Ascension du Christ. Giovanni Battista Tiepolo, c. 1745-50. Huile sur toile, 76,8 x 89,5 cm. Virginia Museum of Fine Arts, Richmond (Wikimedia).
Le temps des héritiers, les disciples missionnaires
Jean-Chrysostome Zoloshi | Ascension du Seigneur (C) – 29 mai 2022
Adieu et paroles d’encouragement : Luc 24, 46-53
Les lectures : Actes 1, 1-11 ; Psaume 44 (45) ; Hébreux 9, 24-28 ; 10, 19-23
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Les textes bibliques de la fête de l’Ascension se conjuguent au point de nous donner l’occasion de « voir » comment se réalise le passage de la mission de Jésus à celle des apôtres, et aussi le passage de la prédication de Jésus à celle des apôtres. Cela est particulièrement évident dans les deux extraits de l’œuvre de Luc, l’un se trouvant à la fin de l’évangile (Lc 24,46-43) et l’autre au début des Actes (1,1-11). Leur position constitue un point de jonction permettant de passer du contenu de l’Évangile à celui des Actes. Le départ du Ressuscité s’accompagne d’une perspective d’avenir où les disciples du Christ devront désormais jouer un rôle clé.
Des gestes pour une séparation réussie
Dans nos deux récits de l’ascension, Jésus pose trois gestes importants, au terme de son itinéraire terrestre ; ces gestes sont significatifs de ce moment ultime et de l’avenir envisagé pour les héritiers de son œuvre.
Le premier geste est une prise de parole. Elle culmine dans la volonté d’ouvrir l’esprit des disciples à l’intelligence des Écritures. Le Ressuscité rappelle aux disciples le sens et le contenu de l’accomplissement des Écritures (vv. 46-47) : la souffrance du Messie, sa résurrection d’entre les morts le troisième jour ainsi que la conversion en son nom pour le pardon des péchés, proclamée à toutes les nations en commençant par Jérusalem. Cette prise de parole se situe dans la suite des autres qui sont évoquées au verset 44 : Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous…
Le deuxième geste est une délégation de responsabilité. Le Ressuscité charge ses disciples d’être les témoins de l’accomplissement des Écritures, tout en mettant à leur disposition des outils pour réaliser la mission qu’il leur confie (vv. 48-49). Il les assure de l’envoi sur eux de l’Esprit promis ; il leur demande de demeurer à Jérusalem jusqu’à ce qu’ils soient revêtus de cette force ; enfin il lève les mains et donne sa bénédiction aux apôtres. La délégation de responsabilité arrive lorsque les disciples ont l’esprit ouvert à l’intelligence des Écritures.
Le troisième geste consiste dans l’emportement du Ressuscité au ciel (vv. 50-53) : Il est emporté au ciel ; eux se prosternent devant lui, puis retournent à Jérusalem, remplis de joie et ils sont sans cesse dans le temple à bénir Dieu.
Le mouvement général des deux passages nous fait constater que la séparation du Ressuscité d’avec ses disciples intervient au terme d’une démarche pédagogique, ponctuée de quelques gestes clés.
Emporté, Il n’est plus!
Dans les deux récits de l’ascension écrits par Luc, l’affirmation de l’emportement du Ressuscité au ciel est sans équivoque : Or, tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et il était emporté au ciel (Lc 24,51) ; …Tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux (Ac 1,9).
La véracité de l’emportement est fondée, entre autres, sur sa localisation géographique. En Lc 24,50, l’évangéliste prend la peine de préciser que la séparation de Jésus d’avec ses disciples se passe à Béthanie. Ce souci de la précision rappelle celui de la solidité des faits, rapporté dans les premiers versets du livre : C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus (Lc 1,3-4).
La véracité de l’emportement est également fondée sur le témoignage des témoins : Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs (Ac 1,10).
En définitive, les disciples doivent savoir que le Ressuscité ne sera plus physiquement présent à leur côté. Son passage vers le ciel a réalisé une séparation effective d’avec eux.
C’est le début d’un temps nouveau!
La question posée par les deux hommes en vêtements blancs – Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? (Lc 1,11) – suggère qu’il faut assumer le départ de Jésus et s’engager sur des chemins d’avenir où ils auront à remplir la mission pour laquelle Jésus les a préparés. Tout en se rappelant la mission de Jésus, ils en sont désormais les héritiers.
