Jésus et les pharisiens. Anthony van Dick (1599-1641). Esquisse réalisée au début du 17e siècle, 15,2 x 21,5 cm. Musée d’art métropolitain (Met), New York.

Le projet de Dieu pour la vie conjugale

Béatrice BérubéBéatrice Bérubé | 27e dimanche du Temps ordinaire (B) – 3 octobre 2021

Mariage et divorce : Marc 10, 2-16
Les lectures : Genèse 2, 18-24 ; Psaume 127 (128) ; Hébreux 2, 9-11
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Cet extrait de Marc 10,2-16 comprend deux instructions. La première aborde le cas du divorce et la deuxième traite de l’accueil réservé aux enfants. L’enseignement sur le divorce rapporte un dialogue entre Jésus et les pharisiens (vv. 2-9), puis une instruction de Jésus à ses apôtres (vv. 10-12). La doctrine relative à l’accueil réservé aux enfants comporte une scène d’introduction (v. 13), la double parole de Jésus (vv. 14-15) et une conclusion narrative (v. 16)

L’enseignement sur le divorce

En territoire judéen, l’audience de Jésus n’est pas uniquement composée d’auditeurs réceptifs. Elle comprend aussi différents groupes religieux, dont les pharisiens. Ceux-ci s’avancent et, pour tendre un piège à Jésus, ils lui demandent : Est-il permis à un homme de répudier sa femme? (v. 2) Les adeptes du mouvement pharisaïque, caractérisés par un zèle ardent, exigent pour eux-mêmes et pour les autres une obéissance rigoureuse à la Loi et aux traditions explicatives qui l’accompagnent. Ils sont des adversaires de Jésus : celui-ci a déjà été en conflit avec eux (7,1-13) et il les attaquera et jugera éventuellement (11,27—12,40).

L’expression pour lui tendre un piège, qui correspond à celle que l’on retrouve en 8,11, dissimule une intention malveillante à l’égard de Jésus. Ils désirent savoir explicitement s’il est en désaccord ou non avec les vues très accommodantes de Hillel, maître juif et expert de la Bible hébraïque. Selon la position de Jésus, ils pouvaient le taxer de laxisme ou de rigorisme en la matière. Flairant le guet-apens de ses opposants, Jésus trouve un subterfuge. Au lieu de répondre directement à la question, il contre-attaque. Il demande aux pharisiens : Qu’est-ce que Moïse vous a prescrit? (v. 3)

En invoquant l’autorité de Moïse, Jésus renvoie ses antagonistes à la source du débat et les oriente sur la voie d’une discussion. Ils répondent en se référant au texte du Deutéronome 24,1.3 : Moïse a permis d’écrire un certificat de répudiation et de renvoyer sa femme. (v. 4) Dans leur réplique, les pharisiens parlent de permission alors que, dans sa repartie, Jésus leur a demandé ce que Moïse a prescrit. Il est patent qu’en cas de divorce, Moïse a ordonné au mari de donner à sa femme un acte attestant qu'elle n'est plus son épouse. Il n'a pas prescrit le divorce, il l’a réglementé. Dt 24,1.3 n’est pas un décret, mais une description de ce que l’homme doit faire en cas de divorce. En avouant que Moïse permet le divorce, les pharisiens préparent la réplique de Jésus : C’est à cause de la dureté de votre cœur qu’il a écrit pour vous ce commandement (v. 5).

En recourant à l’expression la dureté de cœur, thème qui provient de la tradition prophétique (Jérémie 4,4 ; Ézéchiel 3,7), Jésus s’oppose à la dureté de cœur de ses adversaires qui correspond à celle des ancêtres au temps du désert, lesquels, ne tenant pas compte des normes divines, obligèrent Moïse à concéder le droit de rompre avec leurs femmes. Jésus continue son argumentation et motive plus profondément sa pensée : il remonte le temps, bien avant Moïse, et se réfère à quelques citations du récit de la création rapporté dans le livre de la Genèse 1,27 et 2,24 : Il les fit homme et femme. Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère, et les deux ne feront qu’une seule chair (vv. 6-8).

