Ils le reconnurent à la fraction du pain. Léon-Augustin l’Hermite, 1892. Huile sur toile, 155,5 x 230 cm. Musée des Beaux-Arts, Boston (Wikimedia).
Emmaüs, prise 2!
Alain Faucher | 3e dimanche de Pâques (B) – 18 avril 2021
L’apparition aux Onze : Luc 24, 35-48
Les lectures : Actes 3, 13-15.17-19 ; Psaume 4 ; 1 Jean 2, 1-5a
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Depuis quelques années, l’Église convoque tous ses fidèles engagés dans l’aventure de la foi à adopter une mentalité et un comportement de disciples missionnaires. Cette formule de « disciple missionnaire » n’est pas juste un mantra passager, un effet de mode... Agir en témoins du Ressuscité, cela ne s’improvise pas. C’est une tâche nouvelle et essentielle des disciples de Jésus. Il s’agit de prolonger notre suite de Jésus dans des prises de paroles vécues dans nos réseaux de vie. C’est un geste sérieux!
Car le témoignage des disciples missionnaires ne se livre pas n’importe comment. Certains éléments du témoignage sont incontournables. Nous les rencontrons aujourd’hui dans le récit d’évangile qui fournit un suivi à l’expérience d’Emmaüs, dans un discours de Pierre à Jérusalem et dans la réflexion d’une lettre johannique ultérieure. Restera à nous investir sérieusement dans le transfert de ces contenus vers notre propre aventure de rencontre du Ressuscité, vers notre vie de témoignage au sujet de la présence transformatrice du Seigneur de la vie... C’est une manière de penser et de vivre qui traduit un regard différent sur la vie humaine liée à celle de Dieu. C’est par conséquent un mode de vie supporté par une vision du monde et de la vie avec Dieu…
Cette proposition de témoignage qui pétrit les écrits du pape François n’est pas une invention de la dernière pluie. Cette proposition s’enracine profondément dans les textes bibliques qui décrivent les suites de la Résurrection de Jésus. L’Église des débuts y révèle la source de ses élans vers les nations du monde. En proclamant à notre tour ces textes bibliques, nous explorons le premier jet du petit manuel du parfait disciple missionnaire!
Évangile : Luc 24, 35-48
Nous apprécions beaucoup le récit des disciples d’Emmaüs. Nous connaissons peut-être moins la suite des événements. C’est l’objet du récit évangélique de ce dimanche. Il nous offre un récit de suivi riche en enseignements. Pour certaines précisions, on va même plus loin dans cette « prise 2 » que dans le récit de base…
Chose étonnante : il se passe quelque chose d’important quand les disciples racontent leur rencontre avec Jésus qui leur avait partagé le pain. Cette simple évocation permet la présence de Jésus au milieu du groupe. Telle est la force de la parole : parler de la fraction du pain prolonge son effet présentiel… La venue de Jésus suscite frayeur et crainte, une profonde expérience spirituelle et religieuse que viennent étayer des références corporelles données par Jésus. Ce n’est pas seulement avec le toucher ou la vue que le Ressuscité s’impose à notre foi. Le corps qui s’alimente vient confirmer que la présence réconfortante du Seigneur est acquise à ses amis. Il n’est pas un pur esprit… Il est « in-corporé ».
Ce qui s’avère décisif pour rencontrer le Ressuscité, c’est la relecture d’expérience à la lumière des textes sacrés. Il s’agit de donner sens à des événements fondateurs selon les modalités proposées par Jésus lui-même. Une plongée dans le Premier Testament s’avère indispensable. Certes, les croyantes et les croyants d’aujourd’hui ne sont pas séduits à l’idée d’explorer l’Ancien Testament. Pourtant, c’est là que Jésus trouve les arguments pour relier la mort honteuse sur la croix au relèvement glorieux voulu par Dieu le Père… À partir de ce moment, la conversion peut être proclamée en son nom par ses mandataires, qui sont alors centrés sur l’essentiel.
