Le serpent de bronze. Antoine van Dyck, entre 1618 et 1620. Huile sur toile, 205 x 235 cm. Musée du Prado, Madrid (Wikimedia).
Quatre chefs d’œuvre!
Alain Faucher | 4e dimanche du Carême (B) – 14 mars 2021
Le fils médiateur : Jean 3, 14-21
Les lectures : 2 Chroniques 36, 14-16.19-23 ; Psaume 136 ; Éphésiens 2, 4-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Nous voici arrivés au très original « dimanche en rose ». Dans notre marche de Carême, la dilution de la couleur liturgique transforme le violet intense en une teinte plus douce. Cette transition vient illuminer les noirceurs de nos vies qui incitent à la pénitence et au jeûne. La lumière au bout du tunnel devient évidente. Comme pour appuyer ce processus d’allègement, chaque lecture biblique du dimanche apporte une touche de lumière et d’espérance. L’amalgame des lectures offre une foule de possibilités, selon l’assemblage que le célébrant ou le prédicateur voudra aménager.
2 Chroniques 36, 14-16.19-23
Nous appartenons à un peuple spirituel qui a souvent traversé des nuages noirs. Ces migrations à répétition lui ont pourtant permis de garder son âme. Cette histoire étonnante du peuple de Dieu est évoquée dans la première lecture d’aujourd’hui et dans le psaume qui y répond.
Ce récit peut nous répugner, avec son cortège de destructions et de déportations. Notre réaction peut s’adoucir si nous prenons en considération la place du texte des Chroniques dans la Bible juive. Il s’agit de la grande finale du récit de l’histoire du peuple de Dieu. Cette histoire se termine sur une ouverture remplie d’espérance. Un roi pourtant étranger à la foi juive, Cyrus, rend au peuple de Dieu bafoué sa vie religieuse et son identité. Loin de nous enfermer dans le passé, les extraits proclamés ce dimanche nous tournent vers l’avenir. Un avenir serein. Un avenir où nous ne sommes pas abandonnés à nous-mêmes. Un avenir où nous vivons une saine appartenance.
Nous, les héritiers de ce peuple de Dieu souvent bafoué, saurons-nous reconnaître les sentiers de continuité et de progrès qui se présenteront à nous dans les prochains mois, les prochaines années? Saurons-nous intégrer les leçons de la pandémie? Deviendrons-nous une Église plus consciente d’elle-même, davantage centrée sur l’essentiel de son identité profonde de famille de Dieu en ce monde nouveau?
Nous voici aujourd’hui en présence de Nabuchodonosor et de Cyrus, de grands personnages qui semblent loin du peuple. Et pourtant, leurs stratégies et leurs décisions purent créer l’exil ou le retour vers la Terre promise… Voici notre seule occasion où le Lectionnaire du dimanche nous permet de visiter ces textes à coloration historique. Ces relectures des Livres des Rois méditent les effets de la Providence. Elle contrebalance l’abandon de la célébration des shabbats, qui équivaut à l’abandon de l’alliance offerte par Dieu.
Psaume 136 (137)
Ce psaume bien connu prolonge en langage poétique les contenus de la première lecture. La continuité de la mémoire y est mise en valeur : contre toute apparence, le peuple exilé garde la mémoire de la ville sainte bien vivante dans la grisaille du quotidien. La musique fait silence, mais ce n’est pas parce que la mémoire est éteinte. Au contraire.
Ce texte célèbre diffuse une nostalgie romantique exceptionnelle. Mais il n’est pas branché uniquement sur le passé. Le texte propose un maintien actif de la mémoire. On vit à Babylone par la force des choses. Mais Jérusalem continue à symboliser la vie communautaire indispensable pour vivre à la hauteur du don de Dieu.
Éphésiens 2, 4-10
Quels avantages y a-t-il à rester dans l’alliance offerte par Dieu? Quels bienfaits peut-on tirer de cette appartenance exigeante? Si notre vie semble terne, nous y trouverons de l’éclat en entendant l’apôtre décrire notre dignité déjà acquise.
