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27e dimanche ordinaire C - 6 octobre 2013

 

Une foi qui change les perspectives

La puissance de la foi: Luc 17, 5-10
Autres lectures : Habacuc 1, 2-3; 2, 2-4; Psaume 94(95); 2 Timothée 1,6-8.13-14

 

La dernière phrase de l’évangile d’aujourd’hui heurte nos sensibilités modernes. En effet, que ce soit au travail ou dans notre vie sociale, nous aimons bien être reconnus pour nos bons coups, être congratulés, voire récompensés. Or, Jésus vient réduire nos aspirations à la reconnaissance : Nous sommes des serviteurs quelconques. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire (Lc 17,10). Comment comprendre cet exemple que Jésus donne à ses apôtres dans ce passage ?

Des dynamiques sociales à comprendre

     Pour mieux entrer dans ce texte, une mise en contexte s’impose. À l’époque de Jésus, les rapports entre les gens se comprenaient comme une compétition pour l’honneur. Que ce soit dans le cadre d’une discussion banale, d’une altercation, d’un échange de cadeaux ou d’invitations, chacun tentait de ressortir de l’échange en ayant gagné l’estime de tous : parce qu’il avait écrasé les arguments de son adversaire ; parce qu’il avait offert le plus beau cadeau ou organisé le dîner le plus somptueux. L’honneur du « vainqueur » était accru aux yeux de l’opinion publique. Dans la même logique, les pharisiens multipliaient les œuvres de piété en public pour accroitre leur honneur aux yeux des hommes, ce que Jésus ne manque pas de leur reprocher (Lc 11, 43).

     Le texte qui nous est proposé suit une série d’échanges entre Jésus, les disciples ainsi que ces mêmes scribes et Pharisiens sur la vraie manière d’avoir accès au Royaume, laquelle entre en contradiction avec cette « course à l’honneur » si prisée par les adversaires de Jésus. Il faut plutôt inviter les pauvres (14, 12-24), accueillir les pécheurs (Lc 15), alors que cela est mal vu de l’opinion publique de l’époque, et découvrir le vrai sens de la Loi (16, 14-18). C’est dans ce contexte que l’évangéliste Luc insère la parabole sur l’esclave inutile, destinée aux apôtres qui le questionnent sur la foi. L’analogie utilisée met en scène un maître de petit domaine qui semble n’avoir qu’un esclave/serviteur (un seul mot grec pour les deux sens, doulos), un genre d’homme à tout faire qui, après les travaux des champs, doit aussi s’occuper des tâches domestiques comme la préparation du repas. Contrairement à la dynamique de l’honneur qui a cours entre les citoyens libres, le maître est propriétaire de son esclave et ce dernier doit se soumettre en tout. Ce que l’esclave fait pour son maître est donc normal et n’entraîne aucune dette d’honneur, ni même un simple remerciement. Jamais le maître ne sera redevable de quelque manière envers son esclave.

Une logique différente

     Jésus propose aux apôtres une logique différente de la course à l’honneur qui règne chez les dirigeants religieux et la société dans son ensemble : celle du service. L’analogie du maître de maison et de son serviteur est pertinente car Dieu est le seul maître de ceux qui croient en lui. Jésus indique que le service de soutien des faibles, l’accueil des pécheurs rendu par les apôtres ne peut l’être en espérant une rétribution honorifique ou une récompense : c’est l’engagement normal de celui qui souhaite marcher à la suite du Christ. La logique des Pharisiens doit être dépassée au profit du don désintéressé.

     À la manière de Jésus, les apôtres sont invités à se dessaisir de leur vie pour se mettre au service de leurs frères et sœurs. Comme il le dira aux siens durant le dernier repas :  … que le plus grand parmi vous prenne la place du plus jeune, et celui qui commande la place de celui qui sert… Moi, je suis au milieu de vous à la place de celui qui sert (Lc 22, 26-27). De cette manière seulement, les apôtres peuvent être fidèles à celui qui les a formés pour prendre sa relève. Ils ne pourront être des leaders de l’Église en prenant pour modèle les Pharisiens, les scribes et les prêtres de l’époque, car leur rétribution se calcule en honneur et en richesses matérielles.

