L’Ascension selon John Singleton Copley, 1775. Huile sur toile, 81,2 x 28,7 cm
Museum of Fine Arts, Boton (photo : Wikimedia Commons)
Deux précieux guides pour aujourd’hui
Francis Daoust | Ascension du Seigneur (année B) - 13 mai 2018
L’envoi missionnaire : Marc 16, 15-20
Les lectures : Actes des apôtres 1, 1-11 ; Psaume 46 (47) ; Éphésiens 4, 1-13
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Après un court prologue (Ac 1,1-3), le second tome de l’œuvre de Luc s’amorce avec un récit plutôt surprenant : celui de l’Ascension, qui rapporte comment Jésus fut emporté au ciel (Ac 1,4-11). Bien que les peintres de nombreuses époques se soient inspirés de cet épisode et ont représenté Jésus montant dans la stratosphère, il faut bien comprendre que ce récit a recours au langage symbolique pour parler du passage de Jésus de ce monde terrestre au monde céleste. Mais s’agit-il d’un récit qui se rapporte uniquement au passé et à des considérations célestes? Une analyse plus serrée du récit nous révèle qu’au contraire cet épisode se concentre sur la réalité d’aujourd’hui et d’ici-bas.
Un récit propre à Luc
Luc est le seul évangéliste à décrire l’Ascension. Matthieu ignore complètement cet épisode, la finale longue de Marc, vraisemblablement écrite après l’œuvre double de Luc, mentionne brièvement que Jésus fut emporté au ciel (Mc 16,19) et Jean fait uniquement dire à Jésus qu’il devra monter vers le Père (Jn 20,17). Ce n’est donc pas en se référant aux autres évangiles que l’on arrive à mieux comprendre le récit de l’Ascension, mais c’est en demeurant dans le corpus littéraire de Luc et, plus particulièrement, en s’intéressant à la fin du premier tome de son œuvre (Lc 24).
En effet, le dernier chapitre de l’Évangile selon Luc présente de nombreux parallèles avec le début du livre des Actes : rappel des paroles de Jésus afin de comprendre la signification des événements présents ou à venir (Lc 24,7; Ac 1,5), présence de deux hommes en vêtements blancs (Lc 24,4; Ac 1,10), exhortation à ne pas quitter Jérusalem avant d’avoir reçu la promesse du Père (Lc 24,49; Ac 1,4), annonce de l’envoi en mission à toutes les nations jusqu’aux extrémités de la terre (Lc 24,47; Ac 1,8) et montée de Jésus vers le ciel (Lc 24,51; Ac 1,9-10).
Ni en bas, ni en haut
Ces deux parties de l’œuvre de Luc comportent aussi un nombre impressionnant de questions : onze au total (Lc 24,5.17.19.26.32.38.41; Ac 1,6.11). Or, toutes ces questions sont encadrées par celles des deux hommes en vêtements blancs (Lc 24,5; Ac 1,11). La première des deux questions – Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts? (Lc 24,5) est un appel lancé aux femmes à détourner leur regard loin du bas. En effet, dans l’Ancien Testament, le domaine des morts est un lieu situé dans les tréfonds de la terre (voir par exemple Gn 37,35). C’est là, dans les profondeurs, que les femmes cherchent Jésus, mais leur recherche est vaine, car Jésus ne se trouve pas dans le tombeau. La suite du récit révèlera que c’est au milieu des disciples qu’il sera possible de trouver Jésus (Lc 24,15.36). À l’inverse, la deuxième question posée par les deux hommes vêtus de blanc – Galiléens, pourquoi vous tenez-vous là, regardant vers le ciel? (Ac 1,11) – est un appel lancé aux Apôtres à détourner leur regard loin du haut, lieu de la présence divine partout à travers l’Ancien Testament (voir par exemple Ps 115,16). C’est là, en direction des hauteurs du ciel, que les Apôtres tentent d’apercevoir Jésus, mais leur recherche, à eux aussi, est vaine, car celui-ci est retourné auprès du Père. Les deux hommes assurent les Apôtres que Jésus reviendra cependant parmi eux, de la même manière qu’il fut emporté au ciel.
