Appel de Pierre et André. Duccio di Buoninsegna, entre 1308 et 1311. Tempera sur bois, 43,5 x 46 cm. National Gallery of Art, Washington DC (Wikimedia).
Repartir à zéro, avec Marc !
Patrice Bergeron | 3e dimanche du Temps ordinaire (B) – 24 janvier 2021
Première prédication de Jésus et appel des premiers disciples : Marc 1,14-20
Les lectures : Jonas 3,1-5.10 ; Psaume 24(25) ; 1 Corinthiens 7,29-31
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Parce qu’ils jouent souvent un rôle programmatique, on porte une attention particulière aux tout premiers mots, à la déclaration inaugurale que prononcera une personnalité importante lors de la prise d’une fonction nouvelle (pontificat, présidence d’un pays, etc.). Ainsi, on se souvient encore du « N’ayez pas peur » d’un Jean-Paul II en 1978, au tout début de son pontificat, paroles phares et prophétiques de ce qu’aura été son pontificat. Or, voici que l’Évangile de Marc nous relaie, en ce dimanche, les tout premiers mots de Jésus qui, sortant de sa vie cachée, commence la proclamation de la Bonne Nouvelle de Dieu. Ses premiers mots seront :
Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile.
Programmatiques, ces mots le sont tout à fait, car ils résument à eux seuls tout ce que sera la mission de Jésus. Une certaine gravité solennelle est conférée à ce moment précis de l’histoire où Jésus entre en scène par l’expression les temps sont accomplis. Bien sûr, on peut comprendre cet « accomplissement » comme la réalisation, en la personne de Jésus, de toutes les promesses de Dieu contenues dans la Loi et les Prophètes. Mais plus profondément encore, dans le mystère du dessein bienveillant de Dieu, c’est toute la création depuis le commencement qui est tendue vers ce jour de l’envoi du Fils de Dieu à l’humanité, unique but de tout ce qui était, est et sera comme l’exprime si bien Paul dans une hymne dont il a le secret (Éphésiens 1,9-10).
Notez toutefois que si les temps sont accomplis, le Règne de Dieu, lui, n’a fait que s’approcher, il n’est pas encore complètement achevé avec cette venue du Fils de Dieu. Cela tient à l’originalité de l’eschatologie [1] chrétienne teintée de « déjà » et de « pas encore ». Si, surtout depuis le retour d’exil, l’eschatologie juive s’est mise à envisager un « Jour de Dieu » arrivant d’un coup, par une intervention toute-puissante et colérique de Dieu, exerçant son Jugement, éradiquant le mal et établissant son Règne, telle n’a pas été – jusqu’ici ! – la pédagogie employée par Dieu. On le sait depuis Jésus, les derniers temps sont enclenchés, le Règne de Dieu est à l’œuvre, mais son déploiement se fera par étapes successives : d’abord la venue dans la chair du Fils de Dieu (déjà), puis le temps de l’Église qui suivra la mort-résurrection de Jésus (déjà) et finalement l’établissement définitif du Règne éternel de Dieu par le retour final et glorieux du Christ [2] (pas encore). Les notions de jugement (personnel et collectif) et d’éradication du mal ne sont pas disparues de la vision chrétienne des fins dernières, mais sont modulées autrement : moins sur le plan d’une colère qui vient, que de la Bonne Nouvelle d’un monde nouveau qui jaillit et s’établit grâce à Jésus. Sans doute est-ce ainsi qu’on doit recevoir ce convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle, comme l’invitation à changer notre regard sur Dieu et de croire en sa miséricorde pour l’humanité entière.
Premiers gestes…
Si la déclaration inaugurale d’une personnalité importante entrant en fonction est remarquée, ses premiers gestes seront aussi éloquents. Ainsi on se souvient du geste du pape François, le lendemain de son élection, prenant simplement le car avec ses frères évêques pour aller payer lui-même sa note d’une maison d’hôte de Rome où il avait séjourné. Simplicité déconcertante de la part d’un pape !
