La Transfiguration. James Tissot, 1886-1894. Aquarelle, 24,1 x 15,5 cm. Brooklyn Museum, New York (Wikipedia).

« Celui-ci est mon Fils. Écoutez-le. »

Béatrice BérubéBéatrice Bérubé | 2e dimanche du Carême (A) – 8 mars 2020

La Transfiguration de Jésus : Matthieu 17, 1-9
Les lectures : Genèse 12, 1-4a ; Psaume 32 (33) ; 2 Timothée 1, 8b-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

L’épisode de la transfiguration, qui n’a qu’un seul but, dévoiler l’identité de Jésus, situe au préalable les personnes et les lieux (v. 1). Ensuite, deux séquences sont présentées : la manifestation visuelle suivie de la réaction de Pierre (vv. 2-4), puis le message céleste et les réactions des trois disciples (vv. 5-6). Enfin, l’intervention de Jésus auprès de ceux-ci (vv. 7-9) clôt le récit.

Les personnes et les lieux (v. 1)

« Six jours plus tard, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, puis il les emmène sur une haute montagne. » Cette mise en scène emprunte divers éléments aux récits des rencontres de Dieu avec Moïse sur le Sinaï qui emmène trois compagnons (Exode 24,9) et qui reçoit la révélation de Dieu « après six jours » (Ex 24,16). Dans notre extrait, Matthieu ne localise pas « la montagne » parce qu’elle a pour lui un sens théologique : c’est le lieu de la révélation du Fils de Dieu, dès les tentations (4,8) et lors de son apparition finale en Galilée pour l’envoi en mission des onze apôtres (28,16). Il est possible aussi qu’en ne désignant pas la « montagne », l’évangéliste ait voulu signifier que la révélation dernière aura lieu non sur la sainte montagne de Sion (Psaume 2,6), mais sur la montagne eschatologique où afflueront les nations (Isaïe 2,2-3 ; voir 11,9 ; Daniel 9,16). La précision des « six jours » que nous retrouvons dans ce verset n’a pas de valeur chronologique. Ce détail peut faire allusion au déroulement de la fête des Tentes, fête joyeuse et populaire qui commençait six jours après le grand jour des Expiations et qui durait sept jours (Lévitique 23,34.36). Dans la tradition antérieure à la rédaction évangélique, il pouvait donc s’agir, soit du premier jour de la fête que Jésus aurait célébré à l’écart avec les siens, soit du jour final marqué par de grandes réjouissances.

La manifestation visuelle et la réaction de Pierre (vv. 2-4)

À l’exemple de Moïse qui a bénéficié d’une transfiguration (Ex 34,29-35), Jésus est lui aussi « transfiguré » (v. 2a), c’est-à-dire « métamorphosé », verbe qui, ailleurs, désigne une transformation spirituelle (Romains 12,2 ; 2 Corinthiens 3,18). Ici, cette modification est visible : elle atteint le visage (v. 2b) et les vêtements (v. 2c). En ajoutant que « son visage brilla comme le soleil », Matthieu rappelle la promesse faite aux croyants en 13,43 ; Jésus est ainsi le premier et le guide de ceux qui « resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père ». Au même moment que la figure s’illumine, « ses vêtements devinrent blancs comme la lumière », symbole emprunté des apocalypses juives, sont un des signes de la gloire céleste accordée aux élus qui deviennent pareils aux anges (voir Mt 28,2-3 ; Apocalypse 3,4 ; 4,4). Lors de cette manifestation, Jésus est assisté de Moïse et d’Élie (v. 3), deux personnages qui ont bénéficié de révélations sur le Sinaï (Ex 19 ; 33―34 ; 1 Rois 19,9-13). Ces deux figures de l’Ancien Testament étaient riches de sens : l’un avait transmis la loi divine et établi une alliance entre Dieu et son peuple, tandis que l’autre devait être le précurseur du Messie (Malachie 3,23 ; voir Sirac 48,10), identifié à Jean le Baptiste (17,12-13), mis à mort par Hérode (14,3-12). Pour Matthieu, ils représentent sans doute « la Loi et les prophètes ». En apparaissant ici, ils témoignent qu’en Jésus s’accomplit pleinement leur antique mission (voir 5,17). Au v. 4, Pierre intervient : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici » et propose de dresser une tente pour chacun des personnages. Son intervention a un sens équivoque : Pierre voulait-il que la scène s’éternise? ou rendre service aux personnages mystérieux? Quoi qu’il en soit, les tentes qu’il veut ériger sont une allusion possible à la fête de la Récolte (Ex 23,16; Lv 23,34; Dt 16,13), fête agricole d’automne, devenue fête des Tentes qui, à l’instar de toutes les autres fêtes d’Israël, servit finalement à célébrer un des aspects de la sortie d’Égypte.

