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23 e dimanche ordinaire C - 8 septembre 2013

 

Haïr sa mère... pour devenir disciple ?!?

Renoncer à tout pour suivre Jésus : Luc 14, 25-33
Autres lectures : Sagesse 9, 13-18; Psaume 89(90); Philémon 9b-10.12-17

 

J’aime beaucoup ma mère et j’espère qu’elle va me pardonner pour ce titre. Il traduit pourtant une parole déconcertante de Jésus. Cet extrait de l’Évangile de Luc montre trois analogies pour illustrer ce qu’il faut pour devenir disciple : (1) Préférer Jésus aux divers membres de sa famille. (2) Comme dans la construction d’une tour, il faut se préparer et aller jusqu’au bout. (3) La réflexion du roi avant d’aller à la guerre est comme le discernement préalable à la suite de Jésus. Le dernier verset résume le tout en disant qu’il faut renoncer à tout ce qui nous appartient pour être disciple de Jésus. Pas mal plus facile à dire qu’à faire!

Haïr ses parents, ses enfants, sa femme…

     Le sens littéral du verset 26 est beaucoup plus fort que la plupart de nos traductions. En grec, il ne s’agit pas de préférer Jésus aux membres de sa famille, mais bien de haïr ceux-ci ! Vous voulez suivre Jésus, commencez par haïr vos parents, votre femme, vos enfants et même votre propre vie ! Les paroles de Jésus ne sont jamais tièdes, mais là, disons qu’elles nous provoquent. Comment comprendre cela ?

     Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple (Luc 14,26, traduction Bible de Jérusalem).

     À la première écoute, on se dit qu’un tel passage doit sûrement être une figure de style qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre. Ça doit être une question de priorité, de ne pas trop aimer nos familles pour donner la priorité à Dieu. Pourtant, ce n’est pas ce qu’affirme le texte. Pour suivre Jésus, il faut réévaluer toutes nos relations humaines. La mort/résurrection permet un retournement qui doit transformer complètement notre façon d’aimer. Nous y reviendrons, mais commençons par rappeler le contexte de l’époque.

La famille au temps de Jésus

     Regardons ce que représente la famille dans le contexte socio-historique de l’époque. Dans cette culture, l’individu était défini par sa famille. L’identité d’un individu ne venait pas d’abord de ce qu’il possédait ou de ce qu’il faisait comme travail, mais de la famille à laquelle il appartenait. La famille était très importante. Par exemple, le fils prenait le travail du père. On ne partait pas pour vivre loin de la famille. La plupart du temps les maisons étaient constituées de quelques chambres autour d’une cour intérieure centrale où étaient centralisées les activités telles que la cuisine. Chacune des chambres était habitée par une partie de la famille.  Lorsqu’un fils devient adulte et prend femme, les nouveaux époux vont vivre dans une chambre adjacente aux parents du marié. La proximité familiale de l’époque nous semblerait extrême.

     C’est dans ce contexte, que Jésus appelle au détachement de la famille. Le suivre demandait une décision radicale de quitter le milieu familial, le village, la micro-société dans laquelle on vivait. Ce qui était peu commun. Le déchirement n’était pas qu’au niveau des émotions. Se séparer de sa famille entraînait de graves conséquences économiques. En dehors des familles, il n’y avait pas de système de support social. Jésus lui-même a dû faire ce choix radical de quitter Nazareth. D’ailleurs, les évangiles rappellent que lorsqu’il revenait à la maison, son village et sa famille n’accueillaient pas son message. Dans l’évangile de Marc, Jésus dit en parlant de lui-même : Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison (Mc 6,4).

Une famille eschatologique

     Un peu plus loin dans l’évangile de Luc, Jésus déclare : Amen, je vous le dis : personne n'aura quitté à cause du royaume de Dieu une maison, une femme, des frères, des parents, des enfants, sans qu'il reçoive en ce temps-ci bien davantage et, dans le monde à venir, la vie éternelle (Luc 18,29-30). Renoncer aux liens familiaux pour devenir disciple a certes des désavantages, mais ceux-ci sont à remettre en perspective devant la promesse de la vie éternelle.

