Saint Paul prêchant. Vitrail de l’église Saint-Paul, Genève (godongphoto / 123RF)
Des disciples missionnaires
Rodolfo Felices Luna | 4e dimanche de Pâques (C) – 8 mai 2022
Mes brebis écoutent ma voix : Jean 10, 27-30
Les lectures : Actes 13, 14. 43-52 ; Psaume 99 (100), 1-3. 5 ; Apocalypse 7, 9. 14b-17
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Le temps pascal est tout indiqué pour réfléchir sur notre élan missionnaire. N’est-ce pas Pâques qui a lancé les disciples de Jésus sur les routes du monde en « apôtres », c’est-à-dire « envoyés »? La bonne nouvelle est destinée à être partagée, connue, célébrée… et pourtant, ce n’est pas si simple! Les lectures de ce dimanche nous présentent quelques défis relevés par la première génération de disciples en mission d’évangélisation.
La mission de Paul et Barnabé
Paul et Barnabé rencontrent à la fois un accueil spectaculaire et une résistance farouche à Antioche de Pisidie. Le récit des Actes nous indique que les deux apôtres annoncent la bonne nouvelle pendant le culte hebdomadaire à la synagogue. Là, des païens attirés par le judaïsme (appelés prosélytes), montrent de l’intérêt. L’auteur des Actes, Luc, nous dit que la semaine suivante « presque toute la ville » se rendit à la synagogue pour entendre Paul et Barnabé (Actes 13,44). Cela déclenche une vive opposition chez les juifs, qui voient leur vie communautaire envahie et menacée par la foi au Christ. Ils font du lobbying auprès des dames influentes déjà converties au judaïsme, afin qu’elles mobilisent les autorités de la ville contre le prosélytisme des apôtres. Paul et Barnabé finissent par être expulsés de la ville, mais tous les nouveaux disciples étaient pleins de joie dans l’Esprit Saint (13,52).
Premièrement, remarquons que le christianisme commence comme un mouvement juif parmi les juifs. Paul et Barnabé échangent à propos de leur foi au Christ auprès de leurs confrères juifs en pleine synagogue. Le christianisme est à l’origine une certaine façon de vivre le judaïsme, en confessant Jésus comme le Messie attendu par Israël : mort et ressuscité, c’est la nouveauté!
Deuxièmement, il ne faut pas s’étonner de ce que des païens fussent attirés par le judaïsme et que certains veuillent même se convertir au judaïsme. Israël est le peuple choisi pour vivre selon la Loi de Dieu donnée à Moïse, choisi aussi pour porter témoignage auprès des peuples de la Terre, pour qu’un jour toutes les nations se tournent vers Dieu. Paul cite Isaïe 49,6 dans le récit des Actes 13,47 pour expliquer le sens de sa mission comme étant foncièrement juive d’esprit. Si le judaïsme a une composante ethnique, c’est aussi un zèle missionnaire qui anime son sens de l’élection.
Troisièmement, le succès fait peur! Nouveaux venus en ville, Paul et Barnabé réussissent en une semaine à retourner (détourner?), en faveur de leur option pour le Christ Jésus, le long et patient travail missionnaire de la synagogue auprès des païens depuis des années. Mettons-nous un instant à la place des juifs d’Antioche de Pisidie… Nous-mêmes, que faisons-nous lorsque des croyants d’autres religions deviennent un peu trop visibles, vocaux et parfois populaires dans nos sociétés traditionnellement chrétiennes? Quelles nouvelles lois appuyons-nous? Quels arguments prétextons-nous? À quel lobbying recourons-nous lorsque nous sentons la soupe chaude?
Finalement, considérons le sens ou la direction de la mission. Paul et Barnabé voyagent, oui, mais ils vont voir d’abord les leurs : des juifs comme eux. Ce sont des païens qui viennent vers eux, parce qu’ils ont déjà fait quelques pas auparavant en se rapprochant des juifs. Selon le récit des Actes, Paul et Barnabé ne planifient pas leur mission auprès des païens : ils se rendent compte après coup par où souffle l’Esprit du Seigneur Ressuscité. Paul et Barnabé ne s’obstinent pas à tenir le cap prévu à l’origine ; ils sont assez ouverts et alertes pour voir le changement de situation ; ils sont suffisamment flexibles et courageux pour rediriger leurs efforts selon les nouvelles données à leur disposition. Cela devrait nous inspirer aujourd’hui, car que des choses ont changé dans l’Église et le monde depuis la visite de Paul et Barnabé à Pisidie!
