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3e dimanche ordinaire A - 22 janvier 2017
 

Le rassembleur de toutes les nations

Chef d'œuvre de l'orfèvre et joailler parisien Joseph Chaumet (1852-1928)

Chef d'œuvre de l'orfèvre et joailler parisien Joseph Chaumet (1852-1928)
représentant les principales scènes de la vie de Jésus,
musée eucharistique du Hiéron, Paray-le-Monial, Saône-et-Loire, France.

 

 

Première prédication de Jésus : Matthieu 4, 12-23
Autres lectures : Isaïe 8, 23 - 9, 3; Psaume 26(27); 1 Corinthiens 1, 10-13.17

 


Pour bien comprendre un passage de la Bible, il est souvent important de le replacer dans son contexte. C’est doublement le cas avec le texte de Mt 4,12-23, puisqu’il faut replacer cette péricope d’abord dans le contexte du début de l’Évangile de Matthieu, puis comprendre la citation du livre d’Isaïe qu’elle contient en la situant, pour sa part, dans le cadre historique bien précis dans lequel intervient ce grand prophète.

De solitaire à solidaire

     À première vue, ce passage de l’Évangile de Matthieu apparait comme une simple suite d’événement qui ont uniquement comme but de narrer les débuts du ministère de Jésus. On y raconte que Jésus, après avoir appris que Jean avait été livré, décide de se retirer en Galilée. Il s’installe à Capharnaüm, puis appelle les quatre premiers disciples et guérit toutes les maladies. Cependant, remplacer ce passage en suivant l’ordre du récit de Matthieu, permet de réaliser qu’il décrit un moment charnière du ministère de Jésus, car le Jésus des chapitres qui précèdent ce passage est très différent de celui des chapitres qui suivent.

     En effet, lorsqu’on porte attention aux événements qui se sont déroulés avant, on remarque que Jésus était toujours seul ou, du moins, évoluait dans le cadre très privé de la famille. Jésus est un messie discret dont l’enfance se déroule sous le signe du secret. Il est par la suite un personnage solitaire qui se présente à Jean Baptiste afin de recevoir le baptême. Il n’est pas accompagné par sa famille, ses amis ou ses disciples. Il vient seul auprès de Jean. Le chemin de Jésus et celui de Jean se croisent, mais ils ne font pas route ensemble (Mt 3). L’isolement de Jésus est encore plus flagrant dans l’épisode qui suit, alors qu’il est emporté au désert par l’Esprit afin d’être tenté par le diable (Mt 4,1-11). Le texte mentionne qu’après le départ du diable, des anges servaient Jésus, mais c’est tout de même un Jésus solitaire qui fait face aux tentations de Satan. Nous avons donc affaire à deux récits consécutifs qui rapportent des rencontres individuelles qui se soldent, à chaque fois, par Jésus qui continue son chemin seul. Il ne suit ni la voie de Jean, ni celle du diable. Jésus n’est pas un suiveur mais le sujet actif et le meneur d’une destinée qui lui est propre.

     La situation est fort différente par la suite, dans le passage qui nous intéresse. Dès son arrivée en Galilée, Jésus s’empresse d’appeler les deux premiers disciples, Pierre et André (Mt 4,18-20), puis deux autres, Jacques et Jean (Mt 4,21-22). Chacun de ces deux appels se conclut de la même manière et par le même verbe : ils le suivirent (Mt 4,20.22). Mais le mouvement d’agglomération ne s’arrête pas là. Enseignant dans les synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie, voici que sa renommée s’étend dans toute la Galilée, jusqu’en Syrie au nord, jusqu’à Jérusalem au sud et même au-delà du Jourdain à l’est (Mt 4,23-25). Le résultat de ces actions est identique et le même verbe est employé à nouveau : des foules nombreuses « le suivirent » (Mt 4,25).

     La table est alors mise pour le Sermon sur la montagne qui prend place aux chapitres suivants et où Jésus, tel un nouveau Moïse, grimpe sur la montagne, non pas pour recevoir la Loi, mais pour la transmettre au peuple (Mt 5-7). Le Sermon sur la montagne n’est donc pas le discours d’un prédicateur solitaire, mais l’enseignement d’un meneur vers lequel les foules affluent. C’est le message d’un personnage solidaire qui vient parfaire cette Loi qui a pour but de guider le bon fonctionnement du peuple de Dieu en tant que communauté.

