L’aigle est associé à l’évangéliste Jean. (photo : Lawrence OP / Flickr / CC BY-NC 2.0)
Tous sont mes amis
Benoît Lambert | 6e dimanche de Pâques (année B) - 6 mai 2018
Demeurez dans mon amour : Jean 15, 9-17
Les lectures : Actes 10, 25-26.34-35.44-48 ; Psaume 97 (98) ; 1 Jean 4, 7-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
La période du Carême constitue un moment de préparation pour la fête de Pâques lorsque le Christ dévoile complètement son identité en mourant et, surtout, en ressuscitant. La période pascale qui suit dans le calendrier liturgique permet aux chrétiens et aux chrétiennes d’approfondir le contenu de cette révélation. La tradition attribue à l’évangéliste Jean le symbole de l’aigle. Son évangile montre une plus grande complexité que les autres retenus dans le Nouveau Testament. Il survolerait le mystère de Jésus comme un aigle dans le ciel. Plusieurs érudits considèrent même que cette œuvre trace la première théologie du mystère chrétien. Et certains extraits, comme celui de la Bonne Nouvelle de cette célébration où de multiples relations de causes à effets sont explicitées, constitue un véritable écheveau pas commode à démêler. Ce commentaire va tenter d’exécuter ce travail.
Un ami
Jésus a transmis sa doctrine à l’aide de paraboles qui utilisaient l’image du serviteur pour désigner l’être humain. Ceux-ci doivent obéir à un maître qui, dans quelques récits, se montre capricieux et autoritaire. Jésus métamorphose dans cette Bonne Nouvelle l’image du domestique et de son patron. D’abord, l’employeur n’exerce pas un pouvoir dominateur que l’on associe souvent à tort au Dieu unique de l’Ancien Testament. Le Sauveur se présente plutôt comme un supérieur qui aime ceux et celles qui lui sont confiés. Jésus va le nommer « Père ». Jésus ajoute que ce Père n'est pas seulement un Créateur qui ne se soucierait pas de sa progéniture. Il devient « abba », un paternel qui affectionne ses enfants et qui porte un amour infini à son Fils, le Ressuscité. Ce Père va même dévoiler, grâce au Christ, son plan de rédemption à ses enfants. Les êtres humains ne sont plus de simples pions ignorant la stratégie de leur supérieur. Ils sont qualifiés désormais d’amis, de collaborateurs invités à être des artisans de l’annonce de l’Évangile sur la terre.
L'amour
Les croyants et les croyantes entament désormais une amitié avec la Trinité. L’amour est d’ailleurs la caractéristique fondamentale de cette relation. Les premières communautés chrétiennes ont vite compris ce fait en méditant sur le passage terrestre de l’homme-Dieu. Ils y ont découvert que le Christ donnait constamment. Le Seigneur a redonné l’autonomie à des malades en les guérissant miraculeusement et il a fait le don ultime de sa vie pour réconcilier le genre humain avec Dieu. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Le modèle du Crucifié informe l’Église sur la nature de l’amour divin. Ce n’est pas un sentiment instable, qui s'effrite avec le temps comme l’affection humaine. L’amitié divine se situe au niveau le plus profond des personnes. Elle participe à l’amour existant entre le Père et le Fils. Plusieurs diront que l’Esprit Saint constitue ce lien amical. Cet Esprit pousse les gens à donner inconditionnellement. Il permet aux enfants de Dieu de pardonner aux ennemis et de prier pour eux; il motive certains fortunés à se départir de leur richesse au profit des pauvres. Cet amour produit un fruit bien particulier : la joie. Il faut répéter que cet état spirituel diffère de l’appréciation positive des plaisirs humains. La joie chrétienne signifie paix et sérénité. Un disciple du Christ est joyeux parce qu’il possède la conviction que son Créateur l’aime et que son Fils prépare dans le Royaume une place pour ses frères et sœurs qui appartiennent, grâce à Lui, à la grande famille des enfants de Dieu.
