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Dimanche de la Pentecôte C - 15 mai 2016
 

Les premiers fruits de la résurrection

La Pentecôte, Heures d'Étienne Chevalier, enluminées par Jean Fouquet, Musée Condé

La Pentecôte, Heures d'Étienne Chevalier, enluminées par Jean Fouquet, Musée Condé.

 

 

Jésus, chemin vers le Père pour ceux qui croient en lui : Jean 14, 15-16.23-26
Autres lectures : Actes 2, 1-11; Psaume 103(104); Romains 8, 8-17

 

Le récit de la Pentecôte, quoique célèbre dans la tradition chrétienne, est unique en son genre et demeure énigmatique à plusieurs égards. En effet, pourquoi ce prodige si particulier et à ce moment si précis? La tradition juive et divers textes de l’Ancien Testament aident à enrichir notre compréhension de cet événement majeur de l’histoire de l’Église naissante.

Chavouot, le jour des prémices

     Comme les événements de Pâques, qui se situent au moment de la fête juive de pessah, l’épisode de la Pentecôte se déroule lors d’une autre célébration juive nommée chavouot. Pessah, qui signifie « passer par-dessus » en hébreu, commémore la puissante intervention de Dieu qui « passa par-dessus » les portes marquées du sang de l’agneau pascal et permit à son peuple de fuir hors de l’Égypte (Ex 12). La signification de la Pâques chrétienne est fortement influencée par le sens profond de la fête juive de pessah. En effet, à la lumière de la Pâque juive, Jésus se révèle être l’Agneau qui, par sa mort et sa résurrection, libère le nouveau peuple de Dieu de sa condition de pécheur.

     De la même manière, la fête de chavouot éclaire elle aussi le sens fondamental des événements de la Pentecôte. En hébreu, chavouot signifie « les semaines ». Cette fête « des semaines » se situe après sept périodes de sept jours – ou une semaine de semaines – d’où son nom grec de pentêcostê êméra, qui signifie « cinquantième jour ». Le décompte débute avec la fête de pessah, qui entame le cycle agricole annuel, et se termine, lors de ce cinquantième jour, avec l’offrande des premiers fruits issus de la terre (Ex 23,19; 34,26). Ce cycle se termine avec la fête de souccot, qui signifie « les tentes » en hébreu, et qui célèbre la moisson et l’assistance de Dieu lors du pèlerinage d’Israël au désert. Dans les Évangiles, la fête de souccot est mentionnée par Jean (7,1-52), mais aucun événement majeur du ministère de Jésus ou de l’expérience des premières communautés chrétiennes ne s’y déroule.

Au carrefour entre le passé, le présent et le futur

     Chavouot, cette « fête des semaines », est donc une fête centrale qui est à la fois tributaire du passé, car elle rappelle la libération d’Égypte, focalisée sur le moment présent, en raison de l’offrande des premiers fruits de la récolte nouvellement acquis, et tournée vers le futur, en prévision des célébrations heureuses de la moisson.

     Cette triple dimension de la « fête des prémices » permet de mieux comprendre la portée de l’épisode de la Pentecôte qui comporte, elle aussi, cette triple dimension temporelle.

     Elle se fonde d’abord sur l’événement passé de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ. C’est dans cet événement capital qu’elle prend racine. La Pentecôte est aussi fortement ancrée dans l’instant présent. Elle est le moment de la réalisation tant attendue des promesses faites par Jésus en ce qui concerne l’octroi du Paraclet. C’est ce que rappelle la lecture tirée de l’Évangile de Jean (14,15-16.23-26). Le don de l’Esprit actualise à répétition la présence du Fils qui s’est fait chair à travers le Christ. La résurrection du Christ était, pour ainsi dire, l’ensemencement de l’Esprit. Avec la Pentecôte, la semence de la résurrection donne ses premiers fruits. L’Esprit a enfin germé, ce qui permet aux apôtres de commencer leur mission d’évangélisation. Mais, bien qu’elle soit l’accomplissement des promesses de Jésus que les apôtres attendaient, la Pentecôte n’est pas l’aboutissement final du plan de Dieu pour l’humanité. Elle est la première manifestation de la fécondité de l’Esprit et l’assurance de l’abondance de la moisson à venir. Aussi spectaculaire soit-elle, elle n’est qu’un aperçu de l’opulence de la récolte future.

