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22 e dimanche ordinaire C - 1er septembre 2013

 

La générosité, pari pour l'éternité

Guérison d'un hydropique un jour de sabbat : Luc 14, 1.7-14
Autres lectures : Siracide 3, 17-18.20.28-29; Psaume 67(68); Hébreux 12, 18-19.22-24

 

Dans quelques jours, ce sera la rentrée d’automne. Nous renouerons avec le rythme normal de nos activités. Par la force des choses, nous serons attentifs à la qualité de nos relations humaines. Quand il faut garantir la productivité d'une équipe, quand il faut assurer la stabilité d'une association, quand il faut bâtir la sérénité dans la famille, notre spontanéité passe au second plan! Il faut que nos relations humaines soient réfléchies pour que des gestes anodins ne viennent pas embrouiller un avenir complexe. Ainsi, en prévoyant les conséquences de nos gentillesses et de nos salamalecs, nous jouons habilement nos cartes en fonction du rendement de ces gestes au cours des mois à venir.

     Il n'y a rien de mauvais à vivre avec prévoyance et pondération nos relations interpersonnelles. C'est un indice de maturité humaine, une bonne stratégie pour maintenir un climat paisible dans notre espace de vie.  En même temps, si tous les mots sont pesés, si tous les gestes sont étudiés, cela peut s’avérer contre-productif. Quand la spontanéité n’a plus de place, le calcul envahit tout et obscurcit la frontière des possibles. La joie, la poésie, la magie de l'existence sont détruites quand le retour sur l'investissement est le seul guide de choix utilitaires.

     Ces réflexions sur la conduite des relations humaines en notre temps permettent d'apprécier la révolution proposée par Jésus.  Les normes de son époque sont celles d'une société rurale de pénurie. Cet univers social paralysait la gratuité. Les contemporains de Jésus, rivés à leur lopin de terre empierré ou à leur zone de pêche plus ou moins prévisible, devaient être réservés et calculateurs. Dans cet environnement aux ressources limitées, toute générosité était à charge de revanche. Même les mariages devaient être des alliances économiques entre familles.  Nous voilà loin de nos alliances d’aujourd’hui, obligatoirement fondées sur des coups de cœur!

De Ben Sirac à l'Évangile de Luc

     Pour nous ancrer dans la réalité quotidienne célébrée lors de la Fête du travail, pour nous aider à vivre le retour vers la vie normale, la première lecture nous propose la voie de l'humilité. Elle nous met au diapason de la générosité reçue, autant des autres que de Dieu : Mon fils, accomplis toute chose dans l'humilité, et tu seras aimé plus qu'un bienfaiteur. Plus tu es grand, plus il faut t'abaisser: Tu trouveras grâce devant le Seigneur. (Ben Sirac 3, 17-18).

     Ce savoir-vivre était une donnée essentielle de la vie au temps de Jésus : il fallait recevoir des autres sa place et son honneur. Donc, il ne fallait pas trop s'élever au-delà du rang attribué dans le groupe… car des conséquences fâcheuses pouvaient s'en suivre. Particulièrement aux jours de fête…

     Dans le contexte social où vivait Jésus, le repas de fête n’est pas seulement un moment pour mieux manger qu’à l’ordinaire. Le repas de fête étale au grand jour le réseau de relations où l'on s'insère. Dans ces circonstances, chaque place prend une valeur symbolique. Elle traduit le niveau d'honneur accordé par celui qui invite. Tout le monde surveille si chacun occupe la place qui convient à sa valeur. Cette valeur est attribuée par les autres lorsqu’elle correspond aux attentes du groupe envers un de ses membres. L’autonomie personnelle n’est pas encore la valeur dominante. Chaque personne s’inscrit dans le réseau serré de relations humaines où elle trouve sa reconnaissance.

     Ainsi, Jésus n'invente rien lorsqu'il met en garde contre le réflexe de s’attribuer soi-même une bonne place. Cette hâte pourrait conduire à la honte d'un recul imposé par le maître des lieux. Mieux vaut être mis à l'honneur par le maître du repas en se voyant attribuer devant tous les convives une meilleure place. La technique sans faille de Jésus est conforme à la sagesse courante de son époque.

