Le jugement dernier. Wassily Kandinsky, 1912. Huile sur toile. Collection privée (WikiArt).
Guide de survie pour la fin des temps
Francis Daoust | 33e dimanche du Temps ordinaire (C) – 13 novembre 2022
Le commencement des douleurs et les persécutions : Luc 21, 5-19
Les lectures : Malachie 3, 19-20a ; Psaume 97 (98) ; 2 Thessaloniciens 3, 7-12
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Dans la pensée populaire d’aujourd’hui, l’expression « fin des temps » évoque l’anéantissement de toutes choses. C’est ce qui est mis de l’avant par exemple au cinéma avec tous les films de catastrophes de différentes sortes qui menacent de causer la destruction définitive du monde. On emprunte même des termes bibliques tels que « Apocalypse » et « Armageddon » pour parler de ces scénarios terminaux.
Mais cette manière de penser ne correspond aucunement à ce qu’envisageaient les auteurs bibliques lorsqu’ils parlaient de la fin des temps. Pour eux, en effet, l’histoire était composée de quatre périodes : 1) un temps initial de parfaite communion avec Dieu, 2) un déclin progressif de l’humanité qui s’enfonce de plus en plus profondément dans le mal et l’injustice, 3) le jour du jugement au cours duquel Dieu châtie les méchants et élimine le mal à jamais et 4) la fin des temps, qui est une période de paix éternelle et un retour au plan initial prévu par Dieu pour l’humanité. L’expression « fin des temps » ne marque donc pas la sinistre cessation de toutes choses, mais l’heureux début d’une ère nouvelle et définitive.
Une peur justifiée
Les disciples de Jésus semblent au fait de cette chronologie générale des événements puisqu’ils ne manifestent aucune surprise lorsque Jésus déclare que, du monumental et splendide Temple, « il ne restera pas pierre sur pierre » et que « tout sera détruit » (v. 6). Les deux questions qu’ils adressent à leur maître indiquent cependant qu’ils ignorent les détails quant au moment où ils se dérouleront et quant aux signes qui les précéderont.
Ce n’est évidemment pas par simple curiosité qu’ils interrogent Jésus à ce sujet, mais en raison de craintes qu’ils portent et qui sont entièrement justifiées. En effet, si la fin des temps est une période paisible à espérer ardemment, elle est précédée par le jour du jugement qui, lui, sera terrible. Les prophètes de l’Ancien Testament ne ménageaient pas leurs paroles en ce qui concerne le caractère effroyable de ce moment. Sophonie, par exemple, le présentait ainsi : « Jour d’emportement, ce jour-là, jour de détresse et d’angoisse, jour de dévastation et de désolation, jour de ténèbres et d’obscurité, jour de nuages et de sombres nuées. Je serrerai de près les hommes, et ils marcheront comme des aveugles, car ils ont péché contre Yahvé. Leur sang sera répandu comme de la poussière, et leurs entrailles, comme des ordures. » (Sophonie 1,15.17) De plus, bien que les prophètes annonçaient que les justes seraient épargnés, ils avertissaient que ce jour devait être craint par tous : « Que frémissent tous les habitants du pays, car il arrive, le jour de Yahvé, car il est proche. » (Joël 2,1) Comme nous le verrons, Jésus se fait rassurant lui aussi, sans pour autant atténuer la gravité et l’ampleur de l’épreuve à venir.
« Quand cela arrivera-t-il? »
Jésus ne répond pas à la première question posée par ses disciples. À l’aide de la parabole du retour du maître, il avait déjà expliqué qu’il est impossible de connaître le moment de la venue du Fils de l’homme (Luc 12,35-40). Dans les évangiles de Marc et de Matthieu, il explique qu’il l’ignore : « Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges des cieux, pas même le Fils, mais seulement le Père. » (Matthieu 24,36 // Marc 13,32)
En évoquant la fin des temps avec la formule « des jours viendront » (v. 6), Jésus s’inscrit dans la même veine que les auteurs de l’Ancien Testament qui situaient cette époque de façon tout aussi indéterminée. Dans la première lecture, le prophète Malachie parle d’ailleurs à deux reprises du « jour qui vient » (3,19) et la Bible hébraïque emploie la formule arahit hayomim (voir Michée 4,1), qui signifie littéralement « la suite des jours », c’est-à-dire « dans les jours à venir », sans plus de précision.
