Pentecôte. Vitrail du maître verrier Serge Nouailhat, église Saint-Urbain, La Garenne Colombes, France (photos © Serge Nouailhat).
Des ingrédients pour la mission
Alain Faucher | Pentecôte (C) – 5 juin 2022
Le Paraclet : Jean 14, 15-16.23b-26
Les lectures : Actes 2, 1-11 ; Psaume 103 (104); Romains 8, 8-17
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Le mot « mission » est désormais un mot-clé dans nos conversations pastorales et nos activités vécues en Église. C’est même devenu la priorité absolue dans plusieurs diocèses. Le système d’infrastructures et d’activités est revu en fonction de cette urgence promue par le pape François.
Comme tous les mots à la mode, le concept recouvre une certaine quantité de non-dits. La mission, cela semble tellement aller de soi que nous avons l’impression que tout le monde comprend de quoi nous parlons. Mais est-ce si certain que « tout le monde » perçoit l’ampleur du contenu impliqué dans ce mot tout simple? Ne sommes-nous pas plutôt en train d’agiter un joli fanion qui recouvre peu de contenu? Autrement dit, quand nous écoutons l’invitation du pape et des évêques à prendre au sérieux la mission, avons-nous conscience des contenus regroupés sous cette bannière? Savons-nous vraiment de quoi il s’agit quand nous nous y engageons?
Si nous n’y prenons garde, la mission sera bientôt un autre slogan passé de mode parce que vide de sens. Il passera à la postérité comme tant d’autres slogans générés par nos engouements pastoraux. Un peu comme si un fabriquant de croustilles décidait d’offrir le meilleur emballage au monde… sans se préoccuper du contenu du sac. Un tel comportement commercial serait suicidaire! Alors, profitons de ce dimanche de Pentecôte pour enrichir notre compréhension de la mission. Osons goûter quelques composantes de cette recette susceptible de redonner vigueur et fécondité à notre engagement en Église.
Nous allons revisiter des textes bibliques bien connus. Ils apportent beaucoup de substance à nos efforts missionnaires. Loin de nous contenter de jouer avec un emballage flamboyant, nous pourrons intégrer ces éléments de vocabulaire pour maintenir dans notre champ de vision des ingrédients pertinents pour une vie de baptisé missionnaire réussie. En communion avec l’Esprit célébré ce dimanche, enrichissons notre vocabulaire!
Actes des apôtres 2, 1-11
Quand on parle « mission », on s’alimente à une plénitude dérangeante et envahissante. Voilà comment on peut décrire l’expérience d’accueil de l’Esprit vécue par les Galiléens à Jérusalem après la résurrection de Jésus. Comme un coup de vent, comme un bruit qui remplit la maison, l’Esprit envahit la vie des gens à qui il est donné de s’exprimer de façon nouvelle. Cette composante de nouveauté engendre d’abord confusion, stupéfaction, étonnement chez les spectateurs. Il y a un saut qualitatif entre la vie habituelle et la vie transformée par l’Esprit saint.
Concrètement, nous constatons que la mission acceptée envahit la vie de la personne qui y consent. Cet envahissement est le fruit d’un don divin qui perturbe, qui dérange, qui reconfigure le vécu. Selon le récit biblique, les contenus communiqués sont qualifiés d’inédits et d’étonnants par les gens qui les reçoivent. Il y a donc un certain aveu de perte de contrôle chez les gens qui deviennent porteurs de la mission autant que chez les personnes qui en accueillent les bienfaits.
Psaume 103
La mission s’accompagne d’une vision élargie de l’œuvre de Dieu dans l’univers. Quand Dieu envoie son souffle, il crée des biens à sa mesure. Cette généreuse intervention crée un espace nouveau pour se réjouir « dans le Seigneur ». L’individu est ainsi transformé dans ses comportements et ses expressions. Il occupe un territoire nouveau, un territoire touché par la divinité…
Romains 8, 8-17
Voici un plat de résistance plutôt abondant. Il vaut la peine de lire de manière serrée cet extrait de la grande lettre de saint Paul pour enrichir notre compréhension des effets positifs de la mission. Cela vaut pour les personnes qui s’y engagent, et pour les personnes qui se laissent toucher…
Vivre sous la gouverne de l’Esprit de résurrection, c’est vivre une expérience d’habitation par l’Esprit, une expérience d’appartenance perceptible : Vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas.
