La Sainte Trinité. Hendrick van Balen, c. 1620. Huile sur bois, église Saint-Jacques, Anvers. (photo : Wikimedia Commons)

Dieu en son mystère d’amour

Patrice BergeronPatrice Bergeron | Sainte Trinité (année B) - 27 mai 2018

L’envoi en mission : Matthieu 28, 16-20
Les lectures : Deutéronome 4, 32-34.39-40 ; Psaume 32 (33) ; Romains 8, 14-17
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Le temps pascal s’est terminé dimanche dernier par la fête de la Pentecôte, mais après celle-ci et avant de retrouver le temps ordinaire, la liturgie de l’Église nous propose trois autres solennités du Seigneur dont deux rendez-vous dominicaux : le dimanche de la Sainte Trinité, celui du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ [1] et la fête du Sacré Cœur de Jésus [2].

En cette année liturgique B, le cycle des lectures en continu de l’Évangile selon Marc est souvent interrompu et le Lectionnaire dominical puise abondamment aux autres évangiles. Ce sont les derniers mots de l’Évangile selon Matthieu qui seront proclamés à nos assemblées en ce dimanche de la Sainte Trinité. Ils rapportent une apparition galiléenne du Christ ressuscité aux onze disciples (Mt 28,16-20). On n’aura pas à chercher bien longtemps les raisons qui ont motivé les concepteurs du Lectionnaire dominical à choisir cet extrait de Matthieu comme pouvant convenir à la fête : dans ces versets se trouve la seule formulation explicitement trinitaire de tout le Nouveau Testament (Mt 28,19).  Non pas que la Trinité soit absente du Nouveau Testament dont l’unique objet est, après tout, de nous parler de Dieu qui se révèle être trine. Mais de nommer ainsi les trois Personnes divines à la suite, selon une formulation liturgique familière, cela n’arrive qu’à l’avant-dernier verset de l’évangile matthéen.

Significative Galilée…

Selon une tradition que partagent Matthieu et Marc, Jésus annonce lui-même, lors de son dernier repas la veille de sa mort, que c’est en Galilée, une fois ressuscité, qu’il se manifestera à ses disciples (Mc 14,28 ; Mt 26,32). Ce « rendez-vous » galiléen est confirmé par l’ange qui s’adresse aux femmes ayant trouvé le tombeau vide au premier jour de la semaine (Mc 16,7 ; Mt 28,7) et encore par Jésus ressuscité lui-même à ces mêmes femmes quittant le lieu du sépulcre (Mt 28,10). Malgré cette insistance sur le lieu de la rencontre, seul Matthieu, cependant, raconte l’apparition en Galilée [3].

Le lieu est significatif. Tout d’abord parce que c’est de Galilée que vient Jésus, l’homme de Nazareth. C’est aussi en Galilée que débutèrent le ministère public de Jésus et son annonce du Règne des Cieux (Mt 4,17). En choisissant ce lieu pour apparaître à ses compagnons de la première heure, on pourrait dire que la boucle est bouclée. Mais il y a plus que cela, symboliquement. Depuis l’invasion assyrienne du Royaume du Nord (en 721 av JC), elle et sa voisine, la Samarie, ont été sujettes à des croisements de populations, à l’arrivée et l’implantation de nations étrangères en leurs terres, si bien que la Galilée était surnommée « Galilée des nations ». Un territoire où se mêlent les populations juives et étrangères, la Galilée devient suspecte aux yeux du judaïsme officiel de Judée. C’est donc symboliquement à ce carrefour ouvert au monde entier que le Ressuscité intime l’ordre à ses frères de faire de toutes les nations des disciples et de les baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit (Mt 28,19).

Et combien significative montagne !

Encore plus évocateur que la Galilée, c’est sur la montagne qu’a lieu la rencontre du ressuscité avec les Onze. Inutile de chercher à identifier géographiquement cette montagne de Galilée, c’est bibliquement qu’il faut la situer. Dès lors, plusieurs montagnes de la Bible nous viennent en tête, charriant avec elles des évocations diverses qui s’additionneront pour créer un effet de sens maximal. Partons donc en expédition sur les montagnes de la Bible !

Qu’on pense d’abord à la montagne sur laquelle Moïse reçut de Dieu les paroles de l’Alliance ou commandements (Sinaï ou Horeb)… Or, voilà un Jésus ressuscité qui, sur une montagne, envoie ses disciples apprendre aux nouveaux qui viendront à garder les commandements qu’il leur a donnés.

Ou qu’on pense au mont Nebo d’où Moïse, avant de mourir, put contempler tout le pays donné par Dieu à Israël et à sa descendance (Dt 34,1-4). Or, voilà un Jésus ressuscité qui affirme avoir reçu de Dieu (sous-entendu) tout pouvoir au ciel et sur la terre.

Pas de doute que Matthieu a eu ces deux montagnes en tête en rédigeant la fin de son Évangile. Ainsi cherche-t-il à nous présenter Jésus comme ce Nouveau Moïse – encore plus grand que lui – qu’attendait Israël pour les temps messianiques (d’après Dt 18,15.18).