Une nouvelle famille

     Jésus quitte sa famille et demande à ses disciples de faire de même. Pourtant, en vivant ensemble, ils forment une sorte de nouvelle famille avec des liens bien différents. Tous sont égaux et pratiquent le partage. Personne n’est appelé « père », « maître » ou « docteur ». Les premiers chrétiens vont s’appeler frères et sœurs. Jésus leur laisse un commandement : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. L’amour de cette nouvelle famille est bien particulier. Dans la langue grecque du Nouveau Testament, on retrouve surtout le mot agapè pour désigner les différentes réalités de l’amour. En grec, ce mot désigne l’amour divin, universel, le vrai amour, l’amour non-possessif et inconditionnel.

Haïr la violence de notre amour

     Parfois, lorsque ça va mal, l’amour peut mener à la violence. Il y a les crimes passionnels où l’amour fait perdre le contrôle de soi-même et mène à un meurtre au sein d’un triangle amoureux. Il y a la violence conjugale qui inclue la violence physique, psychologique et verbale en passant par les agressions sexuelles. Si ces cas de violence amoureuse ne vous concernent pas, peut-être qu’en temps de danger ou de guerre vous serez prêt à aller jusqu’à tuer quelqu’un pour protéger votre famille. On aime tellement nos proches, qu’on pourrait être prêt à être violent avec d’autres pour protéger cet amour. Les soldats qui partent à la guerre le font pour protéger ceux qu’ils aiment.

     Haïr ses parents, ses enfants et sa femme ne peut se comprendre que si l’on voit qu’avec Jésus tout est renouvelé. Le loup peut maintenant s’assoir avec la brebis, et nous pouvons aimer ceux qui nous sont chers de façon non possessive, sans violence, et sans menacer les familles des autres.

     Pour suivre Jésus, nous devons placer toutes nos relations d’amour dans un nouveau contexte. Nous appartenons maintenant au royaume de Dieu, qui permet à nos amours d’être porteurs de paix et non sources de violence. Notre sécurité est dans les mains de Dieu qui établit son royaume, un royaume très différent du monde qu’on connait. En Christ, nous célébrons la paix qui nous unit comme frères et sœurs. Ce n’est pas le sang familial qui nous rassemble, mais le sang du Christ.

La croix, la tour et le roi

     En indiquant que les disciples doivent porter leur croix pour le suivre, ce passage évoque la passion de Jésus. « Porter sa croix » est une métaphore (mais aussi une réalité) pour désigner les difficultés de la vie en général et surtout les difficultés liées à la suite de Jésus qui commence avec la séparation de sa famille et qui peut mener jusqu’à la persécution. Les versets au sujet de la tour à construire et du roi qui discerne s’il doit partir en guerre montrent qu’il faut bien réfléchir avant de s’engager et de devenir disciple.

Conclusion

     Luc fait un appel direct à la réflexion et à la préparation nécessaire au renoncement pour le suivre. À plusieurs reprises dans son évangile, Luc fait appel au renoncement des biens (12,13-34; 16,1-13; 18,24-30), mais ici, il va encore plus loin. Ce renoncement inclut de se détacher (et même de haïr) des membres de sa famille et de sa propre vie pour porter sa croix et le suivre.

 

Pour en savoir plus...

La pédagogie du disciple

     Dans le Nouveau Testament, le mot « disciple » décrit la réalité de ceux qui suivent Jean le Baptiste, et surtout Jésus. Les disciples se mettent à la suite de leur maître pour apprendre de ses paroles, mais aussi de ses actes. Le disciple s’attache à la personne de son maître et non seulement à son enseignement. Les disciples de Jésus sont appelés à renoncer à tout pour le suivre et s’il le faut, même à donner leur vie pour lui.

 

Sébastien Doane, bibliste

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2368. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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