     Les considérations sur l'étiquette suggérées par Jésus s'insèrent parfaitement dans la mentalité de son époque. Par contre, elles semblent contredire la mentalité nord-américaine de la « self-made person ». Il y a là des propos pour secouer nos illusions de contrôle sur les relations humaines. La réflexion antique sur la honte et l'honneur véhiculée par l'évangile (Luc 14, 10) est d'ailleurs une clé fondamentale pour comprendre la logique des relations humaines de jadis. Le Québec du XXe siècle vivait encore sous ce régime, il n'y a pas si longtemps!

De la politesse à l’éternité

     Il ne faut pas limiter notre analyse de l’évangile aux règles de politesse qui reflétaient la structure profonde des relations humaines au temps de Jésus.  Jésus prononce ces mots le jour du shabbat, chez des Pharisiens. Le contexte est clairement religieux. Et surtout, Jésus évoque les convictions pharisiennes sur la résurrection des justes. Cela confère une vaste portée religieuse pour ses propos. Les consignes sont adressées à des croyants, comme l’attestent deux phrases étonnantes de l'évangile. Voici ces deux phrases.

     Qui s'élève sera abaissé, qui s'abaisse sera élevé. (Luc 14, 11)  La forme des verbes au passif fait songer à une action de Dieu, action « déguisée » selon la manière courante dans les textes bibliques.

     Quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles; et tu seras heureux, parce qu'ils n'ont rien à te rendre: cela te sera rendu à la résurrection des justes. (Luc 14, 14) Cette phrase est une béatitude. Elle concerne ce qui était la conviction religieuse la plus révolutionnaire au temps de Jésus.

     Le propos de Jésus adressé à la personne qui l'avait invité est une vraie bombe. Inviter et recevoir sans calcul des gens qui ne fourniront aucun retour sur l’investissement ? Remettre en cause le système de donnant-donnant ? La pénurie des ressources ne le permettait tout simplement pas!

     Trouver du bonheur en donnant quelque chose à des personnes qui ne peuvent le remettre était une idée décapante. Elle dit quelque chose de la générosité de Dieu. Cette idée dérangeante ouvre en fait des perspectives d'éternité. Il y a deux mille ans, l’existence était un concept révolutionnaire qui laissait envisager une continuité de la vie au-delà de la mort, et une certitude de résurrection au-delà des frontières brutales de l'existence corporelle. Voilà affirmée du même souffle que l'identité des morts n'est pas dissoute, que leur réalité personnelle est plus que leur corps. La poursuite de leur vie ne se fait pas sous le mode de la répétition, du recommencement, de la réincarnation mais plutôt sous le mode de la continuité en présence de Dieu. Jésus lui-même fut un des propagateurs de cette idée. Il adhérait, au cœur de son Judaïsme, à ce grand courant d'idées constructives quant à un avenir en éternité.

Du clinquant au silence éloquent

     La Lettre aux Hébreux s'insère bien dans la démarche de ce dimanche. Cette deuxième lecture évoque un impressionnant changement de statut. Elle invite croyantes et croyants à dépasser les apparences, le clinquant et le spectaculaire du Premier Testament pour apprécier le nouveau statut conféré à celles et ceux qui marchent et progressent sur les routes de la foi. Nous progressons vers la cité du Dieu vivant avec un statut renouvelé car les cieux nous sont ouverts : Mais vous êtes venus vers la montagne de Sion et vers la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, vers des milliers d’anges en fête et vers l’assemblée des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux. Vous êtes venus vers Dieu, le juge de tous les hommes, et vers les âmes des justes arrivés à la perfection. Vous êtes venus vers Jésus, le médiateur d’une Alliance nouvelle (Hébreux 12, 22-24)

     Avant de reprendre notre train-train d'automne, repérons dans notre mémoire les moments où nous avons reçu gratuitement quelque chose de quelqu'un. La meilleure façon de reproduire la page d'évangile proclamée aujourd’hui, la meilleure façon d'être à la hauteur de la dignité proclamée dans la deuxième lecture, c'est d'investir notre propre bonté, notre propre générosité... à fonds perdus. Quand on dépasse le nécessaire dans les relations, c'est déjà l'éternité avec Dieu. Jésus nous conduit au-delà des gestes calculés et stratégiques. Jésus ouvre ainsi un espace de gratuité.  C'est la frontière ouverte sur l'éternité avec Dieu. 

 

Alain Faucher, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2367. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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La foi, avec ardeur !