Mais cette montagne, c’est certainement aussi celle au sommet de laquelle le diable avait emmené Jésus pour lui montrer tous les royaumes du monde et leur gloire (Mt 4,8-10) en lui suggérant, pour les obtenir, de se prosterner devant lui. Cette souveraineté encore plus grande – car il s’agira du ciel en plus de la terre ! – le Christ, par le don de sa vie et sa résurrection, la reçoit de Dieu sans compromission avec l’esprit du mal.

Deux autres montagnes présentes dans l’Évangile selon Matthieu peuvent encore être évoquées. La montagne qui servit de chaire à Jésus pour proposer à l’humanité sa Loi nouvelle (Sermon sur la montagne, Mt 5-7). La résurrection du Christ ne vient-elle pas donner une sanction divine et une valeur éternelle à l’enseignement du messager de la montagne ?

Enfin le rapprochement avec la montagne de la transfiguration ne peut être évité (Mt 17,1-9), puisque qu’en ces deux occasions les disciples (du moins Pierre, Jacques et Jean) feront l’expérience d’une théophanie, d’une confirmation de la transcendance de leur maître, revêtu de la gloire de Dieu !

Tout pouvoir m’a été donné… sur la terre

La façon dont s’exprime le Ressuscité en ces derniers mots de l’évangile matthéen, ressemble à s’y méprendre aux derniers mots de la Bible hébraïque [4] où l’on entend un décret royal du roi perse, Cyrus, considéré par le judaïsme comme un envoyé de Dieu [5]. Écoutons ce dernier verset de la Bible qu’a connu Matthieu et observons-en la ressemblance:

« Ainsi parle Cyrus, roi de Perse : Le Seigneur, le Dieu du ciel, m’a donné tous les royaumes de la terre ; et il m’a chargé de lui bâtir une maison à Jérusalem, en Juda. Quiconque parmi vous fait partie de son peuple, que le Seigneur son Dieu soit avec lui, et qu’il monte à Jérusalem ! » (2 Ch 36,23)

Il n’y a pas de hasard ici, mais une intention réelle de l’évangéliste d’affirmer que, par sa résurrection, Jésus accomplit l’ensemble de la révélation biblique, d’un couvert de la Bible à l’autre, pourrait-on dire ! Une simple observation nous en convaincra davantage. Non seulement l’Évangile selon Matthieu se termine-t-il par les paroles du Ressuscité imitant le dernier verset de la Bible hébraïque, mais son évangile commence aussi par les mêmes mots du premier livre de la Bible hébraïque (la Genèse) relatant les débuts de l’humanité [6].

Tout pouvoir m’a été donné au ciel

Mais le règne de Jésus ressuscité dépasse le royaume purement terrestre de Cyrus, puisque sa souveraineté s’étend aussi au ciel. Jésus prend les traits de ce Fils d’Homme que Daniel, lors d’une vision, entrevoit recevoir de Dieu une souveraineté universelle et éternelle (Dn 7,14). Voilà, pour l’évangéliste, cette prophétie de Daniel réalisée dans la résurrection du Christ, roi éternel du ciel et de la terre…

Un premier mot… un dernier mot…

Le premier verset de l’Évangile selon Matthieu contient le mot grec qu’on traduit par « genèse » (Mt 1,1). Et, pour le familier de la Bible, le mot genèse est automatiquement associé à l’acte de la création, au début des temps. Le dernier verset de son évangile parle de la fin des temps (Mt 28,20). Jésus ressuscité devient donc par sa résurrection, l’Emmanuel, récapitulant toute l’histoire universelle, du début à la fin. Il est l’Alpha et l’Oméga nous le dirait autrement l’auteur de l’Apocalypse.

Patrice Bergeron est bibliste et prêtre du diocèse de Montréal.

[1] Dans les pays où c’est une fête de précepte, on célèbre la solennité du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ, le deuxième jeudi après la Pentecôte. Au Canada, cette solennité est transférée au dimanche suivant.

[2] Cette dernière se célèbre le vendredi qui suit le deuxième dimanche après la Pentecôte.

[3] L’épilogue de l’Évangile selon Jean formé par le chapitre 21 raconte aussi une rencontre du Ressuscité en Galilée, sur le bord du lac de Tibériade, mais l’épisode n’a rien en commun avec le récit de Matthieu. Le récit johannique vient d’une autre source.

[4] Le dernier livre des Écritures pour le judaïsme était le deuxième livre des Chroniques, dont le dernier verset sera 2 Ch 36,23.

[5] Puisqu’à la suite de sa victoire sur Babylone (en 539 av JC), il permettra, par un édit (en 538 av JC), le retour des exilés juifs de Babylone et la reconstruction du Temple de Jérusalem détruit lors de la conquête babylonienne.

[6] Comparez Mt 1,1 (« Livre des origines de Jésus Christ ») à Gn 5,1 (« Livre des origines d’Adam »).

Source : Le Feuillet biblique, no 2578. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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