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Dimanche des Rameaux C - 20 mars 2016
 

La passion de la miséricorde

Institution de l'Eucharistie

Institution de l'Eucharistie par Juste de Gand datant de 1473-1474, galerie Nazionale delle Marche, Italie.

 

 

Institution de l'Eucharistie : Luc 22, 14 - 23, 56
Autres lectures : Isaïe 50, 4-7; Psaume 21(22); Philippiens 2, 6-11

 

Les lendemains du décès d’un être cher sont souvent consacrés, par les proches, à raconter les évènements entourant les derniers jours de la vie du défunt à ceux qui viennent offrir leurs condoléances : les paroles ultimes échangées, les complications de santé, l’état d’esprit au moment de l’agonie, etc. Et, à raconter les mêmes faits plusieurs fois en quelques jours, il se produit que la version des évènements se figent rapidement dans une même séquence et dans l’usage des mêmes mots. C’est un peu ainsi que naissent les traditions orales. De se raconter les derniers moments nous aident à apprivoiser le départ d’un être aimé, après quoi, plus largement, nous faisons mémoire du reste de sa vie.

Les premières sources des évangiles

     Ainsi, aux lendemains de la mort de Jésus, ce que les témoins de ces évènements durent se raconter en premier lieu, ce sont précisément les faits entourant sa passion et sa mort (Lc 24,18). On devine que ces témoignages sur la passion et mort du Christ se sont figés très vite en des récits consensuels – d’abord oraux puis mis par écrit pour des fins catéchétiques ou missionnaires - et que ceux-ci constituent sans doute les sources les plus anciennes de nos évangiles. Cette fixation rapide du récit de ces évènements expliquerait la très grande similitude des quatre recensions de la passion qu’offrent nos évangiles, les évangélistes ayant disposé des mêmes traditions pour écrire leur version. Devant une telle similitude, la moindre variation devient éloquente car révélatrice de la personnalité, de la vision, des intentions et de la communauté destinataire de chacun des évangélistes!

Au seuil de la Grande Semaine

     Les derniers jours de la vie de Jésus, voilà ce que la liturgie de ce dimanche des Rameaux et de la Passion nous raconte en deux tableaux de l’évangéliste Luc : l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et sa passion. Ce dimanche ouvre la Grande Semaine durant laquelle la passion de Jésus nous sera racontée une seconde fois, cette fois par Jean, lors de l’office du Vendredi Saint.

     Pour un évangile aussi long – je me confinerai au récit de la passion -  notons au passage les touches originales de Luc, ce en quoi sa version de la passion se distingue.

L’acteur invisible de la Passion selon Luc

     Tout comme l’évangéliste Jean (Jn 13,2.27), Luc entrevoit que, derrière les évènements de la passion de Jésus, se cache la présence agissante d’un acteur invisible : Satan. Celui qui, au début de l’évangile, s’était écarté de Jésus jusqu’au moment fixé (Lc 4,13) suite à sa triple charge infructueuse contre le Fils de Dieu (récit des tentations de Jésus), le voilà réapparaissant au début de la passion (Lc 22,3 ; verset absent de l’extrait de ce dimanche). Des mentions de l’influence diabolique parsèment la première partie du récit lucanien (Lc 22,31.53). Mais pour Luc, cette domination apparente des forces maléfiques est temporaire et surtout, elle est permise par Dieu pour que se réalise ce qui a été fixé selon le plan divin (Lc 22,22.37.53) : le dernier mot sera la victoire totale de Dieu par la résurrection de Jésus 1.

Les vrais coupables de la mort de Jésus

     Là où le récit de la passion de Luc diffère le plus de celui des autres évangélistes (surtout les versions de Matthieu et Marc), c’est au niveau des comparutions de Jésus devant les pouvoirs religieux et civil. Ainsi la comparution nocturne de Jésus (en Matthieu et Marc) devant le Sanhédrin devient, plus réalistement, une comparution diurne dans la version de Luc. Celle-ci est plus sobre aussi, faisant allusion aux faux témoignages tenus contre Jésus, mais sans les faire entendre (Lc 22,71) et ne débouchant sur aucune condamnation à mort de la part du Conseil qui se contente d’emmener Jésus à Pilate sous de faux prétextes (Lc 23,2).

