L’entrée à Jérusalem. Giotto di Bondone, c. 1305. Fresque, 200 x 185 cm. Chapelle Scrovegni, Padoue, Italie (photo : Wikiart).
Le Messie acclamé, rejeté et victorieux
Julienne Côté, CND | Dimanche des Rameaux (année B) - 19 mars 2018
Entrée triomphale à Jérusalem et récit de la Passion : Marc 11, 1-10 ; 14, 1 - 15, 47
Les lectures : Isaïe 50, 4-7 ; Psaume 21 (22) ; Philippiens 2, 6-11
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Commencement de l'Évangile de Jésus Christ, tels sont les premiers mots de l'Évangile selon Marc. Au terme du récit de la Passion, le centurion voyant qu'Il (Jésus) avait expiré, dit : Vraiment cet homme était Fils de Dieu (15,39). Ces deux textes dévoilent l'identité de Jésus, Christ et Fils de Dieu. La Bonne Nouvelle d'une délivrance, annoncée au long du ministère publique de Jésus, atteint, à l'heure de la passion et de la mort de Jésus, une ampleur et une profondeur inimaginable. C'est que la foi affirmée ne peut se dire qu'à partir de la Passion. Elle nous permet de vraiment découvrir qui est Jésus et ce qu'il accomplit pour les humains. Jésus ne sera pas un nouveau David qui prendra le pouvoir et donnera à Israël une place parmi les autres nations (Psaume 17,21). Sa royauté, radicalement nouvelle, sera celle de la Vérité humiliée et silencieuse (M. Corbin). Quel paradoxe que Jésus crucifié soit le Fils de Dieu, que la Croix est Bonne Nouvelle pour tous!
Hosanna! Béni soit celui qui vient!
Constatons que c'est sur l'ordre de Jésus que ses disciples vont chercher un ânon (11,2) sur lequel ils déposèrent leurs vêtements. Au propriétaire qui pourrait s'insurger, Jésus communique la réponse à présenter : Le Seigneur en a besoin... (v. 3; Le Seigneur, c'est une des rares fois que cette affirmation est utilisée dans les évangiles synoptiques). Et l'évangéliste d'ajouter l'accueil du peuple qui célèbre son Messie et son roi : Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père (v. 9). Un roi humble sans les apparats de l'empereur romain ou du roi de Babylone! Mais cette entrée, humble, était de trop et va précipiter la perte de Jésus, car les grands prêtres et les scribes cherchent comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer (14,1). Déjà, au cours de la vie publique de Jésus, Sadducéens et Pharisiens lui avaient tendu des pièges et tenté de le réduire au silence (14,60-62).
Une nuit d'agonie, de solitude et de rejet
Le récit de la passion de Jésus est bouleversant, il constitue le sommet de l'Évangile selon Marc. Au départ, tout se passe entre Juifs. À Gethsémani, par trois fois, ses disciples, invités à veiller avec Lui seront trouvés endormis (14,2-42).Judas (14,43-52) va Le trahir par un baiser; leur Maître arrêté, tous s'enfuirent (v. 50). Livré aux chefs des prêtres, aux anciens, aux scribes et au Sanhédrin tout entier (14,53-54), ceux-ci l'interrogent : ils cherchent un témoignage afin de le mettre à mort. Avant de commencer le procès, Jésus est déjà jugé. On veut l'éliminer. À la suite de faux-témoignages (14,55-59), le grand-prêtre s'adressant à Jésus l'interroge ainsi : Tu es le Christ, le Fils du Béni? Et Jésus de répondre : Je (le) suis. Et vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la Puissance (Dieu), en venant avec les nuées du ciel (14,62).
La réponse de Jésus conjugue étroitement deux paroles des Écritures, soit le début du Psaume 110, 1 et le texte de la vision de Daniel sur le Fils d'Homme qui introduit au monde céleste, par un Vieillard qui représente Dieu. Ce Fils d'Homme va vers Dieu en vue d'une intronisation solennelle (Dn 7,13-14) :
Oracle de Yahvé à mon Seigneur (le Roi-Messie descendant de David): Assieds-toi à ma droite...
Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu'avec les nuées du ciel venait comme un Fils d'Homme, et on le fit approcher en sa présence. Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté: les gens de tous les peuples, nations et langues le servaient. Sa souveraineté est une souveraineté éternelle qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera jamais détruite...
Trouvant la réponse scandaleuse, le grand-prêtre manifeste son indignation en déchirant sa tunique. Voilà l'affirmation qu'il souhaitait pour prendre Jésus en défaut (14,1-2). L'accusation de blasphème s'ensuit. Au terme de cet interrogatoire, Jésus est dès lors livré par des Juifs religieux au pouvoir politique, représenté en la personne de Pilate. Quant à Pierre, il renie son Maître.
