Apparition du Christ au cénacle. James Tissot, entre 1886 et 1894. Aquarelle opaque et graphite sur papier vélin gris, 14 x 26 cm. Brooklyn Museum, New York (Wikimedia).
Croire, un défi permanent
Béatrice Bérubé | 2e dimanche de Pâques (B) – 11 avril 2021
Jésus apparaît à ses disciples : Jean 20, 19-31
Les lectures : Actes 4, 32-35 ; Psaume 117 (118) ; 1 Jean 5, 1-6
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Le texte de ce dimanche de Pâques présente les extraits de l’évangile selon Jean relatifs aux apparitions de Jésus à ses disciples (20,19-23) et à Thomas (20,24-29), récits suivis d’une conclusion qui rapportent le but de l’évangéliste (20,30-31).
L’apparition de Jésus à ses disciples
La scène se déroule dans une maison, dont les portes sont verrouillées, le soir du premier jour de la semaine, c’est-à-dire le dimanche, jour du rassemblement liturgique des premiers chrétiens, temps privilégié pour réactualiser la fraction du pain. Les disciples, les Onze, vivent dans la peur et l’enfermement par crainte des autorités juives (Jean 1,19 ; 9,22 ; 12,42 ; 16,2). Or, c’est dans ce milieu clos que surgit Jésus. « Paix à vous ! » (Shalom) leur dit-il (v. 19). La paix qu’il leur souhaite a pour but de les réconforter et de les rassurer dans l’état d’angoisse où ils se trouvent (voir Jn 16,33ab). Ce Shalom, salut ordinaire des Juifs (Juges 19,20 ; 2 Samuel 18,28), n’est pas seulement un souhait de courtoisie qui équivaut pour ceux qui l’entendent à une possibilité, à une éventualité, mais un don accordé par Dieu lui-même comme dans la prophétie (Isaïe 40,9) ou dans l’Évangile (14,27 ; Marc 1,15).
En parlant, Jésus montre les traces de la crucifixion sur ses mains et sur son côté (v. 20a). En agissant ainsi, le Ressuscité désire affermir la foi de ses apôtres, se faire reconnaître pour celui qui a souffert et qui a été crucifié, et pour celui qui est à jamais avec eux (Hébreux 2,18). Lui qui vient de faire l’expérience de la mort se révèle ici maître de la vie. Certes, la présence physique ordinaire de Jésus a pris fin. Cependant, celui qui est là au milieu d’eux est leur maître Jésus exalté, c’est-à-dire la même personne qu’ils ont connue et aimée, mais désormais transfigurée par la résurrection. Jusque-là craintifs, les disciples sont comblés de joie (v. 20b). Ils ont maintenant la certitude que Jésus est vivant. Ainsi s’accomplit pour la première fois, la promesse que Jésus leur a faite avant sa mort, en leur annonçant que la joie suivra de près la douleur (16,33).
L’apparition du Ressuscité n’est pas une fin en soi. Elle débouche sur une mission. Au v. 21, Jésus répète le salut pour en marquer la haute signification. Ici, le souhait de paix du Ressuscité est un bien spirituel, un don intérieur qui est relié à la mission des apôtres et au don de l’Esprit. La tâche conférée aux disciples par le Ressuscité s’enracine dans la mission que le Père a confiée à Jésus selon le vocabulaire usuel de Jean (13,20 ; 17,17-19), mandat qui correspond à leur investiture comme prédicateurs et témoins en Matthieu 28,19-20 et en Luc 24,47-48. Les disciples devront rendre présente dans le monde l’œuvre de salut accomplie par Jésus lors de son séjour terrestre. Le souffle de Jésus et le don de l’Esprit (v. 22) évoquent divers passages bibliques. À l’instar de Dieu qui a insufflé son esprit de vie sur Adam (Genèse 2,7 ; Sagesse 15,11), à l’exemple de l’Esprit qui est descendu sur Jésus (1,33-34), le Christ ressuscité insuffle la puissance de l’Esprit sur les apôtres (14,26), puissance de salut que les disciples manifesteront désormais en communion avec Jésus (15,26-27 ; 17,17.19). Le Seigneur Jésus les crée donc à nouveau et leur confie la responsabilité de rendre Dieu présent dans le monde. À l’écoute de leur témoignage, les hommes ou bien croiront ou bien se scandaliseront. Comme Dieu, puis comme son envoyé Jésus, les apôtres peuvent remettre ou retenir les péchés (v. 23) par le baptême auquel conduit la prédication. L’Esprit les relie tellement étroitement à Dieu que, lorsqu’ils pardonnent aux hommes ou maintiennent leurs péchés, c’est Dieu qui, par eux, absout et retient les péchés.
