Pierre et Jean courant au tombeau le matin de Pâques. Eugène Burnand, 1898. Huile sur toile, 82 x 134 cm. Musée d’Orsay, Paris (photo : Wikipédia)
Pour éclairer le sens de nos vies
Lorraine Caza, CND | Dimanche de Pâques (année B) - 26 mars 2018
Le tombeau vide : Jean 20, 1-9
Les lectures : Actes 10, 34-43 ; Psaume 117 (118) ; Colossiens 3, 1-4
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Au début de décembre, un penseur français de grande stature, Jean d'Ormesson, terminait son pèlerinage; il vivait le grand passage. Dans de nombreux ouvrages, il a généreusement partagé avec ses lecteurs sa réflexion sur les questions fondamentales : la vie a-t-elle un sens? Est-il permis d'espérer quoi que ce soit au-delà de la mort? Pourquoi suis-je né? Pourquoi y a-t-il des êtres humains? Pourquoi y a-t-il un monde? Que savons-nous? Presque tout, en vérité, sauf l'essentiel. Lorsque de telles questions sont formulées, nous savons que nous sommes concernés et qu'il faut prêter attention aux tentatives de réponses auxquelles nous avons accès.
La merveilleuse liturgie pascale
N'est-ce pas ce que notre Église nous invite à faire, chaque année, chaque semaine, chaque jour, mais de façon toute spéciale dans le cadre du Triduum pascal et de son couronnement dans la solennité de la Résurrection de Jésus? Lors de la célébration eucharistique du jour de Pâques, c'est avec un texte de l'Évangile selon Jean (Jn 20,1-9) que nous abordons le mystère après avoir entendu l'auteur du livre des Actes des apôtres (Ac 10,34-43) nous partager quelque chose de l'effet que l'événement de la résurrection de Jésus avait eu sur leur vie. Et nous avons aussi entendu l'apôtre Paul, dans sa Lettre aux Colossiens (Col 3,1-4), nous dire comment il voyait désormais sa vie.
Une visite au tombeau qui change la vie
Le récit johannique offert à notre méditation est la toute première section d'un chapitre qui nous parlera ensuite de la rencontre du Ressuscité avec Marie de Magdala, puis de sa rencontre avec les disciples en l'absence de Thomas et enfin de sa rencontre avec Thomas au milieu des disciples.
Dans le passage d’évangile que nous lisons à Pâques, notons qu'à l'intérieur des huit premiers versets, on trouve sept mentions du tombeau, comme pour nous faire saisir qu'en ce lieu, quelque chose d'important va se passer, à quoi nous devrions prêter attention. Cette première impression est avivée par le fait que les trois personnages impliqués dans la scène, Marie de Magdala, Simon-Pierre et l'autre disciple, semblent vraiment attirés par ce tombeau puisque chacun y court allègrement (Jn 20,2-4).
Courir vers un tombeau! De Marie de Magdala, dès le début du récit (20,1), on dit qu'elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. Il semble s'agir d'un regard rapide, sans profondeur particulière; comme elle tire rapidement son interprétation du fait observé! On serait tenté de dire que l'analyse est toute superficielle. De Simon-Pierre, on note qu'il voit les linges affaissés, qu'il les contemple. Le verbe utilisé nous laisse avec l'impression que son regard scrute davantage, essaie de faire parler ce qu'il a vu, à un autre niveau. De l'autre disciple, dont le nom n'est pas prononcé mais qui est identifié comme celui que Jésus aimait, on dira qu'il voit et qu'il croit. On est donc, ici, au niveau d'un regard qui conduit à la foi.