Première lecture : Actes 3, 13-15.17-19
L’évangile se clôt sur un programme de proclamation et d’action qui ouvre un vaste horizon. C’est l’enjeu de la première lecture tirée du tome 2 de l’Évangile selon Luc, les Actes des Apôtres. Pierre met en action le programme de témoignage proposé par Jésus après sa visite à Emmaüs. Pour se présenter comme témoin de la résurrection, Pierre se réfère à l’action du « Dieu de nos Pères ». Pierre s’inclut ainsi comme participant à part entière du peuple d’Israël, tout en proposant un changement, une transformation : la conversion en vue du pardon des péchés.
Le sort de Jésus crucifié est à l’opposé de l’exclusion voulue par le peuple, alors que Pilate voulait plutôt réhabiliter Jésus. Mais ce n’était pas le dernier mot de Dieu. Le transfert à Jésus de la gloire divine constitue le sommet incontestable de son inclusion dans le projet divin. La panoplie des titres utilisés par Pierre pour honorer Jésus trouve une vigueur inédite dans l’affirmation initiale de la participation à la gloire de Dieu. Les expressions « le serviteur de Dieu », « le saint », « le juste », « le chef des vivants » contrastent avec le rejet causé par l’ignorance et le reniement du peuple.
Il faut noter au passage comment l’écrivain sacré articule des oppositions percutantes. Rejeter celui qui est saint et juste, c’est exclure celui qui est porteur des pouvoirs inclusifs propres à Dieu. Et oser tuer le chef des vivants, c’est rejeter sa contribution! Heureusement, la conséquence de ces gestes ne relève pas de la pure logique. Là où l’anéantissement aurait été justifié, la conversion, le retour à Dieu et l’effacement des péchés constituent la voie d’avenir avec Dieu.
Deuxième lecture : 1 Jean 2, 1-5
Ce texte repose sur une opposition : un aspect négatif, le péché ; un aspect constructif, garder les commandements. Même si le péché ne peut être évité, nous ne sommes pas laissés à nous-mêmes. En Jésus, nous avons un défenseur devant Dieu.
Remettons cela en contexte. Au fil des dimanches du Temps pascal de l’année B, la deuxième lecture permet d’apprivoiser la Première lettre de Jean. L’extrait est aujourd’hui tiré d’une section intitulée « Dieu est lumière », section qui s’étend de 1,5 à 2,28. Les critères de la communion avec Dieu y sont présentés tantôt sous forme d’affirmations (versets 1-3), tantôt sous forme d’opposition (versets 4 et 5).
Le thème du péché à éviter n’est pas un simple avertissement pour prémunir les croyants au sujet de certains comportements. La thématique du péché est présente dans les trois lectures de ce jour. Cette thématique illumine, par contraste, la communion désormais possible avec le Dieu saint, grâce à ce qui est juste et porteur de vie. Jésus autant que Pierre proposent une conversion pour le pardon ou l’effacement du péché. Il convient de se détourner de tout ce qui n’est pas compatible avec l’être divin.
L’extrait de la lettre fait également progresser la prise de conscience du caractère engageant de la foi. On notera par exemple l’équivalence entre la connaissance de Dieu et l’action de « garder ses commandements ». La connaissance de Dieu entre ainsi dans un environnement dynamique : ce type d’agir est proposé en résonance avec la pratique de la vie de foi. Connaître Dieu n’a rien d’une fuite hors de la responsabilité, loin de l’action. Impossible de se réfugier dans la seule connaissance pour justifier l’incohérence entre les grandes déclarations de foi et l’absence d’actions.
Il est finalement très stimulant de noter la présence de verbes exprimant une capacité, au verset 3 : « voici comment nous savons... » Cette dimension du pouvoir, de la capacité a été mise de côté lors du découpage de l’évangile (verset 49). Elle trouve ici son droit de cité. Le témoignage des disciples missionnaires peut déboucher sur des succès selon le cœur de Dieu.
Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.
Source : Le Feuillet biblique, no 2707. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.