     Autre différence, Luc rapporte deux comparutions de Jésus devant le pouvoir politique : outre celle devant Pilate, Jésus comparaît également devant Hérode, comparution inconnue des autres évangélistes. Or paradoxalement, c’est le pouvoir civil, seule instance capable de condamner à la peine de mort, qui déclare Jésus innocent. Par trois fois, Pilate affirmera l’innocence de Jésus (Lc 23,4.14.22). Il voudra le faire châtier, non pas comme prémices à la peine capitale (pour affaiblir le condamné et accélérer sa mort en croix), mais pour lui sauver la vie. Hérode de même ne trouvera en Jésus aucun motif de condamnation (Lc 23,15). Ce n’est que de guerre lasse, dirait-on, que Pilate cède à la double demande des représentants religieux : relâcher Barabbas et faire crucifier Jésus.

     Au terme de ces différentes comparutions, on comprendra la volonté de Luc de désigner, selon lui, les vrais coupables de la mort de Jésus : les autorités juives en portent l’odieux.

Les traits miséricordieux de Luc

     Mais ce qui est le plus remarquable de la passion selon Luc, c’est que, derrière chaque scène, se discernent les doux traits de l’évangéliste de la miséricorde! Luc, dans sa manière de raconter, fait souffler sur la passion de Jésus une brise de douceur, de repentance, de miséricorde. Donnons quelques exemples.

     Son regard sur Judas est le moins sévère des quatre évangélistes (comparez Mt 26,24 ; Mc 14,21 et Lc 22,22). Luc laisse même le traître prendre part au repas de la Nouvelle Alliance (institution de l’eucharistie) avant de sortir dans le but de livrer Jésus, place que les autres évangélistes lui refusent.

     Luc, dans son grand respect des Apôtres, affiche toujours une certaine pudeur à les montrer sous un mauvais jour. Aussi, lors de la prière de Jésus au mont des Oliviers, Luc transforme le sommeil coupable des disciples (Mt 26,40 et Mc 14,37) en « sommeil de tristesse », solidaires qu’ils sont de Jésus (Lc 22,45).

     Lors de son arrestation, le « Jésus » de Luc est le seul qui prend la peine de réparer l’acte de violence d’un des disciples, guérissant l’oreille tranchée de ce soldat du grand prêtre (Lc 22,51).

     Les foules qui, influencées par les autorités juives, réclamaient à grands cris la mort de Jésus auprès de Pilate (Lc 23, 18.21.23) deviennent vite repentantes devant le crucifié, se frappant la poitrine (Lc 23,48). Les injures et les moqueries, dans la version de Luc, ne sont proférées que par les chefs religieux ou les soldats et non par les foules (Lc 23,35-37).

Du sommet de la croix, le sommet de la miséricorde

     Mais c’est vraiment du Christ en croix, dans le récit lucanien de la passion, que la miséricorde atteint son sommet ! Que des mots sauveurs !

     Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font (Lc 23,34). Une miséricorde qui va jusqu’au bout de l’amour, un pardon divin à imiter.

     Amen, je te le déclare, aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis (Lc 23,43). Une audace du bon larron à imiter, un « aujourd’hui » de miséricorde à accueillir sur soi.

     Père, entre tes mains je remets mon esprit (Lc 23,46). Un acte de confiance totale dans le Père des miséricordes, un abandon à imiter.

     Et s’il est vrai que les dernières paroles d’un agonisant sont souvent celles que ses proches retiennent pour le reste de leurs jours parce qu’elles les aident à vivre, combien plus faut-il ne jamais laisser les dernières paroles de Jésus s’estomper de nos cœurs de disciples! En cette année de la miséricorde, qu’elles résonnent encore plus fort en nos cœurs pour nous ancrer toujours davantage à son Amour.

_____________

1 L’évangéliste Luc (autant dans son Évangile que dans les Actes des Apôtres) a le souci constant de démontrer que Jésus accomplit les Écritures (Lc 24,25-27).

 

 

Patrice Bergeron, ptre

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2482. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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