Jésus et ses disciples en route vers Jérusalem. James Tissot, entre 1886 et 1894. Aquarelle opaque et graphite, 15,6 22,2 cm. Brooklyn Museum, New York (Wikimedia).

La suite du Christ

Béatrice BérubéPatrice Bergeron | 13e dimanche du Temps ordinaire (C) – 26 juin 2022

En route pour Jérusalem : Luc 9,51-62
Lectures : 1 Rois 19,16b.19-21 ; Psaume 15 (16) ; Galates 5,1.13-18
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Interrompue depuis plusieurs semaines par des temps liturgiques spéciaux (carême, temps pascal et fêtes dominicales suivant la Pentecôte), nous reprenons en ce dimanche la lecture continue de l’évangile de Luc qui caractérise le temps ordinaire de l’année liturgique en cours. Le premier verset de l’évangile dominical mérite à lui-seul qu’on s’y attarde. En effet, il s’agit d’un verset charnière qui marque le début d’une section importante de l’évangile de Luc : la montée de Jésus vers Jérusalem (Luc 9,51-19,28).

Une montée unique à Jérusalem

Fidèle à la trame évangélique instaurée par Marc (que Matthieu et Luc adoptent), le Jésus de Luc, au cours de son ministère public, ne monte qu’une fois à Jérusalem et c’est pour y mourir pour que s’accomplisse le mystère pascal. Cette montée unique est peut-être plus théologique qu’historique puisque, selon l’évangile de Jean, Jésus fait de nombreux va et vient entre la Galilée et Jérusalem lors de la même période de sa vie. Et lorsqu’on connaît la portée symbolique que l’évangéliste Luc donne à Jérusalem [1], on ne se surprend pas que cette montée soit unique! Il teinte cette montée d’une particulière solennité, notamment par ce verset inaugural : Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem. (Lc 9,51)

C’est la seconde fois que l’évangile fait mention d’un « exode » – ici un « enlèvement » – devant avoir lieu à Jérusalem ; le sujet avait en effet été l’objet d’un entretien mystérieux entre Jésus, Moïse et Élie sur la montagne de la Transfiguration (Lc 9,31). Cet enlèvement ou cet exode vise certainement autant les évènements de sa mort que de son ascension (résurrection)… On peut aussi voir dans cette annonce d’un départ « planifié » une allusion au récit de l’enlèvement d’Élie (voir 2 Rois 2,1), ce qui n’échappe certainement pas à Luc puisque plusieurs parallèles peuvent être soulignés entre l’extrait de ce dimanche et le cycle d’Élie et d’Élisée aux livres des Rois, comme nous le verrons ci-après.

Durcir sa face

Le Jésus de Luc, très conscient de ce qu’il l’attend à Jérusalem, ne se soustrait pas à cette montée. Au contraire! Comme le serviteur souffrant d’Isaïe, dans lequel la tradition chrétienne a toujours reconnu le Christ, il durcit sa face pour s’y rendre (Is 50,7), si nous devions traduire mot à mot le texte grec de l’évangile. Jésus fait résolument face à son destin même s’il doit passer par la souffrance (Lc 24,26.46), prélude à sa gloire.

Passage en Samarie?

Sa route vers Jérusalem à peine amorcée, ce passage de Jésus et de ses disciples par la Samarie étonne. D’abord, parce qu’il est inconnu des autres évangiles [2]; la route traditionnelle des pèlerins galiléens se rendant à la Ville Sainte empruntait la vallée du Jourdain pour éviter le contact avec les Samaritains, population mixte, jugée comme hérétique et impure. Le Jésus de Matthieu va même jusqu’à interdire à ses disciples d’entrer dans un village de Samaritains lors de l’envoi des Douze en mission (Mt 10,5). Ce qui étonne encore, parce qu’aussi unique à Luc, est cette première délégation de messagers (plus compréhensible dans le cadre de l’envoi en mission des soixante-douze qui suivra en Lc 10,1) au-devant de lui pour préparer sa venue.

Contrairement à Élie…

Quoiqu’il en soit de l’historicité de cette « délégation » auprès des Samaritains, elle fournit à l’évangéliste l’occasion de nous transmettre une précieuse leçon de Jésus sur la liberté religieuse. Jacques et Jean veulent se comporter comme Élie autrefois (2 R 1,10-12), exterminant par le feu du ciel ceux qui refusent d’accueillir leur maître. La réprimande de Jésus envers eux, même si son contenu ne nous est pas communiqué, reste éloquente. Contrairement à Élie, avec Jésus, finies les attitudes d’inquisiteurs et les punitions divines… la foi au Fils de Dieu se propose, elle ne s’impose pas de force!

Les trois candidats…

Viennent ensuite trois candidatures à la suite de Jésus, deux volontaires et une directement sollicitée par le fameux « Suis-moi » du Maître. Trois petites scènes qui donnent lieu à des aphorismes de Jésus qui traduisent le sérieux et l’exigence de la Sequela Christi. Au moins deux de ces courtes formules choquent, c’est précisément le but d’un aphorisme : secouer pour faire réfléchir! Le disciple n’étant pas plus grand que le Maître, s’engager à sa suite comporte son lot de sacrifice, d’inconfort et de détachement, l’aspirant doit en être « averti ». Soulignons encore, chez le troisième candidat, un parallèle évident avec la vocation d’Élisée au service du prophète Élie (1 R 19,19-21). On retiendra aussi de ce petit ensemble que l’annonce du Royaume ne souffre pas de retard, il y a une urgence à annoncer le Règne de Dieu.

Comme rentrer à la maison

Après les temps liturgiques spéciaux et les fêtes, il est bon de reprendre le temps ordinaire et la reprise de la lecture continue de l’évangile. C’est comme rentrer à la maison après un long voyage, retrouver ses repères et sa routine. Le temps ordinaire possède cette vertu de nous remettre simplement à l’école du Maître, de recevoir de lui, de dimanche en dimanche, les leçons « ordinaires » de Jésus, pourtant si nécessaires à notre formation continue de disciples « ordinaires ».

Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.

[1] Pour l’évangéliste Luc, Jérusalem est le centre de l’histoire du salut. Jésus y donne sa vie, y ressuscite et c’est de là que doit commencer la prédication évangélique qui devra ensuite s’étendre à toutes les nations. Voir Ac 1,4 et 8.
[2] Mis à part au chapitre 4 de l’évangile de Jean, mais le contexte n’est pas du tout le même.

Source : Le Feuillet biblique, no 2764. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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