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4e dimanche de l'Avent A - 22 décembre 2013

 

Le songe de Joseph

 

Joseph et la visite d'un ange : Matthieu 1, 18-24
Autres lectures : Isaïe 7, 10-16; Psaume 23(24); Romains 1, 1-7

 

Joseph est à l’évangile de l’enfance de Matthieu ce que Marie est à celui de Luc ! C’est-à-dire que Matthieu et Luc - les deux seuls évangélistes à nous offrir des récits de naissance de Jésus - nous racontent les événements entourant la conception de Jésus, l’un selon la perspective de Joseph (Matthieu) et l’autre selon la perspective de Marie (Luc). Les deux récits concordent sur plusieurs points : Joseph et Marie sont accordés en mariage l’un à l’autre, mais sans avoir encore fait vie commune ; l’enfant engendré vient de l’Esprit Saint ; son nom est révélé dans les deux cas par l’ange et cet enfant sera inscrit, par Joseph, dans la lignée davidique. Si Marie reçoit directement la visite de l’ange à la façon des « annonciations » de l’Ancien Testament (voir Gn 16,7-14; Jg 13,2-23), c’est plutôt à travers le songe que Joseph, tel son aïeul homonyme de l’histoire sainte (Gn 37,5-11), reçoit et comprend la volonté divine.

     Les deux évangélistes ont encore ceci en commun : ils interprètent cet évènement comme la réalisation de la prophétie de l’Emmanuel qu’on retrouve dans la version grecque 1 du livre d’Isaïe (Is 7,14, première lecture de ce dimanche), Matthieu la citant presque textuellement (Mt 1,23), Luc préférant la récupérer en mettant les mots d’Isaïe dans la bouche de l’ange Gabriel (Lc 1,31) 2.

Récits plus théologiques que journalistiques

     Élaborés plus tardivement, les évangiles de l’enfance, autant chez Matthieu que chez Luc, sont des récits théologiques, projetant dans les évènements de la naissance et de l’enfance de Jésus, ce qui sera découvert de son identité messianique et divine après sa mort et sa résurrection. Portes d’entrée des premier et troisième évangiles, le lecteur de ceux-ci se trouve donc situé en début d’oeuvre sur le mystère de la personne de Jésus dont il s’apprête à découvrir la vie et la mission. Autrement dit, les évangiles de l’enfance (et donc l’extrait de ce dimanche) ne cherchent pas tant à nous dire le « comment cela s’est-il passé ? », mais « qui est ce Jésus ? » qui naquît un jour  dans l’humanité.

Joseph, qui était un homme juste…

     Pour avoir entendu maints prédicateurs et catéchistes s’adonner à ce jeu, la tentation sera grande, en face de l’évangile de ce dimanche, de vouloir combler les silences de l’Écriture, essayant d’imaginer la torture du coeur de Joseph apprenant la grossesse de sa promise, ses délibérations intérieures, son déchirement amoureux, etc. Mais nul n’est le but de l’évangéliste de nous faire entrer dans la psychologie de Joseph. Le texte est sobre, son Joseph reste silencieux. Tout se qui est rapporté de lui est son obéissance prompte à la volonté de Dieu dès qu’il la saisit, car, nous dit l’évangéliste, c’était un homme juste. Juste, c’est-à-dire ajusté à la volonté de Dieu.

Il décida de la répudier en secret

     Aussi, parce qu’il est juste, il veut appliquer la Loi de Moïse ne pouvant usurper une paternité qui n’est pas la sienne. Comment interpréter l’intention de Joseph de répudier Marie en secret? Geste d’effacement devant Dieu qui, en son dessein mystérieux, rend fécond le sein de Marie de qui, par ailleurs, Joseph ne peut douter de la vertu? Ou, plus prosaïquement,  présume-t-il chez elle un adultère qui le rend incapable de la prendre pour épouse ? On ne le saura jamais... ou plutôt, cela reste ouvert !

     Le caractère secret de la répudiation est en quelque sorte une impossibilité. La répudiation étant un acte public scellé par l’émission d’un document écrit, légalement, elle ne saurait être secrète (Dt 24, 1). Quelque soit le réalisme de cette disposition de Joseph, narrativement parlant, nous comprenons qu’il veut soustraire Marie à l’opprobre d’une lapidation telle que l’exigeait la Loi en de telles circonstances (Dt 22, 20-21). Déjà on voit poindre chez le père adoptif, ce qui sera l’attitude du Fils : faire passer la miséricorde avant la Loi.

     Quand l’ange du songe lui fera comprendre, au contraire, que le Seigneur veut qu’il endosse la paternité de ce fils (donner le nom étant le rôle du père), il s’exécute aussitôt, prenant chez lui son épouse.

Le message théologique

     Si ce texte de Matthieu n’est ni un rapport factuel des évènements entourant la conception de Jésus, ni une analyse psychologique du personnage de Joseph, quel rôle joue-t-il ? Comme mentionné plus haut, il est théologique et, plus précisément, apologétique ! Au temps de l’évangéliste, il vise à défendre la foi chrétienne naissante, sans doute attaquée par maints adversaires, en la divinité de Jésus et en son rôle messianique. Écartant Joseph de tout rôle dans l’engendrement de Jésus, on comprend que ce dernier n’est que le fruit de l’agir divin. Joseph cependant, en adoptant Jésus, joue le rôle essentiel de l’inscrire dans la lignée de David, condition sine qua non à la candidature de Jésus comme Messie promis à Israël, selon les prophéties de l’Ancien Testament et les attentes messianiques du premier siècle. Proclamer Jésus, ce fils de David, comme Christ (Messie) et Seigneur, comme le fait Paul en deuxième lecture de ce dimanche (Rm 1, 3-4), voilà bien le rôle que joue ce beau récit du songe de Joseph.

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1 Le texte grec de la Septante lit le passage d’Is 7,14 ainsi : Voici que la vierge concevra et enfantera un fils..., alors que le texte hébreu, plus ancien, parle simplement d’une jeune fille, qui pourrait être vierge ou non. Les évangélistes Matthieu et Luc se réfèrent au texte grec de la prophétie la voyant réalisée par la naissance virginale de Jésus.

2 Au départ, à l’époque d’Isaïe (vers 734 av. J.C.), la dynastie davidique est en danger de s’éteindre avec, sur le trône de Juda, Akaz, un descendant de David, aux prises avec de nombreux ennemis. C’est alors que Dieu intervient en promettant un fils au roi par cette prophétie de l’Emmanuel (ce sera Ezéchias). Dieu montrera qu’il est avec eux – sens du mot Emmanuel – en assurant la continuité de la descendance de David. Les premiers chrétiens, relisant Isaïe, à la lumière de la résurrection de Jésus, verront que c’est en lui que se réalise vraiment la promesse du Dieu avec nous, né d’une vierge, de la descendance de David (par Joseph) à laquelle, par sa victoire sur la mort, il assure une postérité qui n’aura pas de fin.

 

Patrice Bergeron, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2383. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Une attente à redéfinir