     Comment y arriver ? Comment être fidèle autrement qu’en cherchant rétribution ? Tout est une question de foi, et il faut remonter à la question initiale des Douze : Augmente en nous la foi (17, 5). Jésus ne répond pas à la requête, mais constate : Si vraiment vous aviez la foi, gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous obéirait (17, 6). La comparaison avec la graine de moutarde, toute minuscule, montre bien qu’il ne s’agit pas de « quantité » de foi, mais de « qualité ». Quelle est la foi qui habite les apôtres ? Une foi forte, solide, enracinée comme un sycomore, qui peut braver les tempêtes ? Ou une foi fragile et vacillante qui fondra lors de l’épreuve de la crucifixion qui arrive à grands pas ?

     Le chemin que Jésus tente de révéler à ses disciples est celui de la foi active qui se donne de la peine, et qui est fondée sur la certitude intérieure que Dieu est fidèle et accompagne les siens, même dans l’épreuve. Nul besoin de rétribution de la part des humains comme celles que convoitent les dirigeants religieux de l’époque. C’est une invitation à ce même type de foi, sûre et confiante, que le Seigneur lançait en réponse à l’appel de détresse du prophète Habaquq dans une vision sur l’échéance de l’épreuve : (…) elle ne mentira pas ; si elle paraît tarder, attends-la, car elle viendra à coup sûr, sans différer. (…) un juste vit par sa fidélité (Ha 2, 3-4). Foi, fidélité, deux mots en français, mais un seul mot grec : pistis. La foi véritable, celle qui peut déraciner un arbre, se traduit en fidélité à toute épreuve.

Quelle foi nous habite ?

     Mais le texte accroche toujours : comment accepter de n’être que des « serviteurs quelconques », « inutiles » ? De quelle inutilité s’agit-il ? Nous avons longtemps cru que nous pouvions « gagner notre ciel », à coup de bonnes œuvres et de prières. Dans cette perspective, nous nous percevions comme des serviteurs utiles qui méritent récompense. Mais le texte d’aujourd’hui nous invite à nous convertir à la gratuité dans notre vie de foi. C’est justement ce que Paul rappelle aussi à Timothée alors qu’il lui écrit de prison. Non seulement Dieu leur a donné l’Esprit afin de les aider à accomplir leur mission de disciples (2 Tm 1,6-8), mais il ajoute tout juste après : (…) comptant sur la puissance de Dieu qui nous a sauvés et appelés par un saint appel, non en vertu de nos œuvres, mais en vertu de son propre dessein et de sa grâce. (1,9). C’est en cela que nous nous avérons des serviteurs quelconques : nous sommes inutiles à notre propre salut, car celui-ci nous est donné par grâce. Comme le maître de la parabole protégeait son serviteur et assurait littéralement sa survie ainsi, dans notre rapport à Dieu, c’est justement de Vie donnée gratuitement dont il s’agit.

     Notre engagement à la suite du Christ, notre désir d’être des disciples fidèles s’enracine dans un besoin de réponse à sa grâce, non pour assurer notre salut, mais en réponse à celui-ci, parce que l’on se sait aimés et sauvés. Nous savoir aimés gratuitement par Dieu entraîne une réponse gratuite de notre part : Nous avons fait seulement ce que nous devions faire (Lc 17,10). Le chemin tracé par Jésus, celui du bonheur véritable, ne se mesure donc pas en honneur, en félicitations ou en récompenses humaines, mais à la satisfaction du devoir accompli : celui d’être les disciples d’un maître aimant en qui nous avons foi.

 

Sylvie Paquette, bibliste

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2372. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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