Le Jugement dernier (détails). Michel-Ange, c. 1536-1541.
Fresque de la chapelle Sixtine, 1370 x 1220 cm Vatican (Wikipédia).
Le Jugement dernier !
Patrice Bergeron | Le Christ roi (A) – 26 novembre 2023
Le jugement dernier : Matthieu 25, 31-46
Les lectures : Ézékiel 34, 11-12.15-17 ; Psaume 22 (23) ; 1 Corinthiens 15, 20-26.28
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Les trois grandes religions monothéistes (Judaïsme, Christianisme et Islam) partagent cette croyance en un jugement dernier : soit cette conviction, qu’à l’accomplissement des temps, l’humanité entière passera en jugement devant Dieu rétribuant chacun selon sa conduite. Pour le Nouveau Testament – donc pour les Chrétiens - ce jugement universel s’exercera par le Christ ressuscité au pouvoir duquel le Père a tout remis (Romains 10,9. 14,9-10). C’est bien ce qu’affirme le Symbole des Apôtres, credo de notre Église :
… le troisième jour est ressuscité d’entre les morts, est monté aux cieux,
est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant,
d’où il viendra juger les vivants et les morts.
Clôture de l’année liturgique et clôture de l’Évangile de Matthieu
C’est cette réalité du Jugement eschatologique que la liturgie nous donne de contempler en cette fête du Christ Roi de l’Univers qui clôture notre année liturgique. Cette scène grandiose du Jugement dernier (Mt 25,31-46), digne d’une Chapelle Sixtine, clôture également l’Évangile de Matthieu pour ainsi dire, puisqu’il s’agit de la dernière prise de parole de Jésus avant qu’il n’entre dans les événements de sa passion. Comme autrefois Moïse, en rappel de l’Alliance, avait placé les Israélites devant l’alternative de la vie ou de la mort, de la bénédiction ou de la malédiction (Lévitique 26 ; Deutéronome 28. 30,15), ainsi Jésus, dans son dernier discours avant d’endosser les affres de sa passion et de sa mort, rappelle-t-il à ses disciples le sérieux de l’existence humaine et l’importance de l’amour fraternel concrètement vécu.
Le Fils de l’Homme
La lecture évangélique de ce dimanche conclue une section de l’évangile matthéen où Jésus discourt sur les fins dernières (Mt 24-25). Il ne s’agit pas d’une parabole, mais plutôt d’un texte empruntant au genre de la littérature apocalyptique juive. Le décor nous transporte au ciel où se trouve le trône de Dieu que partage le Fils de l’homme. Dans le même verset (Mt 25,31), deux mentions de gloire, l’escorte des anges et l’image du trône divin montrent bien que ce Fils de l’homme (titre que Jésus s’attribue à lui-même) participe à la transcendance de Dieu [1]. Cette vision n’est pas sans rappeler celle du prophète Daniel [2] au livre du même nom (Daniel 7,13-14) : celle d’une investiture royale d’un fils d’homme qui reçoit d’un Vieillard (Dieu) une souveraineté éternelle sur toutes les nations.
Le Berger des nations
Image pastorale sûrement familière aux premiers lecteurs de l’évangile, le geste vespéral quotidien du berger de séparer brebis et chèvres évoque le rôle de Bon Berger que joue Dieu dans l’Ancien Testament, notamment en Ez 34,17-23. Encore ici, le transfert de ce rôle de Berger au Fils de l’Homme à la fin des temps, plaide en faveur de l’affirmation de l’identité divine et messianique de Jésus. La droite de ce personnage place les brebis dans la faveur et la dignité de celui-ci. Le positionnement des chèvres à sa gauche est en revanche une mauvaise nouvelle pour elles, selon la symbolique biblique bien attestée.
Deux dialogues, une même surprise !
S’en suivent les deux dialogues parallèles, successivement avec les « bénis », puis les « maudits ». À noter que la surprise est la même dans les deux camps à l’écoute de leur sentence : personne n’a eu conscience, de son vivant, d’avoir ou de ne pas avoir fait le bien envers le Roi du ciel à travers les petits que le Seigneur appelle « ses frères ». Qui donne aux pauvres prête à Dieu n’est sûrement pas encore un adage connu de ces interlocuteurs du Roi, bons ou mauvais.
