Pierre et Jean courant au tombeau. Eugène Burnand, 1898. Huile sur toile, 82 x 134 cm. Musée d’Orsay, Paris (Wikipedia).
Des signes et des êtres… de résurrection!
Jean-Chrysostome Zoloshi | Résurrection du Seigneur (B) – 4 avril 2021
Le tombeau vide : Jean 20, 1-9
Les lectures : Actes 10, 34a.37-43 ; Psaume 117 (118) ; Colossiens 3, 1-4
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Partant de la démarche de Marie-Madeleine qui se rend au tombeau de grand matin, en passant par la course et le décryptage de Pierre et de l’autre disciple, jusqu’à l’acte de foi exprimé par cet autre disciple à la suite de ce qu’il a vu, l’extrait de Jean 20,1-9 nous offre un itinéraire et un espace de liberté marqués par des signes semblables à ceux qui se dressent sur nos chemins de vie proposés par Jésus de Nazareth.
Des signes d’attachement et de proximité
Le récit évangélique de Jean 20,1-9 proclamé en ce matin de Pâques commence avec cette affirmation : Le premier jour de la semaine, Marie-Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Dans ce premier verset qui introduit le corpus des récits de résurrection, tout concourt à démontrer l’importance de la démarche de Marie-Madeleine et de l’évènement qui est en jeu : personnage, action et circonstances sont au service de cette démonstration.
L’expression « Le premier jour de la semaine » évoque Genèse 1,5 (première lecture de la Veillée pascale) et fait référence au « jour un » de la semaine, devenu le « Jour du Seigneur », le dimanche chrétien (Bible de Jérusalem, note b). Marie Madeleine semble avoir guetté ce premier jour de la semaine, – qui coïncide avec la levée de l’interdit lié aux célébrations de la Pâque juive –, pour sortir, dès la première occasion, et se rendre au tombeau. Elle est la première à faire ce déplacement depuis les évènements tragiques de la Passion, de la mort et de l’ensevelissement de Jésus. Des évènements qui l’ont sonnée et secouée. En effet, la condamnation injuste de Jésus, sa passion et sa mort humiliantes l’ont plongée dans l’obscurité ; elles l’ont remplie d’angoisses et de peur face à un avenir devenu obscur. Sa course au tombeau est le signe et l’expression de la communion de vie et d’amour entre elle et son Maître. À travers des évènements et les expériences les plus diverses, dans la joie et dans le bonheur d’une vie partagée pendant trois ans, leur sort a été scellé. Comme les autres disciples, elle l’a touché, écouté et aimé ; il lui a fait du bien, à elle comme à l’ensemble de la population, ainsi que l’atteste le livre des Actes : Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui (10,38). Cet attachement dans la joie et le bonheur ne pouvait que se manifester lors de la souffrance, alors qu’il a été accusé injustement, supprimé, suspendu au bois du supplice et mis au tombeau.
Dans l’évangile proclamé durant la Veillée pascale, il est écrit : Le sabbat terminé, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des parfums pour aller embaumer le corps de Jésus. (Marc 16,1). Contrairement à Jean qui affirme que Marie-Madeleine est l’unique personne qui s’est mise en mouvement pour aller au tombeau, Marc dit qu’elle a été accompagnée de Marie, mère de Jacques, et Salomé. Que Marie-Madeleine ait été seule ou pas, il est clair que cette première visite au tombeau a lieu de grand matin.
Chez Marc et chez Jean, la mention du Jour (premier de la semaine) et de l’heure matinale (alors que c’était encore les ténèbres) est semblable. Ces deux éléments montrent que ce qui se passe n’est pas le fruit du hasard ou d’une décision impulsive : depuis trois jours, cette visite matinale a été réfléchie ; elle a été désirée, appelée de toutes les forces, pour qu’advienne le moment matinal de la rencontre avec l’être bien-aimé, mort et laissé abruptement, à cause de la préparation de la Pâque par les Juifs. On comprend qu’à cause d’une relation profonde tissée au fil de paroles et d’évènements, Marie-Madeleine ait formé le projet d’aller, dès la première occasion, de grand matin, voir le Maître. Son déplacement nocturne apparaît déjà comme un mouvement de lumière et de résurrection qui fend les ténèbres de la mort. C’est à partir de ce premier mouvement courageux et déterminé de Marie-Madeleine se rendant au tombeau, de grand matin, que suivront, comme on le verra plus loin, les autres mouvements, dont celui de Jean et de Pierre. Marie-Madeleine se rend au tombeau de grand matin, parce qu’elle est concernée par ce qui lui est arrivé. Il en est ainsi et il en sera toujours ainsi de notre intérêt pour les êtres chers et aimés, auxquels nous sommes unis par le sort, lorsqu’ils sont aux prises avec une situation malencontreuse.
