Jésus enfant, foi adulte...
Premières paroles de Jésus au Temple : Luc 2, 41-52
Autres lectures : 1 Samuel 1, 20-22.24-28; Psaume 83(84); 1 Jean 3, 1-2.21-24
À première lecture, la fugue de Jésus adolescent fait à peine sourire. Nos familles ont toutes vécu des aventures comparables. Elles se terminent généralement de manière positive, autant pour le jeune que pour ses proches. Devons-nous limiter notre commentaire biblique de ce dimanche à ces considérations de psychologie familiale ? Le Nouveau Testament aurait-il conservé cet épisode presque banal d'un ado en fugue uniquement pour livrer le message que « la sainte Famille vivait ce que vivent toutes les familles ? » Certes, la Bible offre des contenus faciles à arrimer à notre expérience d'aujourd'hui. Mais cet épisode a-t-il davantage à nous offrir pour faire progresser notre foi en Jésus ?
L’enfance des célébrités dans l’Antiquité
Les biographies hellénistiques mettaient souvent en vedette un incident de l'enfance qui présageait du caractère de l'adulte en devenir. Luc s'adresse à un public gréco-romain cultivé habitué à ce qu'un encomium (texte " en l'honneur de... ") comporte des propos sur l'éducation du grand personnage en devenir.
Ces descriptions de naissance et d'enfance étaient toujours basées sur le statut de l'adulte et les rôles importants tenus par cette personne. On croyait que la personnalité ne changeait jamais. Un enfant était quelque chose comme un adulte en miniature. Le passage à une autre étape de la vie était perçu comme une évolution sociale et non une transition psychologique. Ainsi, ce que raconte l’évangile de l'enfance de Jésus met en évidence des aspects de sa personnalité adulte significative pour les croyants.
Une crise révélatrice
La psychologie populaire a davantage envie de questionner le niveau de compétence parentale de Joseph et de Marie. Ces parents sont assez peu organisés, selon nos critères actuels. Pourquoi cela prend-il une journée pour que les parents de Jésus se rendent compte de son absence ? Pourquoi Marie semble-t-elle si irritée lorsqu'elle retrouve Jésus ? L'inquiétude normale d'une mère est-elle seule en jeu ici ? Pourquoi Jésus répond-il si abruptement à ses deux parents, alors que seule sa mère l'a questionné ?
Ces questions permettent de dépasser nos critères actuels de jugement des relations parents-enfant. En fait, la Bible raconte aujourd'hui une crise majeure. Les enjeux sont autrement plus importants que la seule qualification parentale de Marie et de Joseph.
De l’enfance à l’âge adulte
Dans les sociétés agraires méditerranéennes, les petits garçons et les petites filles sont élevés ensemble jusqu'à la puberté par toutes les femmes de la famille (mère, tantes, sœurs, etc.). D'où le lien émotionnel très fort entre mère et fils aîné. Ce lien conférait à la mère un fort pouvoir sur son fils devenu adulte. Pensons à l'implication extrême de Rébecca dans la relation tendue entre Jacob et Ésaü en Genèse 25 !
Confinés avec les femmes pendant leur petite enfance, les garçons sont gâtés. Ils sont les vedettes du cocon familial. Toutes les femmes de la famille sont à leur service. Certains prennent encore le sein alors qu'ils sont capables de parler (2 Maccabées 7, 27). Un garçon a faim ? Il n'a qu'à demander. Dans un tel système, les garçons s'imaginent que toute parole adressée à une femme a force de loi...
Le père et les autres hommes de la famille sont exclus de l’éducation des enfants. On devine le niveau d'ambiguïté vécu par les garçons pendant leur puberté. Sans modèle de rôle masculin, les garçons ont peu d'indices pour savoir comment se comporter en hommes adultes.
Le système familial doit compenser brutalement pour combler cette lacune. À la puberté, le garçon est soustrait sans cérémonie au confort du monde des femmes. Il est plongé dans le monde rugueux et hiérarchisé des hommes. Tous les hommes enseignent à l'adolescent sa place et son comportement, souvent en le punissant et en le battant. Il doit endurer en silence ! La souffrance endurée stoïquement est comprise comme une manière de faire preuve de masculinité. On peut relire à la lumière de ces informations des textes célèbres d'Isaïe (42, 2; 50, 6; 53, 3.7) ou du Deuxième livre des Maccabées (chapitres 6 et 7).