Les disciples, héritiers de la mission
En Luc 24,48, après avoir rappelé comment il a accompli l’histoire du salut à travers ses actes et son enseignement, Jésus ressuscité affirme : À vous d’en être les témoins. À la lecture de l’ensemble du chapitre 24 de Luc consacré aux apparitions, on comprend très facilement que ce « vous » se rapporte aux onze apôtres et à leurs compagnons ainsi qu’aux deux disciples revenus d’Emmaüs (v. 33). Il s’agit de ces gens qui ont marché aux côtés du maître pendant toute sa vie et qui ont été instruits par lui.
Le À vous d’en être les témoins résonne comme un ordre. C’est un envoi en mission. Le Ressuscité les établit comme les héritiers de la Bonne Nouvelle de la grâce, de la faveur de Dieu. Ils sont « accrédités » pour remplir cette mission parce qu’ils ont vu et entendu la Bonne Nouvelle dans les actes et les enseignements de Jésus. Ce « patrimoine » est entre leurs mains.
Pour comprendre le rôle clé que doivent jouer désormais les disciples, il faut se rappeler que c’est Jésus lui-même qui a préparé ce transfert, c’est lui-même qui le leur confie et que, de surcroît, il ne sera plus avec eux. De fait, c’est le Ressuscité qui prend l’initiative (Lc 24,50) de conduire les disciples jusqu’au lieu où il se sépare d’eux pour être emporté au ciel.
Une mission en héritage
Les onze et leurs compagnons sont établis témoins de l’accomplissement des Écritures, en étant fidèles à l’œuvre du salut accompli par Jésus : Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem (Lc 24,46-47).
Ces deux versets contiennent le noyau, l’essentiel de la foi chrétienne, appelé aussi « kérygme ». Sans ces éléments fondamentaux de la foi, le reste du message de l’Évangile est privé de sa signification : ils sont l’essentiel de la confession de la foi du chrétien.
Ce noyau de la foi se trouve dans les discours de Pierre dans les Actes des Apôtres, dont celui de la Pentecôte (Ac 2,14-36). La première annonce de la foi chrétienne s’articule autour des éléments suivants : Jésus le Nazaréen ou de Nazareth (v. 22) ; Miracles et signes (v. 22) ; Vous l’avez livré ou vous l’avez crucifié (vv. 23 et 32) ; Dieu l’a ressuscité (vv. 24 et 32) ; C’était annoncé dans l’Écriture (vv. 25-31 ; vv. 32-35) ; Nous en sommes tous témoins (v. 32).
Ce message est l’héritage, le bagage, le patrimoine de foi déposé sur les épaules des onze et leurs compagnons. Ces derniers auront à le proclamer aux Juifs et aux païens, pour les amener à la foi en Jésus Christ, mort et ressuscité. Ils sont appelés à en prendre la responsabilité, dès lors que Celui qui leur confie cette charge, leur donne tous les outils nécessaires à son exécution, en leur laissant le champ libre.
Des ressources pour les disciples en mission
En même temps qu’il les établit ses témoins et leur donne le contenu de la prédication, Jésus met en place toute une stratégie pour faciliter leur travail missionnaire. Il leur promet la force de l’Esprit, afin que, par la grâce ineffable du témoignage de Dieu en eux, la vie de témoin prenne racine au plus profond d’eux-mêmes. Il les rend ainsi aptes à comprendre les enseignements reçus. Il prend des dispositions pour les regrouper en un seul lieu hautement symbolique pour, du même coup, s’assurer de leur disponibilité et de leur localisation géographique (Lc 24,49b). Il les consacre enfin par une bénédiction spéciale (Lc 24,51).
Pour couronner le tout, il leur donne le privilège d’assister à son enlèvement, comme gage d’une prise de conscience de leur responsabilité vis-à-vis de la mission et à l’assumer pleinement.
Le temps des héritiers, temps de l’Église!
Le contenu de Lc 24,46-53 et Ac 1,1-11 trouve un bel écho dans la toute nouvelle Constitution apostolique du pape François Praedicate evangelium qui entrera en vigueur le 5 juin prochain, le jour de la Pentecôte. Cette Constitution apostolique donne à la Curie romaine une structure plus missionnaire afin d’être davantage au service de l’évangélisation. La priorité donnée à l’évangélisation est aussi une invitation du Souverain Pontife à nous laisser inspirer par le kérygme, pour devenir des disciples missionnaires zélés, porteurs et témoins du mystère pascal. Ayant reçu la force de l’Esprit Saint promise par le Christ, les baptisés nés de la Pentecôte, forment l’Église des témoins choisis par le Ressuscité pour travailler à l’évangélisation de toutes les nations.
Jean-Chrysostome Zoloshi est prêtre du diocèse de Montréal, animateur de groupes bibliques et professeur associé à la Faculté de théologie et de sciences religieuses (Université Laval).
Source : Le Feuillet biblique, no 2760. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.