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4e dimanche ordinaire A - 29 janvier 2017
 

Un portail magistral...

James Tissot, The Beatitudes Sermon, Musée de Brooklyn, c. 1890

James Tissot, The Beatitudes Sermon, Musée de Brooklyn, c. 1890

 

 

Le sermon sur la montange : introduction : Matthieu 5, 1-12
Autres lectures : Sophonie 2, 3; 3, 12-13; Psaume 145(146); 1 Corinthiens 1, 26-31


Les Béatitudes offrent une porte d’entrée majestueuse au premier grand discours 1 de Jésus dans l’Évangile selon Matthieu. En regard de l’histoire religieuse universelle, nous voilà devant un texte majeur de l’humanité ! Une pièce magnifique, mais dont la beauté sibylline laissera cependant plus d’un prédicateur perplexe. Qu’en dire ? Comment ce texte est-il reçu autant par ces pauvres que Jésus déclare heureux, que par ceux qui, du fait de leur situation plus favorable, semblent apparemment écartés de ce Royaume divin ? Oui ce texte, difficile à aborder, prête à des interprétations diverses, voire à des dérives.

Un écueil à éviter…

     Premier écueil à éviter dans l’interprétation des Béatitudes : ne confiner qu’à l’au-delà ce bonheur promis par Jésus. Ce faisant, on donnerait presque raison à un Karl Marx qui disait que la religion (entendre surtout le christianisme) est l’opium du peuple… Selon lui, à force de promettre un bonheur dans l’au-delà aux masses pauvres (prolétaires), on les endort, on les pousse à l’évasion de ce monde, à accepter leur sort sans essayer de lutter pour plus de justice. C’est méconnaître l’ensemble du message de Jésus qui enjoint ses disciples, au contraire, à un engagement compatissant et concret en vue d’une plus grande humanisation. Marx aurait-il lu Mt 25,31-46? Isoler quelques versets de l’ensemble des évangiles pour justifier une idéologie s’avère souvent catastrophique. Juste dans le texte qui nous concerne, plusieurs de ces béatitudes incitent plutôt à un agir (agir de miséricorde, de justice et de paix) plutôt qu’à une acceptation immobiliste, dans l’attente des biens du ciel, d’un sort qu’on n’a pas choisi.

Découpons l’évangile…

     L’évangile de ce dimanche est déjà plus compréhensible lorsqu’on le subdivise pour se l’approprier. Des neuf béatitudes que nous entendrons ce dimanche, les huit premières (Mt 5,3-10) forment un ensemble unifié et délimité par une inclusion, c’est-à-dire par l’utilisation de la même formule : le Royaume des cieux est à eux entre la première et la huitième. La neuvième est donc à considérer à part (Mt 5,11-12), plus élaborée et brisant la structure binaire symétrique des huit premières, elle est aussi la seule qui s’adresse aux disciples à la deuxième personne du pluriel. Jésus a très bien pu prononcer cette neuvième béatitude dans un autre contexte, mais Matthieu, par association d’idées (motif de la persécution de la huitième) a cru bon de la rattacher à l’ensemble original.

     Subdivisons encore un peu. Nous observons une seconde inclusion par le retour du motif de la justice aux versets 6 et 10, soit à la fin de chaque séquence de quatre béatitudes. Ce qui découpe distinctement les béatitudes en trois groupes (vv. 3 à 6, vv. 7 à 10 et vv. 11-12) que nous aborderons séparément.

Heureux les cœurs disposés… (Mt 5,3-6)

     Dans la série des quatre premières béatitudes, Jésus déclare paradoxalement « heureux » ceux qui vivent des situations de privation (les pauvres, les doux, ceux qui pleurent et les affamés/assoiffés de justice). Ces situations disposent le cœur de ceux qui les vivent à recevoir les dons de Dieu. Il ne faut donc pas y voir l’exaltation par Jésus de la misère humaine, Dieu ne se plaira jamais de voir certains de ces enfants souffrir - qu’on se le redise toujours ! C’est la perspective de l’établissement du Royaume des cieux qui rend soudainement heureux leur sort. Cet « heureux » est donc à lire au futur, car il y a bel et bien, dans le message de Jésus, une dimension eschatologique qui promet un renversement des situations dans le Royaume qu’il est venu inaugurer 2. Mais cet « heureux » est aussi à lire au présent en raison de la proximité divine au sort des malheureux, proximité que le judaïsme avait depuis longtemps découverte (Ex 3,7 ; Ps 34,19 ; Ps 51,19 ; Is 57,15 ; 61,1-3), mais qui se concrétise davantage avec l’arrivée d’un Dieu qui se fait l’un des nôtres en Jésus Christ.

