La Cène, Pierre Paul Rubens, circa 1632. Huile sur toile, Milan, Pinacothèque de Brera (photo : Wikimedia Commons).
Un souper presque parfait
Sébastien Doane | Saint-Sacrement (année B) – 3 juin 2018
Le repas pascal : Marc 14, 12-16.22-26
Les lectures : Exode 24, 3-8; Psaume 115 (116) ; Hébreux 9, 11-15
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Vous connaissez l’émission « Un souper presque parfait »? À tour de rôle, cinq inconnus doivent se recevoir les uns les autres pour un repas convivial et une soirée de divertissement. Celui qui saura se présenter comme le meilleur hôte remporte les honneurs! Si cette série permet rarement un échange profond entre convives, le dernier repas de Jésus était si marquant qu’on en parle encore après deux millénaires.
De Pâque aux Pâques
Par une simple lettre, la langue française permet de distinguer deux concepts à la fois rapproché et distinct. Pâque réfère à la fête juive commémorant la sortie d’Égypte. Ajouté un « s » à la fin de ce mot et vous obtenez le nom de la fête chrétienne de la résurrection de Jésus.
En Marc, le dernier repas de Jésus avec ses disciples a lieu lors d’un rituel important pour la tradition juive : le seder. Ce repas est marqué par le partage de nourritures et de boissons symboliques qui rappellent l’alliance de Dieu avec son peuple. Un des moments les plus importants est la question d’un enfant qui permet de raconter le récit fondateur de la sortie d’Égypte. L’idée n’est pas simplement de lire comme un événement passé, mais de fusionner les limites du texte et de la vie courante pour que les participants du seder puissent s’identifier aux Hébreux de l’Exode. Bénédictions, chants de psaumes et prières d’action de grâce marquent aussi cette liturgie vécue autour d’un repas familial. L’agneau, le pain, les herbes et les multiples coupes partagés symbolisent le renouvellement de l’alliance entre Dieu et son peuple.
Une préparation mystérieuse
La première partie du récit raconte la préparation du repas dans des détails étonnants. Jésus semble doué d’une certaine prescience, une faculté qui entre rarement en jeu dans les autres récits évangéliques. En effet, Jésus sait d’avance que les disciples rencontreront un homme portant une cruche d’eau et que celui-ci les mènera au propriétaire de la salle où se déroulera le repas. Ce genre de rencontre dans une Jérusalem envahi de pèlerins pour célébrer la Pâque ne va pas de soi. De même, les salles devaient toutes être réservées. Ici Jésus semble maître de la situation.
Des convives plus ou moins à la hauteur...
Les versets 17 à 21 ne sont pas lus ce dimanche. Ils annoncent qu’un disciple trahira Jésus. De même, les versets 28 à 31 qui annoncent l’abandon des disciples et la trahison de Pierre sont également omis. La liturgie ne proclame pas ces éléments du récit afin de faire plutôt porter toute l’attention sur le repas comme tel et non sur la suite de la passion de Jésus. Pourtant, ces deux groupes de versets sont importants puisqu’ils soulignent que les convives de Jésus ne sont pas assis avec lui à cause de leur mérite. Jésus partage le repas le plus important de sa vie avec des personnes qui vont le trahir, le renier et l’abandonner! Il n’y a pas que le personnage de Judas qui joue un mauvais rôle. Tous ceux qui partagent le pain et la coupe vont tous abandonner Jésus. La perfection de ce souper ne tient certainement pas dans la sainteté des convives. Si ce repas se veut une alliance, il faut en comprendre que ce climat d’alliance ne dure même pas le temps d’une soirée. C’est très biblique comme thème. L’Ancien Testament est un recueil de texte autour des alliances conclues et brisées.
Le pain et la coupe
Les actions et les paroles de Jésus autour du pain et de la coupe proviennent d’une tradition cultuelle importante pour les premiers chrétiens. Déjà la lettre aux Corinthiens (1 Co 11,23-26) transmet cette tradition une vingtaine d’années avant la composition de l’Évangile selon Marc.
Les actions que pose Jésus qui prend, bénit et rompt le pain sont naturelles pour un repas dans le contexte de l’époque. Par contre, la parole ne va pas de soi : Prenez, ceci est mon corps. La parole de Jésus relie son corps au pain partagé. Comme le pain, son corps sera bientôt brisé par la mort violente. Pourtant, dans le partage de ce pain, les disciples et les premiers chrétiens vont découvrir une véritable communion qui transcende l’absence corporelle de Jésus. Par ce pain rompu, Jésus se donne à ses disciples.
Contrairement au seder le récit du dernier repas n’indique pas la symbolique de plusieurs coupes. Jésus rend grâce, donne et boit la coupe. Encore une fois, c’est une parole étonnante qui donne un relief à cette action habituelle. Ceci est mon sang, le sang de l'Alliance, versé pour la multitude. Cette parole fait référence au sang du sacrifice scellant l’Alliance au Sinaï : Ceci est le sang de l’Alliance que Yahvé a conclue avec vous. (Ex 24,8) Cette notion d’alliance et de multitude fait écho à la dimension communautaire du partage du pain. La parole de Jésus indique que le vin est son sang. Dans le contexte du récit de la passion, ce sang versé ne peut qu’évoquer le sang de la mort violente qui vient. Dans le contexte biblique, il évoque aussi le sang comme symbole de vie offert lors des sacrifices pour entrer en relation avec Dieu. La violence de la mort de Jésus ouvre à quelque chose de plus grand. Paradoxalement la mort d’un individu permet l’intégration d’une multitude dans une nouvelle alliance avec Dieu.
Le repas du Royaume
Cette scène de repas se termine par l’évocation d’une promesse. La mort vient et avec elle, l’arrêt de toute consommation de nourriture ou de boisson. Cependant, Jésus évoque l’espoir d’un banquet céleste où il pourra boire le vin nouveau du Royaume de Dieu. Cette image rappelle celle des banquets évoqués dans la tradition biblique. Isaïe (25,6-8) utilise l’image du festin pour annoncer le repas messianique de la fin des temps. Pour ce banquet, le Seigneur prépare des viandes grasses et de bons vins. Il essuie les pleurs de tous les visages, il fait disparaître la mort et il réunit toutes les nations. Si ce texte n’est pas cité explicitement, il permet aussi de faire un chemin de la mort à la vie.
La participation au repas du Royaume n’est peut-être pas aussi lointaine qu’elle paraît. Le dernier repas partagé entre Jésus et ses disciples, dont nous faisons mémoire en chaque eucharistie, anticipe ce festin de la fin des temps rassemblant le peuple de Dieu et toutes les nations. Et ça sera certainement un souper presque parfait.
Sébastien Doane est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec).
Source : Le Feuillet biblique, no 2579. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.