En se référant à ces deux extraits, Jésus souligne à ses adversaires que ces citations expriment la volonté première et authentique de Dieu, et ainsi réprouve la concession de Moïse. Pour Jésus, la locution une seule chair indique l’unité du couple qui, basée sur les vues de Dieu, est primordiale et doit être sauvegardée à tout prix. L’exception consentie par Moïse n’annule pas le programme fondamental de Dieu sur la permanence du lien conjugal. C’est sur cette base éthique (respect de la volonté divine) et anthropologique (l’union de l’homme et de la femme dans une seule chair) qu’il formule l’impératif : Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas! (v. 9)

L’instruction de Jésus à ses disciples (vv. 10-12)

Rentrés à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur ce point (v. 10). Ceux-ci, rendus perplexes par la radicalité de l’enseignement de leur maître, réclament une clarification à propos de ce qu’il a dit précédemment. Mais la réplique de Jésus n’est pas une réponse à la requête des apôtres, car il proclame : Si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l’égard de la première ; (v. 11) et si la femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère (v. 12). Ici, Jésus reconnaît à la femme le même droit accordé à l’homme, soit la possibilité de divorcer de son époux.

Dans la loi israélite, si la femme est privée des biens nécessaires tels que la nourriture, le vêtement et l’habitation, elle a le privilège de divorcer (Ex 21,10), mais elle doit recourir à la communauté des anciens pour exposer ses griefs. Il en est ainsi au temps de Jésus ; la femme ne peut pas de son propre chef se libérer ni répudier son époux pour un futur mariage légal. Aux vv. 11-12 Jésus taxe d’adultère l’homme et la femme qui entrent dans une seconde union, quoique divorcés selon la règle juive.

Dans la société patriarcale de l’époque, la femme n’étant pas sur un plan d’égalité avec l’homme, l’adultère était une offense envers l’homme marié ou le futur époux et non envers l’épouse (Exode 20,17 ; Lévitique 18,20). Puis dans le cadre de la Loi juive du 1er siècle de notre ère, même si un homme reste marié à sa première femme, les unions subséquentes ne sont pas considérées adultères, car la polygamie est permise à la gent masculine. Quant à la femme ayant reçu la lettre de répudiation, elle peut se remarier sans être accusée d’adultère. Dans la déclaration de la dernière partie du v. 11, Jésus atteste qu’une épouse peut aussi être victime d’adultère.

Les dits de Jésus rapportés dans ces deux passages sont des adaptations marciennes puisque d’après la loi juive, un homme commet l’adultère seulement envers un autre homme et non envers une femme, puis, une épouse répudiée ayant une attestation de répudiation peut se remarier sans être accusée d’adultère car elle est libre. Et la répudiation du mari par sa femme est une situation complètement étrangère au contexte législatif religieux de l’époque. Or, les femmes juives qui vivaient dans la colonie d’Éléphantine en Égypte au 5e siècle av. J.-C. avaient le privilège de divorcer de leurs époux en raison de ce droit reconnu dans le milieu gréco-romain. Marc, qui s’adresse aux chrétiens venus du paganisme, tient compte de cette législation. La femme ayant les mêmes droits que l’homme, celle qui divorce de son mari pour en épouser un autre, est déclarée adultère puisque les Gentils ne considéraient pas adultère le remariage d’une femme consécutif à un divorce. Par cette déclaration, Marc désire enseigner aux chrétiens issus des milieux païens que la femme dans une telle situation est infidèle.

L’accueil réservé aux enfants (vv. 13-16)

La foule, dont la présence est indiquée en 10,1, est encore auprès de Jésus et c’est d’elle que se détachent les mères amenant leurs enfants à Jésus : On lui présentait des petits enfants pour qu’il les touchât, mais les disciples les rabrouèrent. (v. 13) Le but des mères est d’obtenir que Jésus favorise leurs rejetons de son toucher miraculeux dans l’espoir qu’il en résultera pour leur progéniture santé et avenir prospère. Cependant leur démarche n’est pas du goût des Douze qui n’y voient que dérangement et irrespect.

Selon les idées du temps, les enfants sont objet de dédain de la part des adultes : toute cette marmaille est mise au rang des exclus, comme les malades, les femmes et les esclaves. Le mépris des apôtres pour les enfants heurte Jésus ; il s’indigne et s’interpose pour mettre un terme à ce dont il est le témoin. Il dit : Laissez les petits enfants venir à moi ; ne les empêchez pas, car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu.  (v. 14) Face aux prétentions orgueilleuses de ses apôtres, Jésus leur montre que les enfants, symbole d’humilité, de renoncement aux droits et privilèges, sont un modèle à imiter et, comme les autres exclus, ils ont leur place dans le Royaume. Au v. 16, Jésus passe de la parole aux actes ; il comble le désir des mères : il les embrassa et les bénit en leur imposant les mains. Ce geste traditionnel (Gn 48,14.17-18) est tenu plus efficace si celui qui le pose est proche de Dieu.

Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.

Source : Le Feuillet biblique, no 2722. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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