La logistique piégée du pèlerinage
Dans l'Antiquité, voyager était dangereux. Se déplacer en groupe était plus sécuritaire, surtout avec la parenté ou avec des voisins fiables. Pourquoi une journée s'est-elle écoulée avant que Marie et Joseph constatent l'absence de leur ado ? La réponse a de quoi étonner: tout simplement parce que Jésus était en transition vers l'âge adulte. En effet, les caravanes se divisaient en deux groupes. Les hommes et les femmes étaient séparés comme dans la vie de tous les jours. Les femmes et tous les jeunes enfants, garçons et filles, voyageaient ensemble. Les garçons ayant atteint la puberté marchaient avec les hommes.
Jésus adolescent aurait pu voyager avec l'un ou l'autre groupe sans que les parents s’inquiètent. Joseph a dû soupirer en constatant l'absence de Jésus du groupe des hommes. Il peut avoir conclu trop rapidement que Jésus avait choisi de retourner au confort de la compagnie des femmes. Au contraire, Marie peut avoir souhaité que Jésus soit enfin intégré au groupe de mâles, comme il convenait désormais pour un ado de son âge... En revenant en arrière, la famille perdait la protection de la caravane. En plus, Joseph avouait avoir perdu le contrôle de sa famille.
Une double révélation
Le texte de l'Évangile laisse émerger deux données importantes lorsqu'il décrit les retrouvailles avec Jésus, loin des limites sécuritaires de la caravane.
- Jésus rencontre un groupe d'adultes masculins, des enseignants du Temple. Il donne des signes évidents d'une transition réussie vers le monde des adultes mâles. La réaction positive montre que Jésus gagne en honneur. Il est meilleur que prévu, étant donné son milieu d'origine en Galilée. Habituellement, la transition vers l'état adulte est douloureuse et longue. Ici, sa « taille grandissante » mesure en fait sa réputation, sa maturité et sa stature, toutes choses d'importance majeure pour la place des hommes en société. Luc en fait presque une déclaration-programme: Dieu et les hommes confèrent à Jésus un statut que sa naissance de basse extraction ne pouvait lui fournir.
- La réponse de Jésus à ses parents semble peu respectueuse. Le verbe «savoir» utilisé au pluriel indique que Jésus réplique à Marie et à Joseph. Jésus cherche à s'affranchir de la domination des femmes. Il est irrité par la question de sa mère qui semble contrôler l'honneur de la famille. À Joseph, Jésus confirme son devoir de garder un œil sur son ado désireux de trouver place dans le groupe approprié, celui des mâles en contrôle apparent... Enfin, cette réponse de Jésus est la première indication d'une rupture possible avec sa famille biologique et de l'émergence éventuelle d'un groupe de substitution.
Ces indications sont importantes pour comprendre les enjeux des autres récits de l’évangile. Elles s’ajoutent à ce constat évident : élever des enfants n'a jamais été facile peu importe la culture. Parfois, la seule chose que des parents peuvent faire est d'arbitrer le mystère et l'espérance. Ainsi, l'enfant va continuer à grandir en sagesse, en maturité favorables aux gens et à Dieu.
Sources documentaires
Plusieurs données de cette exploration de l'évangile du jour sont tirées de deux publications américaines jamais traduites en français.
Pilch, John J., The Cultural World of Jesus, Sunday BY Sunday, Cycle C, The Liturgical Press, Collegeville, Minnesota, 1997, pages 234-235 et 335-336.
Malina, Bruce J. et Richard L. Rohrbaugh, Social-Science Commentary on the Synoptic Gospels, Fortress Press, Minneapolis, 2003, pages 13-15.
Source: Le Feuillet biblique, no 2340. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre
biblique de Montréal.
Chronique
précédente :
Évangéliser à la manière de Marie
|