pain non levé, cela ne devait pas être bien ragoûtant! Pourquoi laisser le levain de côté? Il faut comprendre que le levain mêlé à la pâte s’avère une intervention humaine dans le processus de panification. Donc, le levain ajouté contredit le rôle laissé à Dieu. La sainteté, la pureté sont compromises. Le levain est perçu comme une impureté, comme un ingrédient qui diminue l’amplitude de l’intervention divine. Manger un pain sans levain, c’est laisser toute la place à Dieu. C’est accueillir ce qu’il offre tel qu’il le décide en fonction de son état à lui, en fonction de sa sainteté. Ainsi, ce qu’on mange exprime le laisser-aller qu’on accepte de vivre sous la gouverne de Dieu…

Prêt à partir

Ceinture aux reins, sandales aux pieds, bâton à la main, manger en toute hâte : voilà la mise en scène d’une nouvelle étape dans la vie des esclaves qui se préparent à fuir. Comme des réfugiés prêts pour la prochaine étape d’un long périple… Cette précipitation met en évidence le passage imminent du Seigneur en terre d’esclavage. Avant que le peuple ne puisse prendre ses aises, il faut laisser toute la place pour le passage du Seigneur.

Agneau

Fragile petite bête, son sacrifice est un pari au sujet de l’avenir. En la consommant dès les premiers instants de sa vie, on se prive d’un accroissement du troupeau. Le rituel devient un risque, un investissement, un témoignage de foi dans la capacité de Dieu à fournir les biens essentiels pour la vie de son peuple.

Montant des portes et linteau

L’atmosphère est tendue. Il n’est surtout pas question de mettre la foi en veilleuse. On l’étale en traces sanglantes au seuil des maisons de misère qu’on va pouvoir enfin quitter. On conviendra un jour que les montants des portes des familles juives doivent être marquées d’un signe évoquant Dieu. Ces gestes d’affichage de la foi produisent des affirmations bien visibles de l’extérieur. Tout le contraire de notre discours convenu actuel sur la foi qui doit être traitée comme une affaire strictement privée…

Sang

Pour nous, le sang est porteur de connotations négatives. Il nous repousse, il nous dégoûte… Dans la Bible, le sang, c’est la vie, et la vie, c’est le don de Dieu. Manié correctement, le sang devient un véhicule de communion. Nous aurions sans doute besoin de réfléchir un peu sur la valeur et la portée du sang inclus dans le rite de communion…

Psaume 115 (116B)

Quelques lignes en réponse au vibrant récit de l’Exode permettent d’évoquer six fois le nom du Seigneur. C’est lui le centre de la mémoire et de la fête.

Quand on pense au Seigneur, on pense d’abord au bien qu’il a fait en faveur du priant. Le Seigneur brise les liens de la personne enchaînée. La foi de la personne libérée s’exprimera publiquement, devant tout le peuple.

1 Corinthiens 11, 23-26  

Seigneur

Les quatre versets de saint Paul sont imprégnés d’admiration pour Jésus ressuscité, comme en fait foi la triple mention du terme Seigneur. Au début de la lecture, Paul insiste sur la transmission opérée selon la tradition qui vient du Seigneur. Le rite du pain et du vin exprime que Dieu a pris l’initiative d’être présent au monde.

Ce qui vient du Seigneur

La tradition eucharistique de l’Église est l’une des plus anciennes et des mieux documentées parmi ses croyances. Vers l’an 50, la tradition était déjà fixée dans la vie de l’Église : la mort de Jésus de Nazareth était ainsi commémorée. De nombreux indices du Nouveau Testament, malgré leur diversité, convergent dans ce sens. Le micro-récit de saint Paul en témoigne.

Du geste au commandement

La structure des paroles de Jésus présente un geste qu’une parole accompagne. En effet, Paul raconte ce que fait Jésus, puis il y insère la parole descriptive (« Ceci est... ») porteuse d’un commandement (« Faites... »). Cette articulation rappelle le chapitre 12 du livre de l’Exode, où s’entremêlent joyeusement annonce du geste libérateur de Dieu, commandement de répétition à perpétuité et description du rite du repas pascal. Ce procédé narratif, chaotique selon nos habitudes, établit la normativité du rituel : le groupe existera sur la base de la mémoire dont sont chargés ses gestes.