Un signe qui met en mouvement
Dans l’énoncé affirmant l’arrivée au tombeau, Marie-Madeleine s ’aperçoit que la pierre a été enlevée. La signification spéciale et plurielle, chez Jean, du verbe « voir » exige notre attention. En effet, selon les contextes de son utilisation, le verbe « voir » peut décrire le simple fait d’observer ; il peut aussi s’entendre de l’action de faire un constat ; il se réfère aussi à l’idée de considérer une présence ; il est, en outre, employé lorsqu’on invoque l’idée à la fois de lever les yeux et d’identifier la vérité lorsque l’œil est ouvert. Dans le cas de Marie-Madeleine, l’utilisation de ce verbe (sous la forme d’apercevoir) fait comprendre que son regard porté sur le tombeau est une simple observation de la situation telle qu’elle se présente. Selon le sens du verbe utilisé, il apparaît que Marie-Madeleine a observé et fait le constat des faits tels qu’ils s’offraient à voir. Pour elle, la pierre enlevée est un signe qui lui montre que quelque chose d’anormal s’est passé. Ses yeux n’étant pas encore ouverts, Marie-Madeleine ne peut pas voir au point d’être capable d’identifier la vérité de ce qui s’est réellement passé. Pour l’instant, une seule chose lui apparait, sachant que, comme pour tout enterrement qui se fait en bonne et due forme, elle sait que la pierre placée sur l’entrée de la tombe impliquait que Jésus s’y trouvait. Mais, même si ce premier regard ne l’a pas encore amenée à voir au-delà des apparences et de percevoir, dans l’indice du tombeau ouvert, le signe de la résurrection, cette simple vue est déjà suffisante pour pousser cette femme à courir alerter Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait.
La pierre enlevée et le tombeau vide, qui lui infligent une souffrance supplémentaire et aggravent sa peine, ne laissent place qu’à une seule interprétation pour Marie-Madeleine. Son observation l’amène à voir les indices d’un vol : On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. Elle ne peut y voir autre chose car, ses yeux n’étaient pas encore ouverts. Le constat de l’absence est un signal qu’il faut chercher Jésus. L’absence du Seigneur pousse à le chercher, à se mettre en chemin, pour le trouver. L’absence est le signe qu’il faut se mettre en quête de sens, pour comprendre ce qui arrive. Pour Marie-Madeleine, la pierre enlevée et le tombeau vide vont la pousser à courir pour alerter les apôtres. En courant, Marie-Madeleine, montre des signes de désarroi et de désespoir, à cause de ce qu’elle a vu.
Courir derrière les signes, savoir les décrypter
Les verbes de mouvement, très abondamment utilisés en Jean 20,1-9, sont particulièrement présents dans les versets 3 et 4 qui décrivent l’action de Pierre et l’autre disciple : « Pierre partit », « pour se rendre », « Ils couraient tous », « courut plus vite » ; « arriva le premier ». L’abondance de ces verbes signifie à elle seule l’importance de la raison du déplacement effectué par les deux disciples. Leur déplacement n’est pas seulement le signe d’un attachement et d’une proximité au Maître, comme ce fut le cas pour Marie-Madeleine partie de grand matin. Pierre et Jean courent pour aller au tombeau, avec le même désarroi et le même empressement qui ont animé Marie-Madeleine sur la route du tombeau jusqu’à eux. Mais, en plus, leur déplacement est aussi le signe de leur volonté de faire du décryptage et de comprendre la parole de Marie-Madeleine.
Voilà pourquoi, dans la suite du texte, en arrivant le premier, l’autre disciple n’attendra même pas Pierre. Il commence directement à voir. Plus tard, Simon-Pierre, qui le suivait, fera aussi sa part de décryptage : Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place.
Les deux linges sont les signes qui viennent s’ajouter à celui du tombeau vide que Marie-Madeleine avait déjà constaté de grand matin et que les deux disciples observent à leur arrivée. À travers la description de ces deux linges, on comprend que l’auteur sacré veut attirer l’attention sur leur disposition ordonnée : linges posés à plat et suaire roulé à sa place. À la différence de Lazare ramené à la vie mais lié et enveloppé de linges, symbole de la passivité de la mort (Jn 11,43-44), Jésus n’en est pas retenu captif. Par cette façon de s’exprimer, l’auteur sacré veut nous faire comprendre que si le corps ne se trouve pas à sa place, là où il a été déposé inanimé et lié, ce n’est pas parce qu’il a été déplacé, comme le prétend Marie-Madeleine. Les détails donnés à propos des linges restés en place sont des signes qui servent à authentifier la résurrection de Jésus : il est désormais libéré des entraves qui le retenaient sans vie. Il est ressuscité ! En prenant conscience qu’ils ne doivent pas chercher le Vivant parmi les morts, Pierre et Jean s’ouvrent, comme pour les deux disciples d’Emmaüs (Lc 24,13-35), à l’ensemble du plan de Dieu tel que raconté durant la liturgie de la parole de la Veillée pascale.