Il vaut la peine de comparer les niveaux de profondeur du « voir » de nos trois témoins. Le texte nous y invite en utilisant trois mots différents pour caractériser ce que chacun a vu. Marie de Magdala s'en est tenue à la pierre enlevée et, trop rapidement, elle a conclu que quelqu'un était venu et avait emporté le corps dans un autre lieu. S'agirait-il alors d'un enlèvement fait par des humains malveillants? Simon-Pierre a remarqué que les linges qui enveloppaient le corps de Jésus sont restés là et non pas en désordre, mais affaissés. Il a également noté que le suaire ajusté autour de la tête de Jésus est enroulé, dans un seul lieu. Rien donc ne donne à penser que l'interprétation de Marie de Magdala soit juste. Des voleurs ne travaillent pas de cette façon : ou bien ils auraient emporté les linges avec le corps ou bien ils les auraient laissés en désordre, trop pressés de s’enfuir. Nous appartenons à une société qui a tendance à analyser très, très superficiellement toute information au sujet des réalités de la foi. Peut-être avons-nous quelque chose à apprendre de nos trois témoins.
Ils s'appelaient Pierre et le Bien-aimé
Deux autres éléments du récit captent notre attention. D’abord celui qui est identifié comme l'autre disciple arrive le premier au tombeau comme s’il était animé par un feu intérieur, mais il n'entre pas. C'est à Simon-Pierre que notre évangéliste reconnaît la priorité d'entrée dans le tombeau. Pourquoi cette priorité donnée à Simon-Pierre? Sommes-nous renvoyés à la mission que Jésus confie à ses disciples tel que le rapporte l'Évangile de Matthieu : « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église » (Mt 16,18) ? Quant à l'autre disciple, celui que Jésus aimait (Jn 20,2 mais aussi Jn 13,23; 19,36; 21,7.20), sommes-nous surpris de constater que son « voir » le conduit à un « croire »? Ce rapport foi-amour me ramène au magnifique passage de La Joie de l’Évangile où notre Père et Frère François nous dit : « Je ne me lasserai jamais de répéter ces paroles de Benoît XVI qui nous conduisent au cœur de l'Évangile : ‘À l'origine du fait d'être chrétien, il n'y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive’. »
Un dessein divin qui traverse le temps
Le second élément qui retient notre attention et ne peut être passé sous silence se situe à la fin du témoignage sur la visite de Simon-Pierre et de l'autre disciple au tombeau. L'évangéliste affirme qu'avant cette venue au tombeau, les disciples n'avaient pas compris l'Écriture qui disait que Jésus devait ressusciter des morts. Cette victoire du Messie sur le mal et sur la mort avait donc été annoncée. Elle faisait partie du dessein de Dieu, révélé progressivement, à travers les siècles, dans la Parole de Dieu. L'heure était venue pour les disciples de comprendre, de s'ouvrir à une lumière décisive sur le sens de la vie, sur la possibilité d'espérer un au-delà de la mort, sur le pourquoi de l'existence de l'humanité. La résurrection de Jésus avait une implication profonde pour leur existence. En ce moment de l'histoire, nous avons à nous interroger sur la profondeur de notre foi face à notre avenir au-delà du tombeau. Les débats contemporains autour du mourir et la sécularisation radicale de notre société mettent en évidence la fragilité de la confession de foi de bien des humains qui ont pourtant contact avec la Parole de Dieu.
La question du sens éclairée aussi par le livre des Actes et la lettre aux Colossiens
Pierre et les apôtres ont conscience d’avoir été investis par le Ressuscité de la mission d’évangélisateurs : Nous sommes des témoins choisis d'avance, nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection. Il nous a chargés d'annoncer au peuple et de témoigner que Dieu l'a choisi comme Juge des vivants et des morts (Ac 10,41s). Paul quant à lui invite les Colossiens à tirer les conséquences de leur foi en la résurrection de Jésus pour la conduite de leur vie : C'est qu'ils sont ressuscités avec le Christ et que, dès lors ils doivent rechercher les réalités d'en-haut. Et quand paraîtra le Christ, leur vie, eux aussi paraîtront avec lui en pleine gloire (Col 3,1-4).
Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).
Source : Le Feuillet biblique, no 2570. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.