Une leçon « a fortiori »
Les gestes de secours au prochain posés qui font entrer dans le Royaume sont à la portée de tous, chrétiens ou non, croyants ou non. Ils sont gestes de philanthropie universelle pour soulager les misères humaines les plus élémentaires : faim, soif, isolement, dénuement, maladie et captivité. Les chrétiens, lecteurs de Matthieu, recevront donc cette scène comme un enseignement a fortiori : « Combien plus les chrétiens, ayant reçu l’exemple et l’enseignement de Jésus, doivent-ils concrètement venir en aide aux petits auxquels Dieu lui-même s’identifie ! » Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le Jésus de Matthieu servira une telle leçon à ses disciples. Cette exhortation du premier évangile à la « mise en pratique » plutôt que la « révérence envers Dieu » devient un trait matthéen, tellement elle scande l’ensemble de l’évangile [3].
Thème des deux voies
Ce Jugement dernier matthéen constitue ce type d’enseignement rabbinique fort efficace dit « des deux voies [4] ». Cette pédagogie juive impressionnante a l’avantage de frapper l’imagination. À son écoute, l’auditeur se voit forcé de se demander de quel côté il se range : parmi les brebis ou les chèvres ? Par contre, ce type de discours ne fait pas dans la nuance et élude tous les entre-deux dont la vie humaine est immanquablement faite. Le trouble intérieur ressenti chez l’auditeur signifiera toutefois que le but de l’enseignement est atteint : ouvrir les yeux du destinataire sur la réalité. C’est dans les gestes quotidiens que se joue la destinée de tout homme. Et le Seigneur, non seulement se soucie du pauvre et du malheureux, mais il s’identifie à lui.
Qui sera sauvé ?
La grandiose scène finale du Jugement dernier met en lumière que nous serons jugés sur l’amour. On aurait tort toutefois d’isoler ce texte de Matthieu de l’ensemble du Nouveau Testament, comme si cette lecture évangélique (Mt 25,31-46) avait, pour elle seule, la prétention de répondre à la question : « Qui sera sauvé ? ». Cette question mystérieuse demande d’être éclairée de toutes les lumières du Nouveau Testament. De nombreux thèmes en regard du salut sont traités par les différents textes canoniques du Nouveau Testament où les harmoniques de miséricorde et de pratique des vertus chrétiennes s’enchaînent et se complètent bellement. Un court florilège d’exemple aura tôt fait de nous en persuader : des textes illustrant la miséricorde du Père (Luc 15) et celle de Jésus (Lc 19,1-10 ; 23,43), l’amour gratuit de Dieu qui envoie son Fils unique (Jean 3,16) pour nous sauver par la foi (Rm 3,22-26) viennent contrebalancer ces exhortations à porter du fruit, à faire la volonté de Dieu (Mt 25,31-46), à prouver notre foi par les œuvres (Jacques 2,14-18).
Jusqu’à la moisson finale
Le bon grain et l’ivraie croîtront ensemble jusqu’à la moisson, image biblique du Jugement dernier (Mt 13,30). Avec une confiance fondamentale en ce Dieu d’amour qui nous a donné jusqu’à son Fils, le Roi de l’Univers, efforçons de devenir un peuple ardent à faire le bien (Tite 2,11-14) dans l’attente de la moisson finale.
Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.
[1] D’autres motifs symboliques contenus dans la scène viennent renforcir cette transcendance divine du Messie Jésus, le Fils de l’homme : sa désignation comme Roi, le rassemblement des nations devant lui, le transfert au Fils de l’homme des prérogatives judiciaires qui appartiennent à Dieu, de même que son geste de Berger (Ps 22(23)) de séparer les brebis des chèvres.
[2]
Une bonne partie du livre de Daniel est proprement une apocalypse juive (chapitres 7 à 12)
[3]
Pour s’en convaincre, nous n’aurions qu’à relire : Mt 5,20; 7,12.21.24.26; 12,50; 21,31. Les paraboles de vigilance nous donnent une leçon semblable : Mt 25,1-13.14-30.
[4]
Bel exemple biblique de ce type de discours : Ps 1.
Source : Le Feuillet biblique, no 2822. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.