Où est le roi des Juifs ?
La visite des Mages : Matthieu 2, 1-12
Autres lectures : Isaïe 60, 1-6; Psaume 71(72); Éphésiens 3, 2 -3a.5-6
La réponse à cette question des Mages, adressée aux habitants de Jérusalem, sera donnée par Pilate lorsqu’il fera écrire sur la croix : Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs (Mt 27,37). La royauté de Jésus ne pourra être pleinement établie que par la croix. Grâce à elle, il pourra accéder à la souveraineté universelle qu’il partage avec son Père : Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre (Mt 28, 18b). La visite des Mages, en introduisant déjà le thème de la royauté, prépare la découverte de ce mystère tout au long de l’évangile.
À Bethléem en Judée (v. 1).
Les évangiles de Matthieu et de Luc s’entendent pour placer la naissance de Jésus à Bethléem (cf. Lc 2,4). Alors que Luc raconte qu’un recensement impérial obligea Joseph et Marie à se déplacer de Nazareth à Bethléem, Matthieu se contente de mentionner le fait comme une réalité connue. Déjà Paul, dans l’épitre aux Romains, affirme que Jésus est né de la lignée de David selon la chair (Rm 1,3) sans toutefois préciser le lieu de cette naissance. Il est évident qu’au temps de Jésus les descendants de David – qui avait vécu 1 000 ans auparavant – étaient nombreux et que tous ne vivaient pas à Bethléem. Cependant la coïncidence de ces deux éléments : ascendance davidique (cf. Mt 1,17) et naissance à Bethléem, oriente le lecteur à comprendre que le personnage dont il est question a des liens intimes avec la royauté.
On insiste parfois sur la signification du nom de la ville, beit lehem : maison du pain; certains auteurs y voient un lien symbolique avec l’eucharistie. Il est exact que le nom peut se traduire ainsi et il est bien possible que la population au temps de Jésus l’ait interprété de cette manière. Mais cette étymologie est artificielle. Comme beaucoup d’autres noms de lieux comprenant l’élément beit (par exemple : Béthel, Beth Horon) il s’agit d’une référence à un sanctuaire : beit lahamu maison de Lahamu, un dieu cananéen de la guerre. Cette signification était probablement tombée dans l’oubli au temps du Nouveau Testament qui n’y fait jamais allusion. On peut quand même méditer le fait que celui que le prophète désigne comme le prince de la paix (cf. Is 9,5; Mi 5, 4) soit né dans une ville qui doit son nom à un ancien dieu guerrier.
Hérode fut pris d’inquiétude (v. 3).
En arrivant dans le pays, les Mages semblent se tromper d’adresse; ils se rendent à Jérusalem, la capitale religieuse, plutôt qu’à Césarée Maritime, la capitale politique d’Hérode, où ils seraient plus susceptibles de rencontrer les membres de la famille royale. Il ne s’agit pas d’une erreur d’orientation ni d’une maladresse. Matthieu veut clairement montrer que son récit a une dimension essentiellement religieuse. Le roi dont il est question n’est pas un rival d’Hérode mais le souverain d’un royaume différent, d’un autre ordre. Pour le comprendre, il faut s’ouvrir au mystère, ce dont Hérode et les habitants de Jérusalem semblent incapables. L’irruption du monde de Dieu dans celui des humains cause toujours une onde de choc.
Où devait naître le Messie? (v. 4).
Matthieu va encore plus loin. Il met dans la bouche de Hérode lui-même l’assimilation entre le roi des Juifs qui vient de naître (v. 2) et le Messie (v. 4), cette figure mystérieuse annoncée par les prophètes comme le restaurateur de la dynastie de David (cf. Is 11,1; 61,1, etc.). La question du roi, posée aux grands prêtres et aux scribes, introduit la citation du livre de Michée (v. 6; cf. Mi 5, 1.3). L’oracle, assez difficile à comprendre dans tous ses détails, annonce le triomphe d’un prince judéen, originaire de Bethléem, sur ses ennemis de l’extérieur, probablement les Assyriens. Il semble que ce texte n’était pas très utilisé dans la réflexion sur l’attente messianique. Parce que le fait de la naissance de Jésus à Bethléem était déjà connu, l’évangéliste y a recours pour suggérer une interprétation théologique des événements : la naissance de Jésus accomplit les Écritures.
