La tentation au désert. Briton Rivière, 1898. Huile sur toile, 117 x 189. Guildhall Art Gallery, Londres (Wikipedia).

Le Christ nous rejoint sur le chemin de l’épreuve

Yvan MathieuYvan Mathieu | 1er dimanche du Carême (A) – 1er mars 2020

Jésus tenté au désert : Matthieu 4, 1-11
Les lectures : Genèse 2, 7-9 ; 3, 1-7a ; Psaume 50 (51) ; Romains 5, 12-19
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Depuis mercredi dernier, nous sommes entrés en Carême. Les quarante jours de notre montée vers Pâques trouvent leur origine dans le pèlerinage de Jésus au désert. En se faisant baptiser par Jean, Jésus s’était fait solidaire de son peuple. Voici que, comme les Hébreux du temps de l’Exode l’ont fait pendant quarante ans, Jésus se laisse guider par l’Esprit dans le désert et affronte le tentateur. Il nous rejoint ainsi dans le désert de nos vies. Il nous soutient dans nos épreuves du quotidien. En marchant sur ses traces, conduits par l’Esprit et forts de la Parole, au terme de ce carême nous pourrons vivre sa Pâque et ressusciter avec lui en renouvelant les engagements de notre baptême.

La force de la Parole

Pour raconter les tentations de Jésus, Marc écrit simplement : « L’Esprit pousse Jésus au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan » (Mc 1,12-13a). De leur côté, Matthieu et Luc décrivent trois tentations de Jésus en suivant le même scénario : une parole d’invitation du tentateur à laquelle Jésus répond par la négative en citant une parole du Deutéronome. L’ordre des tentations n’est pas le même chez Matthieu et chez Luc. Chez Matthieu, que nous lisons cette année, Jésus semble parcourir le livre du Deutéronome à rebours. Les citations dont il se sert dans ses réponses vont de bas en haut (Dt 8,3 ; 6,16 ; 6,13). En fait, les tentations chez Matthieu suivent la logique du récit de l’Exode (Ex 16 ; 17 ; 23).

Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour

« Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit : “Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains” » (Mt 4,2-3). Une fois Jésus baptisé par Jean, une voix venue des cieux s’était fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie » (Mt 3,17). Le diable invite d’abord Jésus à douter de cette parole ou, à tout le moins à la mettre à l’épreuve : prouve ton identité de Fils par un miracle qui assouvira ta faim. Le reste de l’évangile montrera que pour Jésus, la faim est un fléau à combattre et qu’il en a le pouvoir. Avant la seconde multiplication des pains, il déclarera : « Je suis saisi de compassion pour cette foule, car depuis trois jours déjà ils restent auprès de moi, et n’ont rien à manger. Je ne veux pas les renvoyer à jeun, ils pourraient défaillir en chemin » (Mt 15,32). Mais ici, il refuse de se servir de son pouvoir pour lui-même. « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Dt 8,3 LXX) » (Mt 4,4). Sa réponse annonce déjà la première béatitude : « Heureux les pauvres de cœur » (Mt 5,3) ! Assaillis par la faim, les Hébreux avaient murmuré contre Dieu (Ex 16,3). En réponse, le Seigneur leur avait donné la manne. Jésus, lui, n’exige aucune nourriture. Il trouve sa force dans la parole de son Père.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel

« Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple et lui dit : “Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas” » (Mt 4,5-6). Nous ne sommes plus au désert mais bien au cœur de Jérusalem, dans le lieu le plus sacré qui soit. À nouveau, le tentateur tente de semer le doute à propos de l’identité de Jésus : est-il vraiment le « Fils de Dieu » ? Pour l’inviter à mettre Dieu à l’épreuve, le tentateur cite même un psaume : « Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre » (Mt 4,6, citant Ps 90(91),11-12). Cela rappelle un autre épisode de l’Exode, où « les fils d’Israël avaient cherché querelle au Seigneur, et […] l’avaient mis à l’épreuve, en disant : “Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ?” » (Ex 17,7). Jésus refuse en s’appuyant sur une autre parole : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu (Dt 6,16 LXX) [1] » (Mt 4,7). La passion et la croix apparaissent déjà à l’horizon. Jésus aurait bien voulu les éviter : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux. » (Mt 26,39). Jamais il ne mettra son Père à l’épreuve. Jamais il ne refusera l’épreuve que lui propose son Père.

Que ton règne vienne

« Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire » (Mt 4,8). Nous voici de retour dans un lieu désert. La scène rappelle la fin de la vie de Moïse. « Moïse monta des steppes de Moab au mont Nébo, au sommet du Pisga, qui est en face de Jéricho. Le Seigneur lui fit voir tout le pays » (Dt 34,1a). Après avoir cité un psaume, voici que le diable agit avec Jésus comme le Seigneur l’a fait avec Moïse. Et il promet : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi » (Mt 4,9). Il ne s’agit plus pour Jésus de douter de son identité de Fils de Dieu, mais bien de choisir son allégeance : le diable ou bien Dieu son Père. Jésus garde en mémoire les instructions du Seigneur à Moïse sur le Sinaï : « Mon ange marchera devant toi. Il te fera rencontrer de nombreux peuples […]. Tu ne te prosterneras pas devant leurs dieux. Tu ne les serviras pas » (Ex 23,23-24). D’où la dernière citation du Deutéronome utilisée pour refuser l’offre du diable : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte (Dt 6,13 LXX) » (Mt 4,10).

Une triple victoire qui confirme l’identité de Jésus

« Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable » (Mt 4,1). Et pour que l’épreuve se concrétise, « le tentateur s’approcha » (Mt 4,3) de Jésus. Après trois mises à l’épreuve infructueuses, « le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient ». Que signifie ce jeu de distance ? Pour venir tenter Jésus, le mettre à l’épreuve, le tentateur se fait proche. Battu en brèche, il s’éloigne. L’heure de l’épreuve est terminée. Comme Jésus a trouvé appui sur la Parole de son Père pour passer l’épreuve, la parole venue des cieux après son baptême s’avère exacte : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie » (Mt 3,17). Voilà pourquoi, les anges le servent comme on sert Dieu.

Une solidarité dont nous avons bien besoin

En venant se faire baptiser par Jean, Jésus avait rejoint ses contemporains qui recevaient un baptême en vue de la conversion en reconnaissant leur péché. Or lui n’avait pas péché et n’avait pas besoin de conversion. En se laissant conduire au désert par l’Esprit, Jésus revit l’expérience des Hébreux de l’Exode. Là où ils se sont montrés de mauvais fils, il a su être victorieux, il est véritablement le Fils de Dieu. Pendant le carême qui commence, il vient nous rejoindre sur le chemin de l’épreuve. Laissons-nous conduire avec lui par l’Esprit. Que la Parole soit notre force dans la tentation.

Père mariste, Yvan Mathieu est professeur à l’Université Saint-Paul (Ottawa).

[1] LXX, abréviation de la Septante, version grecque de l’Ancien Testament.

Source : Le Feuillet biblique, no 2653. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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