Un temps de qualité

Paul ne fait pas que rapporter des données historiques. Il en fournit une interprétation au bénéfice d’un groupe inséré dans la trame d’un temps de haute qualité. Ce temps culminera dans le retour de ce Seigneur qui a osé passer par la mort (verset 26). D’ici là, le groupe pose à répétition (« chaque fois » répété deux fois) un geste chargé de mémoire (« Faites cela en mémoire de moi », également répété).

Du passé à l’avenir

Certains pédagogues conseillent aux parents d’éduquer leur enfant comme si le passé n’existait pas. Comme si l’avenir seul était digne d’intérêt. L’invitation à la profondeur historique formulée par Paul contredit ce point de vue. Chaque fois que nous partageons le repas du Seigneur, nous nous souvenons de sa mort. Paul convie ainsi à l’espérance. En évoquant la mort de Jésus, nous exprimons l’espérance, car nous célébrons notre attente du retour du Seigneur. L’Église avance depuis presque deux millénaires à coup d’espérance et de mémoire.

Jean 13, 1-15

La voix qui raconte

Remarquer le ton très intimiste des propos abondants du narrateur. Ces propos sont destinés aux lectrices et aux lecteurs. Ce narrateur non identifié ne se contente pas de décrire la scène. Il explique. Il fait émerger la profondeur des choses. Il fait part des motivations profondes. Il ouvre sur l’avenir. Jésus prend la parole plus loin dans le récit. Il la prend pour discuter avec Pierre. Puis il la reprend pour valider ses propos grâce à ses titres de Seigneur et Maître.

Heure

À son tour, Jésus va vivre un grand passage. Il l’a anticipé au fil des pages de l’Évangile selon Jean. Maintenant plus que jamais, il sait ce qui l’attend. Malgré les apparences, cette heure sera un moment d’élévation et de gloire.

Jésus, sachant…

Jésus ne subit rien. Il mène le bal. Il consent librement à tout ce qui se passera. Cette conscience prophétique témoigne de sa capacité d’envoyé de Dieu. Les événements ne sont pas subis par Jésus. Ils sont des lieux de révélation.

Aimer au bout

Le verbe aimer exprime l’attachement à un groupe. Au-delà des émotions et des hormones, aimer, c’est appartenir à une personne ou à un groupe. Jésus, par son geste de serviteur, démontre à quoi s’attachent ceux qui le suivent : ils et elles font leur son appartenance engagée dans les gestes du quotidien de son pays et de son époque. À nous d’oser transposer comment l’amour selon Jésus peut nous inciter à l’action.

Plus tard tu comprendras

Elle est féconde, l’heure de Jésus, puisqu’elle permet de parler déjà d’avenir… Les temps s’accomplissent en termes d’habiletés honorables pour comprendre ce qui se passe si vite dans cette nuit pas ordinaire…

Seigneur

Ce titre de gloire est donné quatre fois à Jésus dans les courts dialogues de cet évangile. La lumière de Pâques imprègne ainsi la scène où un geste banal du quotidien est transfiguré en geste central d’une foi qui cherchera à s’incarner.

Tête, mains, pieds

Les propos de Pierre ne sont pas pure exagération. Ils témoignent d’un engagement total alliant mobilité, agilité et réflexion.

Purs

Comme les pains sans levain de la Pâque, le rituel du bain préalable rend les gens capables d’entrer en interaction avec la sainteté de Dieu mise en action dans le sacrifice pascal.

Titres de Jésus

Maître et Seigneur, ce sont des titres que Jésus accepte alors que les circonstances semblent leur nier toute possibilité d’enracinement dans le réel. Le regard de l’autre sur Jésus vient déployer sa gloire d’envoyé de Dieu. Sommes-nous prêts à les inclure dans notre vocabulaire, en réparation pour les blasphèmes et les impiétés qui ternissent notre langue et notre société?

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2796. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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