Le Christ et le jeune homme riche. Heinrich Hofmann, 1889 (Wikipédia).
L’art de vivre… éternellement!
Alain Faucher | 28e dimanche du Temps ordinaire (B) – 10 octobre 2021
L’appel du riche : Marc 10, 17-30
Les lectures : Sagesse 7, 7-11 ; Psaume 89 (90) ; Hébreux 4, 12-13
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Qu’est-ce qui mène nos vies? Ce que nous avons, ce que nous possédons? Ou plutôt les dons qui nous viennent de Dieu, pourvoyeur de tout bien supérieur… y compris de la vie éternelle? Grosses discussions dans l’évangile de ce dimanche!
Mais avec quel impact sur notre vie quotidienne? Nous assistons à une double discussion sur des sujets qui nous paraissent un peu étrangers par rapport à notre horizon quotidien. Il y a d’abord cette irruption d’un homme en quête de la vie éternelle. Jésus lui rappelle une liste de commandements assez évidents, plutôt incontournables. Il y aussi un groupe de disciples qui ont déjà tout laissé tomber pour suivre Jésus. Ce groupe se voit annoncer des rendements supérieurs pour leur investissement total dans la suite de Jésus…
Mais en quoi cela nous rejoint-il? Nous sommes probablement trop occupés pour nous poser la question de la vie éternelle. Ou trop convaincus pour sentir la nécessité de recommencer l’enquête sur ce sujet. Et puisque nous avons développé un rapport de générosité philanthropique via-à-vis la gestion de nos biens, nous croyons avoir dit notre dernier mot sur l’exigence de générosité proposée par Jésus…
Un évangile décapant : Marc 10, 17-30
Jetons un second regard sur l’évangile du dimanche. Il est clairement divisé en deux parties articulées l’une sur l’autre. Au terme, voici les gens moins nantis qui entourent Jésus, ceux qui ont tout laissé pour adhérer à l’alliance vécue en groupe. Mais d’abord, il y a cet inconnu qui n’adhère pas totalement à l’alliance offerte par Jésus, même si en pratique il est déjà un adhérent à la Loi vécue au quotidien. Cet inconnu pose une question importante à Jésus. C’est une question bienveillante de sa part, puisque l’homme qualifie Jésus de « bon maître », donc de bon enseignant.
Cette question décrit la vie éternelle comme un héritage reçu : « Que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle? » Elle est puissamment contraire à notre idéal d’individualisme, notre désir de tout réussir par nous-mêmes. Cette question suppose l’existence, au-delà de notre individualité, d’une instance dispensatrice des biens les meilleurs. Autrement dit, quelle est la source active du bien supérieur qu’est l’héritage de la vie éternelle?
Pour répondre, Jésus réorganise une brève liste de commandements tirés du Décalogue. Il respecte ainsi la coutume juive de ne pas citer directement les préceptes perçus comme Parole de Dieu confiée à Moïse. Comme la réaction de l’homme inconnu est positive, Jésus passe à une autre étape. Au moment-pivot du récit, en fait : Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Ce n’est pas seulement de l’émotivité. C’est une manière biblique de parler d’un lien d’alliance possible. À partir de ce moment, il faut considérer toute perche tendue par Jésus à son interlocuteur comme un mode d’emploi pour donner vie à l’alliance offerte par Dieu. Malheureusement, une autre instance gouverne la vie de l’interlocuteur. Il avait de grands biens. Il n’avait plus la marge de manœuvre requise pour s’engager sur la route proposée par Jésus. D’où l’interruption de la conversation…
C’est dommage, car celui qui pose la question de la vie éternelle n’est pas n’importe qui dans la société de son temps. « Il avait de grands biens. » Un homme qu’on devait admirer, certes, mais dont on avait aussi appris à se méfier. Car en situation de perpétuelle pénurie, ceux qui avaient des biens en plus grande quantité suscitaient la méfiance. Auraient-ils détourné des fonds au détriment des plus démunis? La relation du peuple avec les nantis est à la fois positive et négative. Jésus perçoit bien leur difficulté de donner priorité à l’appartenance divine sur la gestion de la richesse…
Nous comprenons facilement l’hésitation de l’homme riche. Nous n’avons aucune difficulté à l’imiter dans son retrait stratégique! Ainsi, la Parole de Dieu continue à nous tester et à nous contester au plus profond de notre être. Souvent, nous vivons dans l’illusion que nos seuls efforts économiques nous mettent à l’abri de tout. Souvent, nous négligeons de faire des efforts pour traduire dans le concret de nos journées les affaires de Dieu, les affaires avec Dieu. Nous investissons dans le respect des autres, certes. Mais dans nos stratégies, quelle part concédons-nous à l’amour fou de Dieu, à son attachement pour nous, à sa proposition d’alliance?