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Le message céleste et les réactions des disciples (vv. 5-6)

Alors que Pierre s’exprime, « un nuage lumineux les enveloppe et une voix se fait entendre et révèle : « Celui-ci est mon fils bien-aimé dans lequel je me suis complu ; écoutez-le! » (v. 5) Une fois de plus, ce passage fait référence à des éléments de l’Exode et du premier livre des Rois : « Le nuage lumineux » (v. 5a) évoque la présence de Dieu durant le séjour d’Israël au désert sous la conduite de Moïse (Ex 13,21), au Sinaï où Dieu donne la Loi à Moïse (Ex 19,9 ; 24,15-16), sur la tente de la rencontre (Ex 40,34-35) et sur le Temple (1 R 8,10-12). La voix du ciel (v. 5b) reprend exactement le message du baptême de Jésus (3,17) qui le désigne comme le Fils (voir Ps 2,7), le Serviteur (Is 42,1); ici, à la transfiguration, elle ajoute : « Écoutez-le », parole qui le désigne comme le nouveau Moïse (Dt 18,15 ; voir Actes 3,20-26) et le révélateur parfait (Hébreux 1,1-4). Les disciples qui se trouveront associés de plus près à la Passion sont d’avance fortifiés par une « révélation » privilégiée de la plénitude de la personnalité de Jésus. Ils reçoivent l’assurance qu’en lui s’accomplissent la Loi et les prophètes, et Dieu leur confirme lui-même la justesse de la foi proclamée par Pierre (16,16). À ces mots, les disciples effrayés se prosternent en révérence du Maître (voir 28,17). La peur et la prostration des trois disciples évoquent les réactions de Daniel devant l’univers céleste du Fils de l’homme (Daniel 10,9).

L’intervention de Jésus auprès de ceux-ci (vv. 7-9)

Au v. 7, Jésus intervient : il les touche, leur commande de se relever et les rassure, termes que l’on retrouve en Dn 10,10.12. À ce moment, les disciples « lèvent les yeux et voient qu’il est seul » (v. 8), car il suffit comme docteur de la Loi parfaite et définitive. Lors de la descente de la montagne, Jésus leur ordonne de garder secrète la vision jusqu’à la résurrection du Fils de l’homme (v. 9) : la recommandation de garder secret ce qui a été révélé par le ciel est un thème classique de la littérature apocalyptique (voir Dn 12,4.9), repris ici par Matthieu dans la perspective du « secret messianique » (8,4 ; 9,30 ; 12,16 ; 16,20) jusqu’à la mort de Jésus qui éliminera toute possibilité d’interpréter sa dignité messianique dans un sens politique ou nationaliste. C’est la raison pour laquelle les trois disciples ne devront parler de cette révélation de la gloire de Jésus qu’après sa résurrection.

Que faut-il retenir? 

En présentant cette scène mystérieuse qui reprend plusieurs symboles classiques de l’Ancien Testament (montagne, vêtements blancs, crainte, nuée, voix venant du ciel), Matthieu a donné à cette expérience des trois disciples privilégiés une portée plus vaste : Jésus est présenté comme le Nouveau Moïse dont l’authenticité de la mission est proclamée par Dieu lui-même puisque la relation qui les unit est unique. La vision offerte à Pierre, Jacques et Jean d’un coin de ciel leur confirme la divinité de leur Maître comme au jour de son baptême par Jean le Baptiste (3,17). La personnalité de Jésus y est manifestée : il est le Fils que Dieu demande d’écouter. Aux trois disciples qui ne peuvent comprendre l’annonce des souffrances que leur maître rencontrera (16,22) et ceux qui marcheront à sa suite, la transfiguration vient équilibrer la vision du mystère de Jésus : la croix et l’échec conduiront vers la gloire au jour de la résurrection qui manifestera avec éclat que c’est toute l’histoire d’Israël qui recommence avec la venue de Jésus que la transfiguration a permis d’entrevoir un instant. La transfiguration éclairera la résurrection et la résurrection, la transfiguration.

Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.

Source : Le Feuillet biblique, no 2654. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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