L’étoile qu’ils avaient vue se lever (v. 9).
Malgré tous les efforts des astronomes et des astrologues, il n’est pas possible de donner une interprétation historique de cette étoile. Au temps de Jésus comme à toutes les époques il y eut des phénomènes célestes : météorites, comètes ou autres mais on ne peut établir de lien probable entre aucun de ces faits et le récit de Matthieu. Son affirmation est d’un autre ordre; Dieu envoie un signe qui, comme tous les signes, a besoin d’être interprété pour devenir signifiant. La croyance en l’apparition d’astres nouveaux lors de la naissance de grands personnages étaient répandue dans l’Antiquité. Matthieu attribue d’emblée cette conviction aux Mages aussi bien qu’à Hérode qui s’informe de la date à laquelle l’étoile était apparue (v. 7).
Pour un lecteur familier de l’Ancien Testament l’apparition d’une nouvelle étoile faisait penser à la prophétie de Balaam : Un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève, issu d’Israël (Nb 24, 17). Ce texte qui se rapportait à l’origine à un roi d’Israël ou de Juda, peut aisément être compris dans un sens messianique.
Par ailleurs, il existe un passage du livre de Job (38, 7) qui assimile les étoiles aux fils de Dieu. Ceux-ci sont identifiés ailleurs aux anges, c’est-à-dire aux messagers divins. L’étoile du récit de Matthieu se rapproche de l’ange du récit de Luc (cf. Lc 2, 9.12) qui annonce la naissance de Jésus aux bergers. L’un et l’autre veulent montrer que cette naissance est un événement exceptionnel par lequel Dieu intervient dans l’histoire de manière décisive.
Ils se prosternèrent devant lui (v. 11).
On se prosterne beaucoup dans l’évangile de Matthieu; on exprime ainsi son respect ou on implore une faveur (cf. Mt 17, 14; 20,20, etc.). Mais le geste signifie aussi la reconnaissance de la souveraineté de Jésus. C’est en particulier le cas après la résurrection; les femmes d’abord (Mt 28,9) puis les onze disciples (Mt 28, 17) se prosternent devant le Ressuscité qui partage le pouvoir universel de Dieu (cf. Mt 28,18). Le geste des Mages, joint à l’offrande de leurs présents, est une anticipation de la glorification de Jésus, reconnu comme roi, non seulement des Juifs mais de tout l’univers.
Debout Jérusalem (Is 60,1-6).
Ce texte du livre d’Isaïe est associé à la liturgie de l’Épiphanie à cause de la coïncidence des dons apportés par les gens de Saba (v. 6) et les présents offerts par les Mages. À l’origine ce texte évoquait de manière enthousiaste le retour des exilés après l’édit de Cyrus (538 AC) : Tes fils reviennent de loin et tes filles sont portées sur les bras (v. 4). Le prophète imaginait Jérusalem à la tête d’un grand empire et recevant les tributs des nations étrangères (cf. vv. 3.5b-6). Ce rêve ne s’est jamais réalisé mais la ville sainte est devenue une capitale d’un autre ordre. Depuis la mort et la résurrection de Jésus elle est la métropole spirituelle du monde chrétien, un royaume destiné à rassembler toutes les nations.
Les païens sont associés au même héritage (Ep 2, 2-3.5-6).
Le prophète rêvait de voir Jérusalem à la tête de toutes les nations, les Mages cherchaient le roi des Juifs; l’épître aux Éphésiens annonce l’abolition de toute distinction entre Juifs et étrangers. La promesse du salut se réalise, en Jésus, pour l’humanité entière. Telle est la grande nouveauté de l’Alliance conclue par le Christ. L’appartenance au même corps ne dépend pas de l’origine ethnique mais de la réponse de foi à l’annonce de la Bonne Nouvelle.
Source: Le Feuillet biblique, no 2341. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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