Un jour d'opprobres et d'humiliation
Livré à Pilate, Jésus est confronté au pouvoir politique (15,2-20) et manifesté aux yeux de tous, au grand jour. Celui que les autorités religieuses juives ont condamné, quelle royauté exerce-t-il? Alors que Pilate, indécis, ne trouve pas sujet à condamnation, les foules, exacerbées par les chefs juifs réclament à grands cris la mort du Juste, l'insultent et lui préfèrent Barrabas : Crucifiez-le (15,14). Et la scène d'outrages où le condamné Jésus n'est reconnu roi que par dérision – manteau de pourpre, couronne d'épines, hommages à genoux et crachats –, constitue l'humiliation extrême, infligée à Celui qui est venu accomplir les œuvres de son Père et donner sa vie. Comment l'inculpé réagit-il ? Il ne se défend pas. Il se tient muet, si ce n'est que pour dire : C'est toi qui le dis (15,2). Suivra la sentence de Pilate qui conduira le Juste au supplice de la croix, vécu au milieu des ricanements et des injures de la soldatesque (15,21-41).
Du scandale de cette crucifixion d'un innocent a jailli, dans les premières communautés chrétiennes, une reconnaissance de Celui qui fut abandonné et en qui le centurion païen rend témoignage : Vraiment cet homme était Fils de Dieu (v. 39). En effet, comment répondre au mensonge et à l'accusation de blasphème? Comment supporter tant de mépris et de trahisons, comment être mis au rang des malfaiteurs, des injustes, alors qu'il est le Juste? Il porte une infamie qui n'est pas sienne (Isaïe 53,1-12). Comment affronter tant de souffrances? Seul le Fils de Dieu pouvait porter, dans l'obéissance et l'humilité, autant d'injustices. Aurait-il pu sauver les humains de leur violence en répondant à la violence par la violence, en s'imposant par la force? Au lieu de dominer autrui, Jésus se tait et s'abaisse par amour pour son Père et pour ceux et celles qu'Il est venu sauver. Son amour va jusqu'au bout. « C'est jusque dans ses péchés, le contraire de l'amour, que les humains vont être aimés » (M. Domergue). Face à la haine, Il se tourne vers son Père, s'unit à sa volonté. L'échec de Jésus constitue sa victoire. « Le véritable Christ est le Christ crucifié. Jésus est vraiment le Messie, mais par sa Croix. Paradoxalement, la Croix est la Bonne Nouvelle » (M. Sevin).
Pour comprendre le scandale de la condamnation injuste de Jésus par ses frères juifs et par Pilate, le représentant romain, pour mieux saisir l'événement ignominieux de la passion du Christ, l'Église primitive a su puiser dans les Écritures, telles le Psaume 21(22), le livre d'Isaïe 50,4-7, l'Hymne de l'Épître aux Philippiens 2,6-11 (les deux lectures du jour, ainsi que le psaume).
À la lumière des Écritures
Le Psaume 21 (2.8-9.17-20.22-24) composé au retour de l'Exil, en l'an 538, compare Israël à un condamné humilié, outragé, disloqué, en totale détresse, impuissant face à la haine des hommes. Il crie vers Dieu, le supplie. Il a failli mourir, mais Israël est rentré de l'Exil et reconnaît ne devoir qu'à Dieu seul son salut et lui rend grâce en laissant chanter sa joie : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?... Mais tu m'as répondu!... je te loue en pleine assemblée (vv. 1.22-23).
L'extrait d'Isaïe (50,4-7) n'a pas non plus été composé pour Jésus, il date probablement du 6e siècle. Le serviteur (Israël) est celui que la Parole éveille chaque matin, (v. 4) qui écoute la Parole, qui se laisse instruire, qui fait confiance quoi qu'il arrive, ne se dérobant pas aux coups et aux outrages. Le Seigneur vient à mon secours : c'est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c'est pourquoi j'ai rendu mon visage comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu (vv. 6-7). Pour l'évangéliste Marc et les premiers chrétiens comment ne pas voir que ce portrait coïncidait avec Jésus, serviteur de son Père et de ses frères et sœurs en humanité, au Crucifié qui a donné sa vie pour les siens.
La figure du serviteur apparaît également dans l'Hymnede l'Épître aux Philippiens. Le Christ Jésus n'a pas jugé bon... d'être traité à l'égal de Dieu. Mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur... Il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu'à mourir et à mourir sur une croix (2,6-9). Chez Jésus, tout est gratuité dans son don au Père et le Père, toute bienveillance, dans le don qu'Il offre au Fils.
En ce dimanche des Rameaux, le récit de la Passion, en nous présentant le Sauveur humilié, couronné d'ignominie, nous appelle à considérer nos échecs et nos faiblesses comme des occasions de ressembler davantage à notre Maître qui est chemin, vérité et vie. Ce récit nous invite, croyants et croyantes, au silence et à la contemplation de Celui qui est Seigneur, Fils de Dieu. Il a accepté de mourir pour nous, Il s'est livré à nous dans la toute-puissance de son amour pour que nous ayons sa vie en plénitude. Telle est la merveille de l'Amour de Dieu, capable de remplir nos cœurs de gratitude.
Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Julienne Côté est bibliste.
Source : Le Feuillet biblique, no 2569. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.