Le trésor que nous nous offrons et que nous offrons au monde est évoqué dans cette deuxième lecture. Elle déborde d’espérance. Paul y décrit la richesse de la miséricorde de Dieu, la richesse infinie de sa grâce. Et aussi les impacts bien concrets du don de Dieu : il nous recrée en Jésus « en vue de la réalisation d’œuvres bonnes ». Cela ne vient pas de nos actes, il n’y a pas d’orgueil à en tirer… Dieu nous fait revivre avec le Christ, en nous ressuscitant avec lui. Mieux encore, il nous associe à son règne. Cela ne vient pas de nous. Non, c’est le don de Dieu. Il nous trace la voie. Nous la suivrons, à notre avantage.
Jean 3, 14-21
Ces quelques versets rapportent les propos de Jésus lors de sa rencontre avec un Juif profond, Nicodème. Ces propos offrent un concentré de vocabulaire typiquement johannique. En quelques mots, l’essentiel du message de l’évangile est présenté : aimer, sauver, donner, monde, envoyer, juger, lumière, vérité… De plus, la forme du texte reflète l’usage sémitique des parallélismes.
Le passage proclamé aujourd’hui s’arrime à un épisode étrange du livre des Nombres (21,8-9). Il s’agit de la gestion d’une situation sanitaire bloquée grâce au paradoxe contemplé hardiment. Le peuple incommodé par les morsures brûlantes des serpents est guéri lorsqu’il ose regarder une représentation des reptiles maléfiques. Le quatrième évangile propose une médecine analogue en mettant en pleine vue l’élévation en croix de Jésus. Ce qui devait le couvrir de honte devient chemin de salut, expression de l’amour de Dieu pour le monde. Donc expression de son alliance…
L’évangile selon Jean confirme la portée de ce choix concret de faire face au mal pour nous y opposer. Il dépend de nous de vivre reliés à Dieu, déjà munis de la vie éternelle. Ou d’attirer sur nous le jugement parce que nous choisissons les ténèbres. Si nous avons du mal à voir à quoi sert la vie de foi, nous serons probablement dégourdis par les bénéfices concrets annoncés dans l’évangile. Pour les gens de la Bible, la vie éternelle n’est pas une fuite hors du monde. Comme les Hébreux au désert, nous regardons le mal en pleine face, pour nous en éloigner. La vie éternelle donne la mesure de notre implication concrète ici-bas dans le parcours de guérison offert par Dieu.
Amour et jugement
Notre époque dénigre la vie éternelle comme si c’était une fuite du réel. Au contraire, la Bible présente la vie éternelle comme un bénéfice immédiat. Le jugement de Dieu? Pas de crainte à avoir : je forge ce jugement, chaque jour, en choisissant la lumière et non les ténèbres.
Je me permets de citer quelques lignes que j’écrivais en 1999, au tournant du millénaire, dans la défunte revue Rassembler (Novalis) au sujet de Jean 3,16-18.
Les propos sur l’amour, le don, la foi et le jugement sont extraits de l’épisode de la rencontre de Jésus avec Nicodème. Ils résument le message constant du quatrième évangile: la foi au Fils unique de Dieu ouvre la vie éternelle. Ils présentent également le caractère décisif de cette adhésion dans un verset (le verset 18) qui semble contradictoire. Comment peut-on parler dans une même phrase d’échapper au jugement et de subir un jugement? Il faut lire avec soin! Il y a dans ce verset une logique presque mathématique. La foi fait échapper au jugement, donc la non-foi confirme le jugement.
Chose certaine, parler de jugement dans le contexte permissif nord-américain suscite automatiquement la désapprobation. Les lectrices et lecteurs sont donc en présence d’un évangile contestataire, prophétique. Le quatrième évangile, l’évangile « spirituel », n’est pas seulement l’évangile de l’amour ou de l’esprit. Il est d’abord l’évangile de la décision de foi qui implique de graves conséquences. … Croire met en réseau. « Croire au nom » indique une clé pour s’insérer dans le réseau divin du Dieu qui donne le Fils, et du Fils qui est donné pour sauver.
Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.
Source : Le Feuillet biblique, no 2700. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.