Sitôt la prédication inaugurale de Jésus prononcée à l’humanité, s’en suivent ses deux premiers gestes. Jésus a besoin d’un groupe de disciples marchant à sa suite, aussi appelle-t-il ses quatre premiers pêcheurs d’hommes. Ces premiers actes de Jésus disent beaucoup : sa mission de sauver l’humanité ne se fera pas sans la collaboration de l’humanité ! Simplicité déconcertante de la part d’un Dieu vraiment avec nous (Emmanuel) !
Le lecteur de Marc ne manquera pas de se surprendre de la rapidité avec laquelle Simon, André, Jacques et Jean laissent tout ce qui faisait leur vie pour répondre à l’appel de ce dernier prédicateur itinérant à peine sorti de l’ombre ! On trouvera plus de vraisemblance dans la relation que nous fait l’évangéliste Jean de l’appel des premiers disciples au premier chapitre de son évangile. Mais la psychologie des personnages n’est pas le souci de Marc et son intention d’évangéliste n’est pas non plus de relater, dans le moindre détail, les faits temporels en lien avec l’activité de Jésus et des Apôtres. Marc est laconique, il va à l’essentiel : l’annonce de la Bonne Nouvelle qu’est Jésus. Cet appel des premiers disciples, Marc le coule dans ce genre littéraire biblique connu : le récit de vocation (comme l’appel d’Élisée par Élie en 1 Rois 19,19-21).
Ce raccourci narratif qu’il se permet a l’avantage de mettre en lumière plusieurs réalités de la suite du Christ, hier comme aujourd’hui :
- l’appel personnel de Jésus est d’une grande puissance,
- l’annonce du Règne de Dieu ne souffre pas de retard, il y a urgence à annoncer la Bonne Nouvelle qui sauve l’humanité de la noyade
- et enfin, il est légitime de laisser tout – même de bonnes choses comme un travail ou des liens familiaux – pour mieux répondre à son appel !
Un mot sur Jonas…
Il est rare que la liturgie dominicale (de fait, c’est l’unique fois sur un cycle de trois ans) nous fasse entendre Jonas, petit livre de l’Ancien Testament rangé dans la collection des « douze petits prophètes ». Récit plein d’humour, Jonas est un prophète mal disposé, maugréant et tentant de fuir la mission pour laquelle Dieu l’envoie : interpeller des païens d’une ville étrangère à la conversion sous peine de destruction de leur ville ! De mauvais gré, il s’exécute tout de même et, malgré tout, sa mission est remplie de succès. Les Ninivites se convertissent ! Devinez quoi ? Jonas ne s’en réjouira pas, ni de leur conversion, ni de la clémence de son Dieu envers ces étrangers !
Doit-on rappeler que le Lectionnaire dominical est conçu de façon telle que la première lecture de la messe (habituellement tirée de l’Ancien Testament) ait un lien repérable avec l’Évangile proclamé ? Ici, ce sont sans doute le thème de la conversion, de même que la rapidité de la réponse des Ninivites à l’appel de Dieu (rappelant celle des premiers disciples) qui qualifient l’extrait de Jonas d’être mis en lien avec le début de l’évangile de Marc. Toutefois, entre l’appel à la conversion de Jonas conférée sous la menace de la destruction et celui de Jésus motivé par l’irruption de la Bonne Nouvelle de Dieu dans l’humanité, il faut avouer qu’un énorme pas est franchi !
Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.
[1]L’eschatologie (littéralement : « discours sur les dernières choses ») est cette partie de la théologie qui s’intéresse à la fin des temps : soit la fin personnelle de chaque homme (eschatologie individuelle), soit à la fin du monde (eschatologie collective).
[2]
La seconde lecture (1 Corinthiens 7,29-31) de ce dimanche témoigne éloquemment de la certitude de Paul de l’imminence de ce Retour du Christ, même de son propre vivant.
Source : Le Feuillet biblique, no 2693. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.