INTERBIBLE
Au son de la cithare
célébrer la paroleintuitionspsaumespsaumespsaumes
off Nouveautés
off Cithare
off Source
off Découverte
off Écritures
off Carrefour
off Caravane
off Scriptorium
off Artisans

 

 
Célébrer la Parole

 

orant

Imprimer

5e dimanche de Carême C - 13 mars 2016
 

« Moi, je ne juge personne »

Le Christ et la femme adultère, Lucas Cranach l'Ancien

Le Christ et la femme adultère, Lucas Cranach l'Ancien

 

 

La femme adultère : Jean 8, 1-11
Autres lectures : Isaïe 43, 16-21; Psaume 125(126); Philippiens 3, 8-14

 

Le récit de ce dimanche, le « cas » de la femme adultère, est une sorte de rescapé. On le lit dans l’Évangile de Jean, mais il est très proche du livre de Luc par son style, son vocabulaire et surtout son thème de la miséricorde. Pensons aux paraboles de Luc ces deux derniers dimanches: le vigneron patient avec le figuier stérile et le père bouleversé de joie et de compassion par le retour du fils. Les spécialistes sont unanimes : ce récit a été ajouté après coup dans Jean. Dans les manuscrits anciens, Il est tantôt dans Luc, tantôt dans Jean, et tantôt nulle part! C’est donc un récit rescapé qui a failli être perdu. Merci à ces copistes fidèles qui l’ont transmis, conscients de son réel enracinement dans la pratique de Jésus. Les mésaventures de ce texte illustrent peut-être la réticence de divers milieux chrétiens devant le pardon offert à une femme adultère. On peut tous accueillir positivement le pardon de Dieu révélé en Jésus, mais les Églises ont toujours eu quelques catégories de pécheurs pour qui on trouve que le pardon n’est pas une si bonne idée... Ça a souvent concerné les femmes. Et nous? Avons-nous des catégories de gens qu’on n’aimerait pas retrouver dans ce genre de récit? La question est vraiment d’actualité avec l’année de la miséricorde que le pape François nous propose à tous.

Le procès de Jésus

     La situation de départ paraît gratifiante pour Jésus: la foule vient à lui dans le Temple et l’écoute enseigner. Mais juste avant (Jean 7,40-52), tous les acteurs du récit sauf la femme ont déjà été positionnés. C’est une foule divisée : certains fascinés par Jésus, d’autres perplexes. L’opinion des pharisiens est claire : on doit l’arrêter car il trompe les gens. À leurs yeux, la foule se laisse facilement duper; elle est disqualifiée d’avance car elle ne connaît pas la Loi!

     Ce contexte éclaire bien le projet des pharisiens: forcer Jésus à affaiblir sa crédibilité, pour que ces ignorants comprennent enfin! Face au cas proposé, il devra contredire soit Moïse soit lui-même et sa pratique d’ouverture à tous, incluant les pécheurs. Ainsi son cas sera clair et les gens pourront en juger par eux-mêmes. La femme et sa faute ne sont que l’outil du piège, l’objet d’un débat théorique et stratégique. Le contexte élargit donc finement le regard du lecteur : la femme accusée et mise en jugement représente une sorte d’écho de Jésus. C’est lui, l’accusé qu’il faut juger; et lui qu’on voudra lapider (10,31). Que la femme soit mise à mort importe peu à ceux qui l’accusent. La mort de Jésus est l’enjeu véritable.
 
     Ce contexte de violence latente devrait nous prémunir contre le petit sentiment de triomphe que suscite en nous la finale: on se réjouit trop vite d’une victoire de Jésus, dont la brillante stratégie humilie publiquement ses adversaires en les forçant à s’avouer pécheurs. C’est oublier que le Fils est envoyé non pour juger mais pour sauver (3,17). Évitons d’aller nous mêmes accuser et juger les accusateurs.

La femme objet

     Prétexte au vrai procès, la femme est amenée là comme un objet sans parole. Son cas est clair : selon Lv 20,10 et Dt 22,22 les partenaires d’un adultère seront mis à mort. « Surprise en adultère » la femme est pourtant seule ici. Où est son amant? Les accusateurs sont-ils plus indulgents envers lui? Mais l’absence du complice leur importe peu : il ne s’agit pas vraiment de juger les coupables mais de coincer Jésus dans un débat de principe.