« Heureux » dans l’agir… (Mt 5,7-10)

     Les quatre béatitudes qui suivent félicitent ceux qui agissent d’une manière digne de Dieu. Ces comportements – comme les dispositions du cœur louées dans la première série – associent leurs auteurs plus étroitement à Dieu. Est félicité d’abord l’agir de miséricorde, que le judaïsme et le christianisme comprennent de la même façon comme la capacité de pardonner, mais aussi de venir en aide au prochain (œuvres de miséricorde corporelles ou spirituelles). Le cœur pur est celui qui agit dans la droiture sans calcul, sans duplicité, dans le seul intérêt de faire le bien. Et l’artisan de paix est l’agent d’unité qui cherche à établir la réconciliation entre les membres de la communauté. Cet agir de miséricorde, de droiture et de paix est une recherche de ce que Matthieu désigne de façon générale par l’expression « justice » (huitième béatitude) ; justice pour laquelle les fils du Royaume, pour l’avoir recherchée, peuvent être persécutés. Le bien dérange ceux qui s’accommodent et bénéficient des situations d’injustice affligeant l’humanité, et, mystérieusement les chercheurs de Dieu en paient souvent le prix !

« Heureux » même dans la persécution… (Mt 5,11-12)

     C’est ainsi que, pour développer davantage, Matthieu joint à l’ensemble cette neuvième béatitude, appel plus direct du Christ à ses disciples qui, comme lui et à cause de lui, connaîtront persécution, insulte et calomnie. Ne niant pas la possibilité que Jésus ait pu prononcer lui-même cette neuvième béatitude (peut-être vers la fin de sa vie, alors qu’il voyait la croix se profiler à l’horizon) pour exhorter les disciples à la persévérance dans les épreuves à venir, il reste que la situation évoquée vise plus certainement le temps des premiers auditeurs de l’évangile de Matthieu 3, devant vivre leur foi et annoncer l’Évangile dans une fin de premier siècle déjà hostile au christianisme naissant. Les disciples pourront se trouver « heureux » de ces souffrances endurées à cause de Jésus non seulement en raison de la récompense céleste future, mais aussi déjà ici-bas, à travers une joie mystique, fruit d’une identification, d’une parenté de sort avec leur maître. Quelques témoins du Nouveau Testament incarnent le paradoxe de cette béatitude vécue dans la douleur (voir par ex : Ac 5,41; Rm 8,35-39 ; 2 Co 4,7-11 ; Ph 3,10-11 ; 1 P 4,13 ; Ap 1,9).

Bref, « Heureux » dans l’imitation du Maître

     Ce portail majestueux - tous les commentateurs des Béatitudes vous le diront - c’est le portrait même de Jésus dans son être (4 premières béatitudes) et dans son agir (4 suivantes). Ce portrait, c’est aussi un programme. Le programme de ceux qui veulent communier au bonheur que Dieu propose à l’humanité, en se mettant simplement à l’école de ce maître doux et humble de cœur (Mt 11,28-30).

1 Appelé couramment « Sermon sur la montagne », s’étalant sur trois chapitres de l’évangile (Mt 5-7) ; les Béatitudes servent d’exorde à ce grand discours.

2 La première béatitude en Mt parle de « pauvres de cœur », c’est-à-dire de cette pauvreté fondamentale que l’homme ressent face à l’univers qui l’entoure et face à Dieu dont il est dépendant. Contrairement au texte parallèle des Béatitudes chez Luc (Lc 6,20-26), les mieux nantis ne sont, par conséquent, pas écartés du Royaume des cieux puisque tout homme peut expérimenter cette état d’humilité.

3 On date l’évangile de Matthieu vers l’an 80-85 de notre ère. À cette époque, les chrétiens sont déjà persécutés sur deux fronts : le judaïsme officiel les a déjà exclus des synagogues (vers 80) et les persécutions de la part de l’Empire romaine sont déjà commencées.

 

Patrice Bergeron, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2518. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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