     Cette péricope marque donc clairement le passage de la vie privée et individuelle de Jésus à son ministère public et communautaire. En quelques versets, Jésus, figure solitaire qui n’emboîte le chemin de personne, devient un personnage rassembleur que l’on suit. C’est lui qui est au-devant, pas Jean Baptiste et encore moins le diable; et c’est lui que les foules suivent afin d’être guéries, puis instruites au sujet de leur vivre ensemble.

Un message d’espoir tourné vers les nations

     La citation tirée du livre d’Isaïe éclaire ce passage de l’Évangile de Matthieu et permet de voir que ce mouvement commencé par Jésus est beaucoup plus large qu’un simple ministère en Galilée. Par cette citation, Matthieu définit la nature et détermine la portée de la mission que Jésus entame dès le verset suivant. Or, pour bien saisir la nature et la portée de cette mission, il faut comprendre le contexte de la citation d’Isaïe.

     Le prophète Isaïe transmet ici un oracle de Dieu lors de la guerre Syro-Éphraïmite. Au milieu du 8e siècle av. J. C., le royaume d’Israël avait cru bon faire une coalition avec Damas et plusieurs petits royaumes vassaux des alentours afin de se défaire du lourd joug de l’Assyrie qui pesait sur eux. Ils croyaient pouvoir prendre avantage d’un empire affaibli. Mais le nouveau roi assyrien, Téglath-Phalasar III, s’est avéré être un adversaire beaucoup plus habile et puissant que prévu. Avec son armée, il ravage Israël, tue son roi, déporte une partie de la population des terres de Zabulon et de Nephtali et impose au pays un tribut encore plus lourd que le précédent.

     Les paroles du prophète s’avèrent donc être un message d’espoir pour ceux qui demeuraient dans la région sombre de la mort. Pour eux, une grande lumière s’est levée (Is 9,1; Mt 4,16). Matthieu insère donc le ministère que Jésus entreprend dans cette optique. Jésus, tel une lumière dans les ténèbres, est venu apporter consolation et libération aux opprimés et à ceux qui souffrent.

     Mais il y a plus. Les territoires au sujet desquels prophétise Isaïe étaient des régions traversées par le chemin appelé « route de la mer » ou via maris (Is 8,23; Mt 4,15), la plus importante route du Proche-Orient ancien, qui reliait l’Égypte à la Mésopotamie. Toutes les riches caravanes commerciales, mais aussi toutes les grandes formations militaires ont emprunté cette grande artère antique, faisant ainsi de Zabulon et de Nephtali des territoires cosmopolites fréquentés par de nombreux étrangers. L’implantation de populations assyriennes à la fin du 8e siècle accentua davantage le caractère allogène de la région. Cette réalité persistait encore à l’époque de Jésus, alors que mariages mixtes, culture grecque et gouvernement romain en faisait une région fortement cosmopolite. Ainsi, lorsque Matthieu cite le prophète Isaïe, il situe le coup d’envoi de la mission de Jésus dans un contexte d’ouverture sur le monde. Jésus n’entreprend pas son ministère auprès des cercles juifs conservateurs de Jérusalem, mais auprès de ces héritiers des antiques territoires du nord traversés par la « route de la mer ». On comprend donc que le message livré par Jésus apporte ne se limite pas aux quatre disciples qui l’accompagnent, ni aux foules qui le suivent, mais à tous les peuples de la terre. C’est le caractère universel du ministère de Jésus que Matthieu évoque lorsqu’il cite le prophète Isaïe.

Le Dieu de l’histoire

     Les oracles des prophètes sont toujours prononcés dans des situations historiques bien précises. L’Ancien Testament révèle en ce sens que Yahvé n’est pas un simple Dieu de la nature ou une quelconque entité qui appartiendrait à une autre sphère d’existence indifférente par rapport à l’humanité. Au contraire, tout l’Ancien Testament témoigne d’un Dieu qui s’intéresse entièrement à l’être humain, qui vient à la rencontre de l’humanité et s’investit totalement dans la relation qu’il entretient avec elle. Cet engagement entier se manifeste en plénitude avec le Fils. En employant cette citation d’Isaïe, l’évangéliste Matthieu inscrit le ministère de Jésus dans la longue histoire, parfois douloureuse, mais toujours éventuellement joyeuse, du peuple de Dieu. Il vient à tous sans exception dans l’expérience de vie unique qui est la leur. À nous maintenant de faire comme les premiers disciples, les foules nombreuses et les nations vers lesquelles se tourne son message et d’emboîter le pas au rassembleur de toutes les nations.

 

Francis Daoust

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2517. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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