Ainsi, ces envoyés de Dieu interpellent les disciples de Jésus, et nous aussi aujourd’hui, à ne pas chercher le Christ dans la mort – ni la sienne, ni la nôtre – mais dans la vie. En effet, c’est parmi les vivants qu’on trouvera le Ressuscité. Ils nous exhortent aussi à ne pas perdre notre temps à tenter de voir le Christ dans sa gloire céleste, mais à se concentrer sur l’ici-bas, là où il reviendra. C’est sur la terre des vivants, dans notre relation à Dieu durant notre vie, dans notre contact avec les autres, dans notre partage communautaire, que doit se porter notre regard et notre action. Combien de personnes attendent malheureusement à tort de rencontrer Dieu et le Christ vivant uniquement au moment de leur mort? L’Ancien Testament témoigne de l’expérience d’Israël qui rencontre Dieu dans la réalité bien concrète de son histoire. Il en va de même dans le Nouveau Testament avec la découverte du Christ ressuscité. Il est à noter que les deux anges ne donnent pas d’ordre, ni aux femmes, ni aux Apôtres. Par le biais de questions, ils les invitent à discerner par eux-mêmes où ils doivent porter leur regard.
Une double assurance
Tout cela est bien beau, mais comment être guidé dans cette focalisation sur l’ici et l’aujourd’hui? Cette fois-ci, ce sont les différences entre la fin de l’Évangile selon Luc et le début du livre des Actes qui nous éclairent et nous fournissent une double caution. En effet, on observe d’abord que toutes les réactions négatives du dernier chapitre (24) de l’évangile – incompréhension (v. 4), peur (vv. 5.37), étonnement (v. 12), morosité (v. 17), stupéfaction (v. 22) et trouble (v. 38) – sont totalement absentes du premier chapitre du livre des Actes. On remarque plus précisément que toutes ces réactions problématiques s’effacent à partir du moment où Jésus explique les Écritures, aux disciples d’Emmaüs (24,27.32) et aux Apôtres (24,45). De manière plus précise, Jésus révèle qu’il devait souffrir afin de ressusciter pour que s’accomplisse tout ce que disent les Écritures à son sujet (24,25-27.44). La compréhension des Écritures est ainsi présentée comme une nécessité qui permet de passer d’un état de peur, d’incompréhension et de stupéfaction à une disposition favorable à l’accueil du Christ ressuscité, comme celle dans laquelle se trouvent les disciples d’Emmaüs en chemin et les Apôtres lors de l’Ascension. Ici, tout l’enseignement de Jésus est tourné vers le passé afin de comprendre le présent. Cet appel du Christ est aussi une invitation pour nous aujourd’hui à relire les Écritures afin de mieux comprendre le mystère de sa mort et de sa résurrection.
À l’inverse, le thème de l’Esprit, pourtant cher à Luc, est totalement absent du dernier chapitre de son évangile et n’est évoqué que dans le premier chapitre du livre des Actes (1,5.8). Jésus s’assure même, à la fin de l’évangile, de démontrer qu’il n’est pas un esprit (Lc 24,39). Alors que l’appel à comprendre les Écritures dans le dernier chapitre de l’évangile invitait le lecteur à se tourner vers le passé, voici qu’avec le retour du thème de l’Esprit au début du livre des Actes, tout est maintenant orienté vers le futur : le futur immédiat où, lors de la Pentecôte, les Apôtres recevront l’Esprit Saint (Ac 2,1-41), mais aussi le futur de toute l’Église dont les débuts sont racontés dans la suite du livre des Actes et qui se poursuit jusqu’à nous aujourd’hui. Cette annonce de la venue de l’Esprit pour le futur de l’Église nous permet aujourd’hui de tisser des liens avec les Apôtres qui ont bénéficié de la présence de Jésus jusqu’au moment de l’Ascension. Elle nous situe dans la même mouvance que celle amorcée avec les Apôtres, celle de la vie de l’Église.
Au centre de la croix
La lecture du dernier chapitre de l’Évangile selon Luc et du début du livre des Actes mettent en scène un Jésus qui est en mouvement. Des profondeurs du tombeau, où les femmes le cherchaient, il passe au monde des vivants, puis au monde céleste. Mais il s’arrête en chemin pour donner une double assurance à ses disciples. Ceux-ci peuvent regarder avec confiance du côté du passé en consultant les Écritures afin de mieux comprendre le mystère de sa résurrection et ils peuvent considérer le futur avec espérance car l’Esprit les guidera. Mais tout est centré sur l’ici et l’aujourd’hui. Comme pour les Apôtres au moment de l’Ascension, c’est au centre de cette croix formée par la rencontre du haut et du bas, du passé et du futur, que nous rejoint le Christ ressuscité.
Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).
Source : Le Feuillet biblique, no 2576. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.