Le commandement
Jésus a toujours rappelé que la vie chrétienne débute par un choix : toutes les personnes ont été choisies par le Père. Par la suite, cette élection initiale exige une réponse. L’être humain doit accepter de recevoir l’Esprit, l’amour du Père. Dans un vocabulaire qui peut choquer la sensibilité contemporaine, Jésus parle d’obéissance à Dieu pour désigner cette ouverture du cœur humain à l'amour divin. Ce terme « obéissance » provoque un malaise, car, dans la mentalité moderne, il représente la soumission et la domination. Aujourd'hui, les gens doivent devenir les maîtres uniques de leur destin. Personne ne doit décider pour eux. Toute l’éducation moderne vise à développer des personnes autonomes qui n’ont pas besoin des autres pour marcher dans la vie. La foi chrétienne soutient une proposition contraire. L’abandon à l’Autre signifie l’épanouissement personnel. En effet, l’Esprit donné par le Christ fait grandir l’homme et la femme et les conduit à la pleine réalisation de leur potentiel. Cet acquiescement à accueillir le Christ dans sa conscience est même la condition nécessaire pour accéder au paradis. En affirmant que le péché contre l’Esprit est le seul qui ne puisse être pardonné, Jésus confirme cette exigence.
Après avoir laissé l'amour du Christ pénétrer leur intériorité, les chrétiens et les chrétiennes sont invités à aller plus loin. Ils ne doivent pas conserver égoïstement la sérénité produite par l’Esprit. Ils doivent plutôt diffuser cette paix en donnant gratuitement, avec un total désintéressement comme le Christ a donné sa vie.
L’objet de l'amour
La première lecture (Ac 10,25-48) présente l’objectif du don de Dieu : l’humanité dans son ensemble. L’amour de Dieu ne souffre aucune discrimination. Race, nationalité, sexe, classe sociale ne sont pas des critères pour la Trinité. Pierre a constaté ce fait lorsqu’un païen, une personne qui n’était pas juive, a parlé en langues. L’Esprit avait envahi son âme. Les Israélites n’étaient donc pas les seuls à pouvoir être sauvés!
Il faut rappeler le contexte de l’épisode raconté. Jésus était juif et il avait respecté les coutumes juives qui favorisaient l’épanouissement humain. Les premières communautés chrétiennes estimaient logiquement qu’il fallait intégrer le modèle judaïque pour être sauvé. Paul va changer cette mentalité. Le salut est avant tout spirituel. En recevant l’Esprit Saint et en le partageant avec toutes les personnes de bonne volonté, les gens sont sauvés. Les rites et la liturgie qui traduiront dans la sphère humaine cet amour divin sont secondaires. Une première rencontre de responsables ecclésiaux à Jérusalem raconté dans les Actes des Apôtres va appuyer la position de Paul. Avoir compris adéquatement ce point au fil des siècles aurait permis d’éviter des querelles stériles et, parfois, violentes entre chrétiens. Depuis plusieurs décennies, différentes familles chrétiennes tentent de discerner l’essentiel et l’accessoire. Le mouvement œcuménique est né et il continue d’exister. Il faut continuer de se tourner vers le Ressuscité qui est le seul capable de nous guider vers la Vérité. Le pape François encourage constamment cette recherche qui mènera vers une seule foi, comme ses initiatives de dialogue avec les luthériens, ou de visite à des patriarches orthodoxes. Cette tâche de réconciliation est d’autant plus urgente dans un monde où les affrontements entre religions font de nombreuses victimes innocentes.
Détenteur d’une maîtrise ès arts (théologie) de l’Université Laval, Benoît Lambert a rédigé des articles et des brochures pour plusieurs revues religieuses (Vie liturgique, Revue Notre-Dame-du-Cap). Il collabore au Feuillet biblique depuis 1995.
Source : Le Feuillet biblique, no 2575. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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