     En réponse il se baisse et griffonne du doigt sur le sol. On a beaucoup spéculé sur ce que Jésus écrit, mais le texte n’en dit rien. J’avoue être davantage frappée par le mouvement de Jésus, que le récit va répéter. Ce mouvement le place en position basse devant ses adversaires, position certes moins menaçante, qui refuse l’affrontement. Un body language éloquent, peut-être  efficace pour désamorcer la violence latente de la situation, ou pour amener ailleurs les agresseurs camouflés en juges.

     Offerte entre ces deux abaissements, la réponse de Jésus rappelle un peu la Loi : ceux dont le témoignage fonde une condamnation à mort doivent lapider en premier (Dt 17,6-7). Dénoncer quelqu'un est une chose, mais le tuer de sa propre main en est une autre! On ne devient pas si facilement un meurtrier.

Tuer le pécheur? ou libérer du péché tueur?

     Jésus introduit un autre critère: doit tuer en premier celui qui peut sans risque être lui-même jugé. La compétence passe ici du savoir, sur la Loi et sur la faute de l’autre, au faire, i.e. à l’obéissance personnelle à la Loi. Du coup, on vient de perdre les simplismes abusifs et rassurants, avec lesquels on classe les gens en bons et mauvais. De plus, on est délogé du terrain impersonnel où « je » n’a rien à décider car « la loi c’est la loi ». Et délogé aussi des généralités de principe, on est renvoyé au personnel et au particulier.

     On « perd »? On est « délogé »? Ou on est libéré? Tout dépend de ce qu’on attend de la Loi. Jésus ne l’invalide pas, ni ici ni ailleurs. Mais il refuse qu’elle soit une prison pour les gens, une source de peur et de mort. Ils ont peur, ceux qui cherchent à l’accuser. Peur que Jésus affaiblisse leur influence sur le peuple? Ou peur de sa vérité qui rend libre? (Jn 8,32) Ou peur secrètement du Dieu qu’on ne rencontre qu’à travers la Loi, ce juge face auquel on ne sera jamais vraiment sans péché? En ce lieu où, effectivement, le péché peut nous tuer. Il me semble que la parole de Jésus dit ce que son corps fait en s’abaissant: elle ne les menace pas mais les libère de ce tribunal permanent. Et de la même manière qu’elle libère la femme : sa parole ne juge pas mais rappelle la miséricorde de Dieu, dont tous ont besoin.

     Ensuite, à travers la femme, Jésus convoquera chacun comme sujet responsable de ses actes : Va, ne pèche plus. Sans mépris ni agressivité, mais en douceur et en vérité, Jésus agit bien alors comme le Fils envoyé non pour juger mais pour sauver.

Pour aller plus loin...

Lire le contexte qui éclaire ce récit, Jn 7,40-52 : Dans la foule ayant entendu ces paroles, plusieurs disaient : Vraiment, voici le prophète! D'autres disaient : C'est le Messie! Et d'autres : Le Messie vient-il de Galilée? L'Écriture ne dit-elle pas qu’il vient de la descendance de David? et de Bethléem, le village de David? Ainsi la foule se divisa à son sujet. Certains d'entre eux voulaient le saisir, mais personne ne mit la main sur lui. Donc les gardes revinrent vers les grands prêtres et les Pharisiens, qui leur dirent : Pourquoi ne l'avez-vous pas amené? Ils répondirent : Jamais homme n'a parlé comme lui! Les Pharisiens répliquèrent : Vous êtes-vous laissé égarer vous aussi? Y a-t-il un des notables qui ait cru en lui? ou un des Pharisiens? Mais cette foule qui ne connaît pas la Loi, ce sont des maudits! Nicodème, l'un d'entre eux, qui était venu vers Jésus auparavant, leur dit : Notre Loi juge-t-elle un homme sans d'abord l'entendre et savoir ce qu'il fait? Ils lui répondirent : Es-tu de Galilée toi aussi? Étudie! Tu verras que de Galilée il ne sort pas de prophète.

 

Francine Roert, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2481. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

Chronique précédente :
Le Père des miséricordes