L’appel des premiers disciples. Edward Armitage, 1869. Huile sur toile, 71 x 106 cm. Musées de Sheffield (WikiGallery).

Capturer pour rendre la vie

Yvan MathieuYvan Mathieu | 5e dimanche du Temps ordinaire (C) – 6 février 2022

Jésus appelle ses premiers disciples : Luc 5, 1-11
Lectures : Isaïe 6, 1-2a.3-8 ; Psaume 137 (138) ; 1 Corinthiens 15, 1-11
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Dans les trois premiers évangiles, après avoir été baptisé par Jean Baptiste, Jésus est mené par l’Esprit au désert pour être tenté par le diable, puis il revient victorieux en Galilée. Chez Marc et Matthieu, il appelle immédiatement des disciples à sa suite. Mais pas chez Luc, qui nous montre Jésus agissant seul au début de son ministère, d’abord à Nazareth (Lc 4,16-30) puis à Capharnaüm (Lc 4,31-44).

Jésus, prisonnier des foules

Dès le début de son ministère, Jésus est victime de son succès. À Capharnaüm, on voulait le retenir, alors que sa mission devait plutôt le mener dans tout le pays des Juifs (Lc 4,44). Aujourd’hui, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth (Lc 5,1). Pressé par la foule, comment pourra-t-il lui annoncer la parole de Dieu ? Il risque d’être écrasé (voir Mc 3,7.9). Ceux qui sont loin de lui risquent de ne pas entendre la parole.

Jésus, l’homme pratique

Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules (Lc 5,2-3). Jésus avait résolu son problème. Le rivage servait d’estrade où pouvait s’asseoir la foule. La barque de Simon servait de scène. L’eau du lac portait sa voix et lui servait d’amplificateur. Il pouvait maintenant annoncer librement la Parole.

Simon accepte l’invitation

Pour Simon, l’homme qui venait de monter dans sa barque n’était pas un inconnu. Il avait déjà entendu Jésus prêcher à la synagogue de Capharnaüm (Lc 4,31-32). Il l’avait vu exorciser un homme possédé par l’esprit d’un démon impur (Lc 4,33), menacer avec succès la fièvre qui opprimait sa belle-mère (Lc 4,37-39), puis guérir tous les malades atteints de diverses infirmités qu’on lui amenait (Lc 4,40-41). Il était là, non pour écouter la Parole, mais pour laver ses filets au terme d’une nuit de travail. Il accepte pourtant d’aider Jésus dans sa mission. Ce faisant, il devient le premier auditeur de la Parole.

Va plus loin

Luc ne nous révèle pas le contenu de l’enseignement de Jésus ce jour-là. Il passe directement aux événements qui suivent la proclamation de la Parole. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche » (Lc 5,4). Ou, plus littéralement « Avance dans la profondeur » ! On peut deviner la réticence de Simon devant cette invitation. Jésus venait d’un petit village de montagne, Nazareth. Il n’avait aucune expérience de la pêche, alors que Simon et ses compagnons étaient des pêcheurs professionnels. Simon pouvait-il faire confiance à un gars de la ville pour lui indiquer comment faire son métier ? Pourtant il répond : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets » (Lc 5,5).

Une réponse qui en dit long

Trois choses sont à noter dans la réponse de Simon. D’abord le titre qu’il donne à Jésus : « Maître ». Dans les autres évangiles, ce titre traduit le mot grec didaskalos, « enseignant ». Ici, Simon donne à Jésus le titre d’epistatès, littéralement « celui qui se tient au-dessus ». L’expression ne se retrouve que chez Luc, six fois sur les lèvres des disciples et une fois quand les dix lépreux demandent à Jésus de les purifier (Lc 17,13). Ensuite, l’alternance entre le singulier et le pluriel. Jésus dit à Simon : « Avance… et jetez » (Lc 5,4). Simon dit à Jésus : « Nous avons peiné… mais… je vais jeter les filets » (Lc 5,5). Simon ne peut répondre seul à l’invitation de Jésus. Enfin, Simon reconnaît la puissance de la parole de Jésus. Il l’a vu à l’œuvre à Capharnaüm. Il vient d’entendre de sa bouche la parole de Dieu. Sur la foi de cette parole, il prend le risque d’accepter.

Un succès périlleux

Normalement, la pêche nocturne est plus favorable que celle faite de jour. Simon et ses compagnons venaient pourtant de vivre une nuit de pêche infructueuse. Voilà que sur la parole de Jésus, les choses vont changer : IIs capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer (Lc 5,6). Mais cette pêche inespérée met en danger le gagne-pain de Simon. Lui et ses compagnons risquent de perdre et les poissons et leurs instruments de travail. On tente pourtant de sauver la situation. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient (Lc 5,7). Les choses empirent. On risque de perdre poissons, filets, barques et pêcheurs. Les forces du mal, souvent symbolisées dans la Bible par la profondeur, font sentir leur pouvoir d’attraction.

La présence du divin provoque la crainte

À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur » (Lc 5,8). Simon avait donné à Jésus le titre d’epistatès, « celui qui se tient au-dessus ». Au lieu de tomber aux pieds de Jésus, il tombe à ses genoux. Cette indication qui sort de l’ordinaire veut sans doute souligner qu’au moment où Simon-Pierre et ses compagnons s’enfoncent, Jésus, lui, reste à la hauteur. Bien plus, Pierre lui donne maintenant le titre de « Seigneur », normalement réservé à Dieu et à lui seul. Saisi d’un grand effroi, tout comme Jacques et Jean, fils de Zébédée, ses associés (Lc 5,9-10a), Simon-Pierre sent la présence de Dieu en cet homme. Constatant sa propre indignité, il lui demande de s’éloigner.

Jésus rassure et appelle

Jésus aurait pu accomplir un autre miracle en marchant sur les eaux. Il reprend plutôt la parole que l’ange Gabriel disait à Zacharie puis à Marie : « Sois sans crainte » (Lc 5,10b ; voir 1,13.30). Puis il lance à Simon un appel : « Désormais ce sont des hommes que tu prendras » (Lc 5,10c). On pourrait traduire plus littéralement : « tu captureras des êtres humains pour leur rendre la vie ». Quelle belle image ! Il ne s’agit pas seulement d’être pêcheur d’hommes, mais de capturer hommes et femmes pour qu’ils soient sauvés. Telle est la mission que Jésus, reconnu comme maître et Seigneur, propose à Simon, qui deviendra Pierre.

Une mission pour Pierre et ses compagnons

Si Jésus s’adresse à Simon au singulier, celui-ci n’est pas le seul à répondre. Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent (Lc 5,11). Sur le plan anecdotique, cela est un véritable gaspillage. Pourquoi laisser le fruit de cette pêche abondante se perdre sur le rivage ? Luc nous indique sans doute par là que cette pêche a valeur symbolique. Jésus nous invite à nous joindre à Pierre et à ses compagnons. Laissons monter Jésus dans notre barque. Avançons sous sa gouverne vers la profondeur. Quelle capture nous ferons ! La vie surabondera.

Père mariste, Yvan Mathieu est professeur à l’Université Saint-Paul (Ottawa).

Source : Le Feuillet biblique, no 2742. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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