Jésus et ses disciples. Georges Rouault. Huile sur toile.
Jésus et les intérêts supérieurs de son église
Yves Guillemette | 26e dimanche du temps Ordinaire (B) – 30 septembre 2018
Mises en garde : Marc 9, 38-43.45.47-48
Les lectures : Nombres 11, 25-29; Psaume 18 (19); Jacques 5, 1-6
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
On entend parfois dire d’une femme ou d’un homme politique qu’il a travaillé pour les intérêts supérieurs de son pays. Cela fait partie des éloges funèbres ou des discours d’appréciation d’une carrière bien remplie quand vient la retraite. On souligne le dévouement, le désintéressement, l’honnêteté et la loyauté, parfois l’abnégation, qui ont marqué la carrière de cette personne au service de la société.
Dans le passage d’évangile de ce dimanche, Jésus adresse aux apôtres une série d’exigences qu’ils devront satisfaire, s’ils veulent bien servir les intérêts supérieurs de son église. Nous ne sommes pas à l’heure des éloges, mais plutôt de l’engagement à développer un style chrétien, une manière d’être qui façonnera l’identité de quiconque veut suivre Jésus. Le ton est assez sévère, ce qui accentue leur importance, comme si le contenu ne se prêtait pas à discussion.
De prime abord, on a l’impression que ces exigences et ces mises en garde semblent avoir été placées en vrac à cet endroit de l’évangile. On relève une question de Jean à propos d'un exorciste agissant au nom de Jésus, alors qu’il est étranger au groupe des Douze (vv. 38-40); une parole sur le verre d’eau donné au disciple (v. 41); un avertissement contre le scandale des petits (v. 42); et enfin une série de mises en garde contre les occasions de pécher (vv. 43-48).
Le contexte large
En observant le contexte plus large du chapitre, on peut esquisser une certaine parenté thématique avec les autres scènes de ce chapitre. Celui-ci s’ouvre d’abord sur la transfiguration sur une montagne de Galilée (Mc 9,2-10), suivie d’une discussion sur le prophète Élie (9,11-13), un personnage de la scène de la transfiguration. Jésus opère ensuite la guérison d’un enfant possédé d’un esprit muet (9,14-29).
Le contexte immédiat
Après cela commence une petite section (9,30-50) qui servira de contexte immédiat à notre passage. Jésus et les Douze font route discrètement à travers la Galilée vers Capharnaüm et chemin faisant Jésus leur annonce une deuxième fois les souffrances de la passion et la résurrection (vv. 30-32). Les apôtres font peu de cas de ce drame et se demandent qui est le plus grand parmi eux (vv. 33-34).
Le reste de la scène se passe ensuite dans la maison (vv. 33-50). Jésus les amène à dévoiler leurs ambitions et réagit par un geste prophétique : il place un enfant au milieu d’eux. Accueillir au nom de Jésus un enfant comme celui-là, c’est l’accueillir, lui, et ultimement c’est accueillir Celui qui l’a envoyé (vv. 36-37). À partir d’ici, c’est l’expression « en mon nom » ou « en ton nom » qui servira de mot crochet pour unir les thèmes de l’enseignement qui définit les conditions d’appartenance au Christ. N’oublions pas que ces conditions font suite à l’annonce de la passion et qu’elles sont la manière de faire mémoire de celui qui a donné sa vie par amour.
Les conditions d’appartenance au Christ
L’ouverture à la différence
Jésus n’a pas eu l’intention de se constituer un petit groupe fermé. Il avait bien sûr des disciples qui le suivaient et partageaient sa mission d’annoncer l’Évangile. Il avait aussi ce respect des personnes qui lui faisaient reconnaître que certaines pouvaient vivre de l’esprit de l’Évangile, tels les petits qui croient, l'inconnu qui donne au disciple un verre d'eau ou l'exorciste étranger qui chasse des esprits mauvais en son nom. Jésus accepte que l’appartenance à son nom se conjugue au pluriel, qu’elle connaisse la diversité. Jésus met les apôtres en garde contre tout esprit sectaire qui les paralyserait dans l'annonce de l'Évangile et contredirait la volonté de Dieu d'offrir le salut à tout être humain. Jésus n’a-t-il pas fait don de sa vie pour l’humanité entière?
Le respect sacré de la dignité d’autrui
L'appartenance au Christ comporte des exigences morales élevées. Qui veut vivre en disciple doit s’engager sur la voie de l’intégrité. À ce niveau, Jésus n’y va pas avec le dos de la cuillère; c’est tolérance zéro. Il y a pire que d’agir au nom de Jésus sans lui appartenir, c’est l’agir non évangélique de ceux qui disent lui appartenir.
Il en va ici des intérêts supérieurs de la communauté de ses disciples, de son église. D’ailleurs l’évangéliste Matthieu a inséré ces exhortations sévères dans le discours de Jésus sur la vie de l’Église (chapitre 18). On y retrouve quelques uns des thèmes de Marc abordés dans notre section : la question du plus grand, le modèle de l’enfant, la mise en garde contre le scandale des petits. Matthieu ajoute la parabole de la brebis égarée (Mt 18,10-14), la démarche de correction fraternelle (18,15-18), la prière en commun et la présence de Jésus au milieu de ceux qui sont réunis en son nom (18,19-20), le pardon entre frères et la parabole sur la difficulté du pardon (18,21-35).
À ses apôtres réunis dans la maison, – évocation discrète de la future église? –, Jésus sert donc une sévère mise en garde : si tu entraînes la chute d’un seul petit qui croie en moi, si ton œil, ta main, ton pied entraînent au péché, il vaut mieux couper ou arracher le membre malade. Comment comprendre ces propos excessifs sans tomber dans une interprétation littérale ni amoindrir leur message?
En son nom
Selon la conception biblique de l’homme, l’œil est en rapport avec la pensée tandis que les mains et les pieds sont en relation avec l’agir. Que ce soit par sa pensée ou par son agir, le disciple de Jésus doit se comporter avec un respect sacré pour la dignité d’autrui. Il ne doit pas être l’obstacle, – le scandale, ce petit caillou coincé dans la sandale ou le soulier –, qui empêcherait quelqu’un d’accueillir l’Évangile ou de douter de son authenticité. Jésus a choisi l’œil, les mains et les pieds car ils permettent à l’homme d’être à la fois autonome et en relation avec les autres. Ainsi donc, quelle idée nous faisons-nous des autres quand nous portons en som nom notre regard sur eux? Nos mains sont-elles repliées sur elles-mêmes, ou sont-elles tendues en son nom pour bâtir la fraternité? Nos pieds nous font-ils fuir le monde, ou nous conduisent-ils en son nom vers les autres pour faire route avec eux et nous faire marcher humblement avec notre Dieu?
Yves Guillemette est curé de la paroisse Saint-Léon de Westmount et directeur du site interBible.
Source : Le Feuillet biblique, no 2587. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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