C’est une expérience de transformation prolongée : L’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes. L’activité de la Trinité s’y manifeste : Jésus bénéficie de la résurrection initiée par Dieu, et voit aussi nos corps touchés par cet Esprit qui habite les disciples. L’Esprit habite en vous? Vos corps sont touchés par celui qui a ressuscité Jésus : Celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.
Par l’Esprit, on verra se détruire, s’anéantir les agissements de la personne séparée de Dieu. Par l’Esprit, on se laisse conduire dans la liberté de l’appartenance à la famille divine. Il s’agit d’oser vivre en fils et filles de Dieu, non plus comme des esclaves apeurés, mais comme des affiliés à Dieu par la réception de l’Esprit : … si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez. En effet, tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils…
Pour parler des effets de ce lien, la Lettre aux Romains utilise des images concrètes. Le statut d’enfants de Dieu s’accompagne d’un statut d’héritiers. Ce statut ne se limite pas à l’héritage. Il aboutit à partager un effet positif de communication : le partage de la gloire. C’est l’aboutissement ultime : la création pleinement accomplie conduit l’humanité à l’étape finale de l’appartenance en Dieu. C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers: héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire.
Ainsi, la mission des chrétiens laisse émerger la conscience d’une modification fondamentale de statut. Pécheurs, esclaves sont remplacés par fils et filles, héritiers… Un changement aussi profond engendre toutes sortes de possibilités concrètes pour la promotion de la vie humaine. Il vaut la peine de s’engager comme croyants et croyantes dans de tels combats…
Séquence
Comme en écho à la première lecture, les thèmes du remplir et des dons à accueillir sont présents dans cette poésie liturgique. Ainsi, la lumière qu’est l’Esprit est convoquée dans le cœur de tous les fidèles : « Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles. »
La finale du poème détaille les bienfaits attribués aux croyants et croyantes : « À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés. Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. »
Jean 14, 15-16.23b-26
L’Évangile de ce dimanche semble parler peu de l’Esprit, en comparaison avec le tonus des autres lectures bibliques du jour. Cependant, le vocabulaire johannique décrit certaines composantes implicites de la vie dans l’Esprit, et donc de la vie du missionnaire. Ces paramètres sont importants pour que le langage « mission » soit plus qu’une « saveur du mois »…
Des événements disruptifs, la nouveauté d’un autre défenseur, une certaine stabilité (demeurer), des signes visibles d’engagement trop vite discrédités (les commandements), la parole de Jésus à laquelle nous tenons… autant d’ingrédients qui donnent sa forme à la mission.
Ainsi, il est question d’aimer, de garder les commandements, de demeurer. Ces mots sont typiques du Quatrième évangile pour décrire l’espace relationnel où se déploie la relation d’alliance entre les croyants et les personnes-ressources divines. Il ne s’agit pas seulement d’une expérience hormonale. Aimer implique une appartenance volontaire, réfléchie et acceptée en pleine conscience. De même qu’autrefois Dieu a su s’installer à demeure dans la Tente de la rencontre, de même les croyants et croyantes touchés par l’envoyé du Père, Jésus, savent assurer leur présence dans le cœur de Dieu en gardant actifs ses commandements.
Comme dans la deuxième lecture, la Trinité au complet est active lors du don de l’Esprit : Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous.
Cet Esprit saint envoyé par le Père au nom de Jésus est capable de tout enseigner et de faire entrer en mémoire tout ce que Jésus a dit à ses disciples. Sa médiation est donc indispensable. Elle assure que la mission des fidèles s’inscrit dans la continuité de l’envoi jadis accepté par Jésus à leur bénéfice. Cette continuité garantit le sérieux de la vague missionnaire actuelle, puisqu’elle prolonge la mission jadis acceptée par Jésus de la part du Père.
Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.
Source : Le Feuillet biblique, no 2761. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.