Le signe de la foi
Le quatrième évangile se sert de tous ces détails pour en faire des signes ; ce qui va initier le lecteur à y voir une réalité profonde. Ainsi, l’itinéraire qui part du déplacement de Marie-Madeleine vers le tombeau, en passant par son empressement à communiquer le message du corps enlevé, pour se prolonger dans la course de Pierre et Jean jusqu’au tombeau afin de constater le récit de la femme, cet itinéraire donc s’achève dans l’expression de l’acte de foi : il (Jean) vit et il crut. En voyant les signes qui lui sont offerts, Jean a saisi l’ampleur de la situation ; il a saisi par l’adhésion du cœur et de l’esprit ce que la vacuité du tombeau et la position des linges et du linceul représentaient en termes de signes de la présence divine. Des simples signes suffisent à faire sentir et saisir le sens de l’évènement à celui qui aime. On comprend pourquoi, lors de l’observation du tombeau vide et des linges, l’adhésion du cœur met d’abord en mouvement le « disciple que Jésus aimait », nous indiquant ainsi que seule la puissance de l’amour peut faire sentir, saisir et capter ce qui échappe aux autres.
Le signe des apparitions
À cause de la richesse de la liturgie pascale, nous avons accès aux textes de Marc 16,1-7 (messe la Veillée pascale) et de Luc 24,13-35 (messe du soir de Pâques) qui font état des apparitions comme étant des signes du Ressuscité. Mais, dans l’extrait évangélique du Jour de Pâques, la liturgie a choisi de ne pas proposer à la lecture la suite du récit du quatrième évangile, consacré aux apparitions à Marie-Madeleine (20,11-18) et aux disciples (20,19-29) qui ont toutes eu lieu le jour de la résurrection. Cela a l’avantage sans doute de faire comprendre l’importance du tombeau vide comme point de départ du cheminement qui conduit jusqu’à la foi au Ressuscité. Pédagogiquement, cela a aussi l’avantage de ne nous laisser que le tombeau vide pour preuve de la résurrection du Christ. Ainsi sommes-nous invités à une foi qui sache se fonder sur le témoignage des communautés chrétiennes et la transformation profonde des êtres et des communautés qui se laissent habiter par l’Esprit du Ressuscité.
Pris ensemble, le tombeau vide, les linges et les apparitions sont, pour les croyant.e.s, les grands signes de la résurrection. C’est cette dernière qui est le centre de la foi chrétienne et la base de la foi au Christ, comme l’affirme si bien saint Paul : Si Christ n’a pas été ressuscité, alors notre prédication est vaine, et votre foi aussi est vaine (1 Corinthiens 15,14). En effet, puisque Christ est ressuscité d’entre les morts, s’attacher à Lui et au message de grâce qu’il a annoncé donne de la consistance. C’est la lumière de la résurrection qui illumine d’une clarté de bonne nouvelle les événements qui, autrement, seraient sombres.
En conclusion
Aux chrétiennes et chrétiens, qui ont unis leur sort à celui du Christ par le baptême (Romains 6,3b-11), il est donné de reconnaître et de lire, dans leur vie quotidienne, les signes de la résurrection, les signes de la présence de Celui qui se donne toujours à voir ! À la manière de Marie-Madeleine, il leur est donné d’avoir le courage d’annoncer la bonne nouvelle, même sans tout comprendre. Il leur est donné d’oser susciter chez les gens le goût de courir derrière les signes qui leur ouvriront les yeux de la foi au Christ ressuscité.
Les injustices et les puissances de mort, de haine et d’angoisse peuvent se déchainer dans la vie des disciples. Leur avenir peut s ’obscurcir par la maladie, par la mort d’un proche ou à la pensée de leur propre mort, il leur est pourtant possible de vivre le miracle de la foi, s’ils laissent le « voir et croire » de Marie-Madeleine, de Pierre, de l’autre disciple devenir le leur. Il leur est possible de renouveler la foi pascale et de laisser le Christ être le Seigneur qui vivifie et qui renouvelle la grâce du baptême. Dans la vie des disciples d ’aujourd ’hui et de tout temps, il est possible d’être des témoins joyeux de l’espérance et de la Résurrection.
Jean-Chrysostome Zoloshi est prêtre du diocèse de Montréal, animateur de groupes bibliques et professeur associé à la Faculté de théologie et de sciences religieuses (Université Laval).
Source : Le Feuillet biblique, no 2705. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.