Une nouvelle création

     La lecture tirée du livre des Psaumes nous éclaire quant à elle sur la nature de l’Esprit de Dieu en affirmant : Tu retires leur souffle, ils expirent, à leur poussière ils retournent; tu envoies ton souffle, ils sont créés, tu renouvelles la face de la terre (Ps 104,29b-30). Ce souffle de Dieu, la ruah, est essentiel pour la vie. Le don énergique de l’Esprit lors de la Pentecôte peut donc être considéré comme une puissante éruption de vie en abondance. Ce passage du Psautier proclame aussi que, par la diffusion de son souffle, Dieu renouvelle la création. Cette idée peut également enrichir notre compréhension de la Pentecôte qui devient ainsi une nouvelle création. La propagation du souffle de Dieu permet la constitution de l’Église et donne le coup d’envoi à la mission des apôtres. Comme la ruah de Dieu planait à la surface du chaos des eaux primordiales avant d’amorcer son action créatrice (Gn 1,2), voici que l’Esprit de Dieu se pose sur les apôtres qui s’apprêtent à participer, avec Dieu, à l’établissement d’un ordre et d’un monde nouveaux.

La communication rétablie

     Mais pourquoi les apôtres se mettent-ils à parler en langue? Pourquoi ce prodige en particulier? Pourquoi ne commencent-ils pas plutôt à guérir les malades ou à chasser les démons comme le faisait Jésus? Pourquoi ne prophétisent-ils pas comme les personnages de l’Ancien Testament sur lesquels tombait l’Esprit de Dieu (voir par exemple Ez 2,1-2; 11,5)? Ce phénomène est presque unique dans le Nouveau Testament. Seul l’Évangile de Marc mentionne, très brièvement dans sa deuxième conclusion, qu’on pourra reconnaître ceux qui auront cru au fait qu’ils parleront des langues nouvelles (Mc 16,17). Mais les nouvelles capacités linguistiques des apôtres lors de la Pentecôte ne font pas que légitimer leur foi.

     Tiré de l’Ancien Testament, le récit mythique de la tour de Babel (Gn 11,1-9) permet de jeter un regard très éclairant sur les événements de la Pentecôte. Au début de ce court récit de la Genèse, l’humanité tout entière parle la même langue et entreprend de construire une ville pourvue d’une tour dont le sommet atteindrait les cieux pour, disait-elle, « se faire un nom » et éviter d’être dispersée à la surface de toute la terre (Gn 11,4). Dieu « descend » afin de voir leur ouvrage et brouille leur langue afin de mettre fin à leur entreprise (Gn 11,8). Dieu souhaite ainsi contrer les ambitions orgueilleuses des hommes qui désirent être réunis dans un même endroit et s’élever au rang de dieux.

     Le scénario du récit de la tour de Babel est exactement à l’opposé de celui de la Pentecôte. Dans le mythe de la Genèse, l’humanité échafaude un projet vaniteux et égoïste qui a pour but de la hisser au rang de dieux. Dans le récit du livre des Actes, Dieu parachève un plan miséricordieux et altruiste qui conduit l’humanité à la vie éternelle et à une véritable communion avec Dieu. Notons aussi la disposition de l’humanité qui est différente dans les deux récits. Dans le premier, les hommes sont rassemblés dans le cadre d’un projet qui ne vise que leur propre gloire. Dans le second, ils sont réunis afin d’offrir à Dieu, dans un geste de reconnaissance, les premiers fruits de leur labeur agricole. Ensuite, dans le premier texte, Dieu trouble la communication entre les hommes, alors qu’il facilite celle-ci dans le deuxième. En conséquence, en Genèse, les hommes qui se trouvaient originairement en un seul endroit et n’utilisaient qu’une seule langue finissent par être dispersés à la surface de toute la terre et parler différents dialectes, alors qu’en Actes, l’humanité qui provient initialement des quatre coins de la terre et parle divers dialectes se retrouve uni en un seul endroit autour d’un groupe qui s’adresse à tous. L’auteur du récit s’assure d’ailleurs de mentionner avec détail les origines variées de la population rassemblée à Jérusalem (Ac 2, 9-11). L’éclairage qu’apporte le récit de la tour de Babel permet de mettre en valeur le caractère universel de l’événement de la Pentecôte. Jérusalem remplace la mythique Babel et devient le centre où l’humanité est enfin rassemblée à nouveau dans le cadre cette fois-ci d’un projet divin qui s’étendra à la surface de toute la terre. Ce projet, nous l’avons vu, s’enracine dans l’événement de la résurrection du Christ, est centrée sur le moment présent et s’ouvre sur un avenir rayonnant qui englobe maintenant toute l’humanité.

 

Francis Daoust, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2490. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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