« Quel sera le signe? »
La réponse de Jésus à la deuxième question des disciples est très longue et couvre vingt-neuf versets (v. 8-36). Si nous nous limitons à ceux de la lecture du jour, nous remarquons qu’ils se divisent en deux sections : une première qui parle de guerres et de cataclysmes naturels (v. 8-11) et une seconde qui annonce la persécution de ses disciples (v. 12-19). Jésus entrevoit donc deux types de signes : les uns se situant dans la sphère extérieure des phénomènes politiques et cosmiques et les autres s’inscrivant dans la sphère intérieure des relations interpersonnelles et familiales.
En situant les épreuves intérieures avant les épreuves extérieures, Jésus prépare ses disciples aux difficultés qu’ils affronteront au plan personnel avant que les grands événements cosmiques ne commencent. Il s’assure ainsi qu’ils ne demeurent pas passifs dans l’attente oisive de la fin des temps, mais qu’ils s’emploient activement à faire face aux exigences de la vie de disciple du Christ.
« Mon nom »
Ces deux sections se répondent l’une l’autre avec l’emploi de la formule « mon nom ». Dans la première section, en effet, Jésus avertit que des imposteurs viendront « sous mon nom » (v. 8) et, dans la deuxième, il annonce que les disciples seront persécutés « à cause de mon nom » (v. 12.17). Ainsi, à l’approche de la fin des temps, le nom de Jésus ne sera pas source de réconfort, mais motif de persécution. Ce dernier prend cependant soin de rassurer ses disciples en accompagnant chacune des mentions de la persécution en son nom par des paroles réconfortantes : « vous n’aurez pas à vous préoccuper de votre défense » (v. 14) et « pas un cheveu de votre tête ne sera perdu » (v. 18).
Il est intéressant aussi de remarquer la différence entre ce que feront les imposteurs et ce que fera le Christ. Les premiers se contenteront de prendre la parole et de demander aux gens de les suivre, alors que Jésus s’assurera de donner la parole et la sagesse à ses disciples. Ce contraste entre les imposteurs et Jésus est accentué chez Luc par l’emploi du terme grec égô (moi) : les premiers affirmeront être le Christ en déclarant : « c’est moi » (v. 8), alors que Jésus promet de soutenir ses disciples en annonçant : « c’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse » (v. 15).
Une autre différence importante se situe au plan des gestes qui sont demandés aux disciples. Les imposteurs se limitent à souhaiter qu’on les suive, c’est-à-dire qu’ils relèguent les disciples à un modeste rôle de subordination. Alors que Jésus les exhorte à témoigner (v. 13), à persévérer (v. 19) et, plus loin dans ses instructions, à se redresser, à relever la tête (v. 28) et à se tenir debout devant le Fils de l’homme (v. 36). Le contraste est frappant entre l’attitude des disciples qui suivraient les imposteurs et ne verraient ainsi que leur dos, et celle qui est encouragée par Jésus, de se tenir debout devant le Fils de l’homme, face-à-face!
Pour aujourd’hui
La crainte sous-jacente aux questions des disciples peut aussi être la nôtre, de nos jours, lorsque nous pensons aux bouleversements à venir en raison des changements climatiques ou que nous réfléchissons aux dangers d’une escalade à l’échelle mondiale du conflit opposant la Russie et l’Ukraine. Sommes-nous en train de voir poindre à l’horizon les signes annonciateurs de la fin des temps dont parle Jésus? Dieu seul le sait!
Que ce soit le cas ou non, les recommandations de Jésus peuvent nous éclairer face aux défis et épreuves qui accompagnent la menace causée par les changements climatiques, la surexploitation de la nature, la pollution et toutes les formes de guerre. Il nous encourage tout d’abord à ne pas demeurer inactifs, mais à nous engager en tant que chrétiens avec toutes les exigences éthiques que cela comporte. Il nous avertit ensuite que le fait de s’afficher comme chrétien ne facilitera pas notre tâche, mais entraînera de nombreuses difficultés. Il nous rassure cependant immédiatement qu’il sera avec nous pour nous soutenir. Il nous invite aussi à prendre la parole et nous assure encore une fois son assistance. Et il nous exhorte finalement à nous lever et à nous tenir debout, à ne jamais perdre notre dignité d’enfants de Dieu.
Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).
Source : Le Feuillet biblique, no 2775. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.