Voilà une sérieuse remise en question de ce qui nous fascine aujourd’hui. La vraie liberté ne peut dépendre seulement des rêves fous de gain à la loterie. La vraie richesse ne dérive pas des seuls critères financiers. Il faut considérer d’autres éléments dans une décision importante. Il y a les autres, et surtout, il y a le Tout-Autre. Cette conviction est mise en scène dans la première lecture.
Première lecture : Sagesse 7, 7-11
L’arrière-fond vétérotestamentaire de l’évangile est fascinant. Nous rencontrons le roi Salomon dans les moments initiaux de son règne. La Bible raconte comment Salomon, dans la prière, se donna dès le début de son règne des moyens efficaces pour agir sagement. Celui qui allait devenir le plus prospère roi du peuple de Dieu ne visait pas ce genre de succès. Salomon s’investit dans le savoir-vivre inspiré par Dieu, l’esprit de la sagesse. Il donne préséance à Dieu comme source des biens supérieurs que sont la sagesse et le discernement. Ces dons font passer la richesse pour méprisable, comme le sable qui file entre les doigts, comme la boue qui salit tout ce qu’elle touche…
Voilà un gouvernant qui aurait mauvaise presse auprès des journalistes de notre époque. Les commentateurs politiques de notre temps seraient plutôt désarmés de constater que Salomon préférait la sagesse à l’économie! Il y aurait donc autre chose que la gestion des gros sous? Oui! La sagesse s’avère un savoir-faire pratique orienté sur l’équilibre de la vie humaine, illuminée par l’alliance avec Dieu.
Deuxième lecture : Lettre aux Hébreux 4, 12-13
Une longue section de la Lettre aux Hébreux démontre comment Jésus est l’agent indispensable au salut. L’auteur sacré établit d’abord la validité de sa source d’argumentation : la Parole. Pour saisir la large portée de ses affirmations bien connues, il faut explorer les arguments qui précèdent nos deux versets. À cette condition, nos deux versets de ce jour deviennent une invitation à persévérer.
L’incitation se base sur l’expérience d’infidélité d’Israël. Ce peuple a reçu la Parole au désert sans en tirer profit. Pour qui refuse de l’entendre, cette Parole opère un jugement. Refusée par ses premiers destinataires, elle est alors disponible pour quiconque décide de l’accueillir avec foi.
Dans cette perspective, ce peut être « aujourd’hui » le jour du salut. Et la Parole va au cœur de la génération du nouvel aujourd’hui de Dieu, au fond des choses. De multiples images traduisent dans le concret l’action de la Parole : elle a de l’énergie, du tranchant, de la pénétration comme la meilleure des épées. Ces images puissantes s’enracinent dans plusieurs traditions du Premier Testament : la tradition du Deutéronome, du prophète Isaïe, des Proverbes et de la Sagesse.
La Bonne Nouvelle du dimanche
Que retenir de cette exploration de l’évangile liée aux autres textes bibliques de ce jour? Qu’en nous bornant à nos seules ressources, nous touchons vite nos limites. Avec le coup de main de Dieu, nous avons tellement plus d’atouts dans notre jeu (première lecture), car nous sommes désormais héritiers intégrés à la famille de Dieu (évangile). Notre savoir-faire, notre sagesse sont illuminés par le don de Dieu (première lecture et psaume) et l’adhésion à son Fils, Parole efficace par excellence (deuxième lecture). D’où un nouvel art de vivre avec la Parole. La Parole, nous aurons à lui rendre des comptes… pour l’éternité.
Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.
Source : Le Feuillet biblique, no 2723. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.