La mission aujourd’hui dans une société sécularisée
Pour commencer, le christianisme s’est répandu au-delà des espoirs les plus fous des premiers apôtres. Cela est un bon indicateur de succès, mais ce fut aussi à fort prix de tribulations pour missionnaires et peuples évangélisés. Il y a eu le sang des martyrs, certes, mais aussi l’aliénation et l’exploitation des peuples colonisés par l’Europe chrétienne. Au Canada et au Québec, les abus et autres contre-témoignages envers les peuples autochtones et les orphelins font les manchettes ; l’examen de conscience et la réconciliation seront longues, cela pèse lourd sur quelque initiative missionnaire que ce soit. De nos jours, l’esprit du monde est beaucoup plus réfractaire au prosélytisme, qui est devenu un mot tabou, ou du moins un mot très négativement connoté. Les nouveaux flux migratoires vont désormais en sens inverse : des ex-colonies vers les sociétés de souche chrétienne, des évangélisés vers les évangélisateurs, avec sinon des reproches du moins une exigence de réciprocité et de respect mutuels. Des populations chrétiennes des vieux pays occidentaux éprouvent maintenant ce que c’est que de devenir culturellement minoritaires chez elles, découvrant peut-être avec crainte et angoisse grandissantes le déséquilibre démographique entre le nord et le sud, en faveur du sud. Les frontières se referment tout à coup. En outre, une vague séculière née elle-même en Occident postchrétien balaie présentement l’Europe, le Québec et le Canada, puis elle avance de plus en plus profond aux États-Unis. Même sous les coups des controverses, les missions qui sont devenues culturellement acceptables n’ont rien à voir avec les religions ou la foi des personnes. Ce sont des causes qui mobilisent et qui ont droit de cité : pour l’égalité des genres, pour l’environnement, pour le respect des droits des minorités, etc. La foi des personnes, perçue comme une conviction incommunicable, est de plus en plus acculée à la conscience individuelle, à la maison et au lieu de culte, forcée de s’astreindre à la vie privée, bannie de la place publique. Dans ce nouveau contexte – sans agora – comment les fidèles de chaque conviction religieuse pourront-ils partager leurs valeurs et leurs croyances? Comment les chrétiennes et les chrétiens pourront-ils vivre leur vocation pascale de répandre la bonne nouvelle?
Je n’ai pas de réponse magique à offrir à ces questions, qui méritent que nous les soupesions avec soin, au lieu de les balayer sous le tapis. Il s’agit de bien voir ce qu’il en est du champ missionnaire réel, comme le faisaient Paul et Barnabé, au lieu de s’imaginer un champ idéal mais inexistant. Je peux toutefois avancer trois pistes de réflexion, tirées des lectures de ce 4e dimanche du temps pascal.
Des pistes de réflexion
Dans la première lecture tirée des Actes, Paul et Barnabé obéissent aux lois de la ville qu’ils visitent, même lorsqu’ils sont obligés de quitter les lieux. La foi chrétienne se répand pacifiquement, même sous le coup des injustices. La joie de l’Évangile ne diminue pas pour autant chez les disciples, elle est œuvre de l’Esprit Saint (Actes 13,52). Puissions-nous témoigner de notre foi humblement sous le coup des insultes, rectifier les préjugés grâce au dialogue respectueux et civilisé, en bons citoyens et en chrétiennes et chrétiens joyeux.
La deuxième lecture, tirée de l’Apocalypse, montre que la foule de témoins « de toutes nations, races, peuples et langues » se tient debout après une grande épreuve, soutenue par l’Agneau qui est son pasteur (Apocalypse 7,9). La mission chrétienne ne consiste pas à soi-disant convertir tout le monde ; la mission doit s’ouvrir à tout le monde, reconnaître et respecter toutes les races, peuples et langues, mais le nombre de témoins qui revient de la grande épreuve appartient à Dieu. La foi chrétienne n’est pas à vendre au plus grand nombre, elle est le signe de ceux et celles qui acceptent le destin de l’Agneau sacrifié comme source de vie.
Enfin, l’Évangile selon saint Jean nous présente la voix de Jésus. Le Seigneur Ressuscité a besoin de nos efforts missionnaires pour que notre génération et la génération montante entende son nom, sache qu’il est le Vivant, un avec le Père de toute l’humanité. Cependant, le travail intérieur et intime de reconnaissance entre une brebis et son berger, c’est le Bon Pasteur qui l’accomplit : nous ne sommes que les témoins de son accueil. Puissions-nous nous mettre à l’écoute de sa voix et ouvrir nos portes à quiconque viendra, prêts pour les invités inattendus.
Rodolfo Felices Luna est professeur à l’Oblate School of Theology (San Antonio, Texas).
Source : Le Feuillet biblique, no 2757. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.