Le Sermon sur la Montagne. Henrik Olrik. Peinture de l’autel d’une église de Copenhague (Wikipedia).

Entrer dans la joie de Dieu

Yvan Mathieu Yvan Mathieu SM | 6e dimanche du Temps ordinaire (C) – 17 février 2019

Le bonheur et le malheur : Luc 6, 17.20-26
Les lectures : Jérémie 17, 5-8 ; Psaume 1 ; 1 Corinthiens 15, 12.16-20
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Comme le carême ne commencera que dans deux semaines et demie, nous avons la chance de lire le Sermon dans la Plaine. Il est toutefois dommage que le lectionnaire de l’année C nous fasse passer rapidement de la vocation de Pierre et de ses compagnons (5e dimanche : Lc 5,1-11) aux béatitudes. Dommage, parce que cela nous empêche de contempler le contexte dans lequel Jésus introduit cet important discours.

Un nouveau peuple de Dieu

Luc raconte qu’en ces jours-là, Jésus s’en alla dans la montagne pour prier, et il passa toute la nuit à prier Dieu. Le jour venu, il appela ses disciples et en choisit douze auxquels il donna le nom d’Apôtres » (Lc 6,12-13). Le fait que Jésus en choisisse douze n’est pas anodin. Cela correspond au nombre des tribus d’Israël. Jésus inaugure donc un nouveau peuple de Dieu. De plus, un « apôtre » est un « envoyé ». Le titre renvoie à l’horizon des Actes où les apôtres seront témoins du Ressuscité jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1,8). Enfin, tel un nouveau Moïse, Jésus gravit la montagne et en redescend, non plus pour donner au peuple la Loi de Dieu, mais pour donner à ce « grand nombre de ses disciples » la charte du Royaume.

Un peuple ouvert à toutes les nations

Or la foule qui entoure Jésus sur un terrain plat ce jour-là n’est pas constituée que de descendants de Jacob. Il y avait là un grand nombre de ses disciples et une grande multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon (Lc 6,17). Les disciples ainsi que les gens de la Judée et de Jérusalem étaient sans doute de descendance juive. Mais pas les gens du littoral de Tyr et de Sidon ! Ces Phéniciens étaient des païens. Pourtant ils s’étaient déplacés parce qu’ils avaient confiance en Jésus : Ils étaient venus l’entendre et se faire guérir de leurs maladies (6,18). Ceux qui se rassemblent autour de Jésus dans ce récit préfigurent l’Église qui naîtra au jour de la Pentecôte.

Béatitudes ou bénédictions ?

Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara : « Heureux… » (Lc 6,20). Mais de quel bonheur s’agit-il ? « À la différence de la “bénédiction” (berâkâh), […] qui est une parole tendue vers l’avenir et qui effectue ce qu’elle signifie, la “béatitude” est une forme de félicitations, qui suppose donc la constatation d’un bonheur déjà réalisé ou, du moins, en train de se réaliser. La béatitude n’est donc pas une promesse de bonheur pour l’avenir (le ciel !), mais une déclaration de bonheur dans le présent. [1] » « Les destinataires sont heureux parce qu’ils font partie du Royaume qui est déjà commencé […]. Mais ils le sont aussi en raison de l’avenir plein d’espérance qui s’ouvre devant eux. [2] »

Un bonheur différent

Les béatitudes proposent un programme qui est tout à fait à l’opposé de ce que notre monde imagine comme étant le bonheur : Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez (Lc 6,20-21). « Nous sommes bien loin des conceptions du bonheur courantes dans nos sociétés : satisfactions de tous les désirs terrestres, absence de problème ou de souffrance, état d’euphorie psychologique ou expérience de sensations fortes. Le bonheur dont parlent les béatitudes est un bonheur qui vient à nous, non un bonheur produit par nous. [3] »

Une pauvreté bien réelle

Dans l’évangile de Matthieu, Jésus déclare Heureux les pauvres de cœur (Mt 5,3). Ici il proclame : Heureux, vous les pauvres, […] vous qui avez faim maintenant, […] vous qui pleurez maintenant […]  (Lc 6,20-21). Jésus est fidèle à la mission qu’il a reçu de son Père : Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres […] (4,18). Dans les deux cas, il s’agit d’une pauvreté matérielle et concrète. Mais comment trouver dans une pauvreté qui frôle la misère une forme de bonheur ? « En Luc, les pauvres, les affamés et ceux qui pleurent ne sont pas heureux à cause de leur état de pauvreté (qui reste toujours un mal) mais à cause de l’amour privilégié que Dieu manifeste à leur endroit et de la promesse qu’un jour leur situation sera renversée : ils seront pleinement comblés. [4] »

Suivre Jésus, le pauvre

La quatrième béatitude montre bien que le bonheur dont il est question prend sa source dans l’expérience même de Jésus. Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes (6,22-23). C’est ce que vivra Jésus lui-même. Pendant les jours de sa vie dans la chair, il offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect (He 5,7). Comme lui, ses disciples sont appelés à s’en remettre totalement à Dieu.

L’envers de la médaille

Après avoir dit Heureux…, Jésus dit maintenant Malheureux ! Ces quatre déclarations « ne sont pas des malédictions (Malheur à vous !) ni des condamnations irrévocables, mais des plaintes (Malheur êtes-vous !) et des menaces : des appels vigoureux à la conversion » (note de la TOB). C’est d’ailleurs ce que veut exprimer la nouvelle traduction liturgique. Dans l’ancienne traduction, on pouvait lire : « Malheureux, vous les riches… » (6,24). Dans la nouvelle nous lisons : Quel malheur pour vous, les riches… (6,24). Si la consolation vient des biens de ce monde, elle risque de nous enfermer sur nous-mêmes et de nous empêcher de nous ouvrir au salut de Dieu. Et quel malheur ce serait !

Un écho du Magnificat

Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim ! Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez! (Lc 6,25) Ces paroles de Jésus rappellent la prière de Marie : Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides (1,51-53). Les superbes (les orgueilleux) comptent sur leur propre force, ils se placent eux-mêmes au-dessus de Dieu. La richesse n’est pas un mal en soi, mais elle risque de rendre le cœur imperméable à la grâce de Dieu. Seule la miséricorde de Dieu peut faire entrer dans le Royaume.

Marcher dans l’humilité

Quand Jésus proclame les béatitudes, il n’invite pas à la misère, qui demeure un des grands maux de notre temps. Il invite plutôt à le suivre sur le chemin de la joie profonde que Dieu seul peut donner. À la suite du Christ nous pourrons déjà goûter au bonheur du Royaume, en sachant que ce bonheur s’épanouira pleinement à la fin des temps. Avec Marie, l’humble servante du Seigneur, nous pourrons chanter : Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse (Lc 1,48).

Père mariste, Yvan Mathieu est professeur à l’Université Saint-Paul (Ottawa).

[1] Marcel Dumais, Le Sermon sur la Montagne (Matthieu 5 – 7), Paris, Cerf (Cahiers Évangile, 94), 1996, p. 16.
[2] M. Dumais, Le Sermon sur la Montagne, p. 17.
[3] M. Dumais, Le Sermon sur la Montagne, p. 17.
[4] M. Dumais, Le Sermon sur la Montagne, p. 17.

Source : Le Feuillet biblique, no 2607. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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