Incrédulité de saint Thomas. James Tissot, entre 1886 et 1894. Aquarelle opaque et graphite sur papier vélin gris, 19,8 x 13,5 cm. Brooklyn Museum, New York (Wikimedia).
L’apparition de Jésus à Thomas
Thomas, l’un des Douze, est absent lors de la venue de Jésus. Il est sur la pente de l’incrédulité. Il refuse de croire à la résurrection de Jésus sur la parole des autres disciples. Il veut vérifier par lui-même. Il veut comme eux expérimenter la présence du Ressuscité, d’un voir qui devienne un toucher sensible. Il exige des preuves palpables pour confesser sa foi en Jésus ressuscité (vv. 24-25).
Le dimanche suivant, (la répétition de cette journée valide la pratique cultuelle des chrétiens le premier jour de la semaine), Jésus apparaît une deuxième fois à ses disciples qui sont à nouveau réunis dans la maison. Cette fois-ci, Thomas est présent. Le v. 26 décrit cette seconde venue de Jésus dans les mêmes termes que la première (voir v. 19). Au v. 27, Jésus accorde à Thomas l’expérience sensible qu’il exigeait et lui adresse une invitation à croire. Or, sans qu’il soit dit que Thomas ait touché les plaies, Thomas croit maintenant parce qu’il a vu Jésus vivant, qu’il l’a entendu et qu’il a reçu de lui la leçon dont il avait besoin par le biais de sa parole Cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi (v. 27b). Ici, l’incroyance de Thomas est fortement soulignée puisqu’elle s’exprime quasiment dans les mêmes termes qu’en Jean 4,48 : Si vous ne voyez signes et prodiges, vous ne croirez donc jamais.
La foi retrouvée de Thomas l’incroyant va au-delà de celle des disciples. Il confesse que Jésus ressuscité est pour lui Seigneur et Dieu (v. 28). Parmi tous les titres de Jésus qui se sont déclinés entre le premier chapitre Et le Verbe était Dieu (1,1) et celui-ci, nous arrivons à un sommet que les définitions dogmatiques ultérieures ne dépasseront pas. À la déclaration de Thomas, Jésus lui dit : Parce que tu m’as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui croient sans avoir vu! (v. 29) Cette béatitude constitue une conclusion de tout l’évangile et une reprise d’un thème majeur du judaïsme : entre le voir et le croire, le spectacle et l’écoute, la monstration et la parole, c’est le second terme qui constitue la condition normale et idéale du croyant. Par ces paroles, Jésus proclame heureux les croyants, non seulement ceux du 1er siècle, mais aussi ceux des âges à venir qui doivent croire à travers le témoignage de l’Église qui transmet la tradition des premiers disciples. Telle est la leçon que donne le Ressuscité sur la « tradition » dans laquelle nous naissons à la foi, enseignement aussi sur l’impossibilité de demander des démonstrations personnelles pour croire.
L’épilogue
Dans la conclusion de son évangile, Jean donne deux précisions importantes. Il reconnaît avoir volontairement fait une sélection dans les faits concernant Jésus et il souligne la richesse inépuisable de son sujet (v. 30). L’incrédulité de Thomas lui permet de réaliser divers objectifs. D’abord, celui d’instruire les chrétiens de sa communauté en leur révélant le sens profond des faits et des enseignements de Jésus. Puis, celui de conforter ses disciples qui sont aux prises avec les objections des juifs, que Jésus est vraiment le Messie promis par les Écritures et le Fils de Dieu, afin qu’en demeurant dans la foi, ils aient la vie éternelle (v. 31).
Que retenir?
Dans le récit de l’apparition à Thomas, ce compagnon de Jésus symbolise tous les disciples qui ont hésité avant de croire à la résurrection de Jésus (Mt 28,17 ; Mc 16,11-14 ; Lc 24,11). À l’instar des destinataires de l’évangéliste à la fin du 1er siècle qui n’ont pas vu le Ressuscité, les lecteurs d’aujourd’hui doivent lire ce texte comme un récit qui leur est adressé, car eux aussi ne verront pas le Ressuscité à la différence des disciples privilégiés.
En ce 21e siècle, est-il possible de croire sans voir? Sur quoi la foi peut-elle s’appuyer? Pour nous, les lecteurs, qui vivons dans le temps de l’absence physique du Christ, le livre est là, pour que, de la rencontre entre nous et l’écrit, naisse la Vie par la foi en Jésus, Messie et Fils de Dieu. Néanmoins, en tant que destinataires de l’évangile, nous devons accepter par avance les lectures de demain et d’après-demain qui, peut-être, condamneront ce qui a été dit ici, mais qui confirmeront que nous sommes devant un texte toujours ouvert qui nous offre sans cesse de nouvelles perspectives.
Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.
Source : Le Feuillet biblique, no 2706. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.